LE MINISTÈRE ALGÉRIEN DE LA VÉRITÉ ET SONATRACH : PAR-DELÀ LE BIEN ET LE MAL?

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Libre Algérie. Mars 22, 2017

PAR SAAD ZIANE 
Un nouveau patron à la tête de Sonatrach qui n’est pas un inconnu et un régime qui passe à la hussarde sans se soucier des dégâts possibles de ses décisions. Le « ministère algérien de la vérité » est dans la panade. 
En Algérie, le ministère de la vérité existe même s’il n’a pas d’adresse particulière. Il écrit l’histoire et la réécrit à sa guise. Il peut, par sa profonde inculture, permettre à la descendante plus ou moins blonde – apparemment ça expliquerait des choses selon certains – d’un bachagha félon passer sur une chaîne publique et faire la réclame pour un livre hagiographique alors que l’histoire réelle des maints combattants du mouvement national continue d’être interdite.
Le ministère de la vérité peut apparaitre clairement dans un texte de loi – la loi sur la réconciliation nationale – qui décrète que l’histoire récente a été écrite définitivement et que quiconque l’aborderait différemment sera passible de prison. L’une des règles qui accompagne le ministère de la vérité imaginée par Orwell est de ne pas trop revenir en arrière et que ceux que la «vérité » a enterrés ne ressortent plus. Question de cohérence, on est « ministère de la vérité pas de la contre-vérité. »
Le lundi 20 mars 2017, la vérité du ministère algérien informel de la vérité a, une fois de plus, vacillé en avec la désignation d’Abdelmoumen Ould Kaddour, à la tête de Sonatrach. Après un moment de sidération nationale, l’une des premières réactions lues sur Facebook était aussi persifleuse qu’amère : «Abdelmoumen Khalifa a été désigné gouverneur de la Banque d’Algérie» !
TOUT EST POSSIBLE!
En clair… on est dans le domaine très dostoïevskien du « tout est possible, tout est permis » y compris ce qui parait impossible, improbable voire démentiel. Le plus amusant a été cette insistance lourde à dire que c’est le ministre de l’énergie, Nourredine Boutarfa, qui a désigné, à la suite d’une réunion du Conseil d’administration, ce revenant dans l’histoire qu’est M.Ould Kaddour.
Comme si pour la «prunelle» de leurs yeux qu’est Sonatrach on pourrait laisser faire un technocrate. Mais peut-être qu’un ersatz de gêne a empêché que « l’en haut » assume franchement la mesure et qu’on se laisse une marge au cas où ça ferait trop tache…
Il y a un gros ennui avec le ministère de la vérité informel et même officiel puisqu’il y a eu une décision des juges militaires, est qu’il nous a abondamment informés – même s’il ne dit jamais tout – sur le nouveau patron de Sonatrach.
On ne sait pas ce qui était vraiment reproché à Amine Mazouzi, mais on sait ce qui a été reproché au nouveau PDG. C’est acté par une décision de la justice militaire : 30 mois de prison pour divulgation d’informations secret défense à l’américain KBR, filiale de l’américain Haliburton associé à Sonatrach dans la société de droit algérien Brown and Root Condor (BRC).
Abdelmoumen Ould Kaddour était suspecté de pratiques peu orthodoxes en matière de surfacturation au profit de l’associé américain mais l’affaire n’est pas allée bien loin puisque l’Etat algérien a décidé, sur ordre, d’effacer le corps du délit en achetant les parts de KBR puis en dissolvant BRC. Ni vu, ni connu.
Le PDG DE SONATRACH ET LE QUOTA DES BANANES
Le ministère de la vérité a cependant sur les bras une décision de la justice militaire pour des faits jugés d’une grande gravité. Il peut empêcher la télévision publique et les TV off-shore «amies » voire même des journaux dépendants de trop remuer ces choses.
Il ne peut empêcher une recherche basique sur Google qui permet à de nombreux Algériens d’en connaitre suffisamment sur le profil du nouveau maître de la machine à devises du pays. Et c’est bien cette capacité à s’informer des Algériens qui explique la boutade venimeuse mais aussi pleine de lassitude sur un Abdelmoumen Khalifa à la tête de la Banque d’Algérie.
La communication officielle sur les raisons du limogeage de Mazouzi et de la désignation d’Ould Kaddour à la tête de Sonatrach est aussi sommaire que l’information sur la distribution de quotas d’importations de bananes.
Boutarfa a donné quelques bribes censées être saisies au vol par les préposés au décodage de la vérité du moment. Mots clés : changements qualitatifs, climat d’entreprise serein propice à la prise d’initiative et de décision, sérénité, la cohésion et l’exemplarité ». Mais ces mots clés auraient été valables si on avait désigné n’importe quel autre « Ould quelque chose…. ». Cela n’explique absolument pourquoi on a désigné un homme qui a un casier judiciaire.
CE QU’ON NE NOUS DIT PAS  
Est-ce une «réhabilitation ? ». De facto, c’est le cas mais on s’abstient de le dire et la langue de bois de Boutarfa sonne comme une incitation à ne pas trop chercher à comprendre. Mais comme le passé judiciaire de M.Ould Kaddour ne tombe pas sous le coup de l’article 46 de la loi sur la réconciliation s’en étonner et poser des questions sur ce que cela implique ne devrait pas être passible d’interdiction.
Le ministère informel de la vérité ne peut enlever le fait qu’il y a eu un tribunal militaire qui a statué sur une affaire de divulgation de secret défense. La réhabilitation surprise de M.Ould Kaddour, signifie-t-elle que le tribunal militaire a commis une grave erreur judiciaire à l’encontre d’un cadre diplômé du MIT (on nous le rappelle bien et donc notons-le) ? On ne nous le dit pas…
Et comme Ould Kaddour a été poursuivi et condamné sur la base d’une enquête du DRS, doit-on penser que les services ont fabriqué de toute pièce un dossier à charge ? On ne nous le dit pas non plus. Le DRS a été dissous, le ministère de la vérité informelle peut bien lui mettre l’affaire sur le dos.
Saadani, avant d’être invité à se la mettre en veilleuse, a bien chargé de tous les maux le DRS et son chef, le général Toufik, on peut donc continuer… Il restera la justice qui elle n’a pas été dissoute. Et il restera des Algériens, assez bien informés et très défiants à l’égard des explications murmurées par cette réécriture sommaire de l’histoire.
C’est clairement une autre charge contre le général Toufik et son DRS. La précédente étant celle du retour triomphal et « zaouiesque » de Chakib Khelil, tuteur des dirigeants du secteur de l’énergie qui se sont pratiquement tous retrouvés en prison.
On charge donc un DRS qui n’existe pas – il a pris une autre appellation – mais pourquoi s’arrêter à mi-chemin : tout ce qui a été produit par lui – et par son ministère informel de la vérité – est contestable. Cela ferait au moins un quart de siècle à revoir et à corriger… 
S’AFFRANCHIR DE TOUTE NORME ?
Mais peut-être que les choses sont tellement évidentes qu’on ne les voit pas ou qu’on ne veut pas le voir : le pouvoir en Algérie s’est affranchit de toutes normes y compris de ses propres us et coutumes. Le retour de Chakib Khelil au pays sans passer par la case justice a été déjà un signal.
On restait cependant dans la limite ténue qu’il fait des tournées des zaouïas avec l’appui de l’administration mais qu’il n’a aucune fonction officielle. Avec la désignation, plus que problématique de Ould Kaddour à la tête de Sonatrach, le message lourd envoyé est qu’il n’y a pas de limite et que l’on n’a pas le moindre souci de ce que pense le pays, ni de l’enseignement – absolument catastrophique -qu’il en tire quelle que soit la lecture choisie.
Quand un système n’a plus aucune norme pour réguler ses actes, il devient absurde d’essayer de le décrypter. Comme de laisser entendre que Mazouzi a échoué – en quoi ? – et que les choses vont aller mieux avec ce diplômé du MIT… Pas plus que cela n’a pas de sens de laisser croire qu’il n’existe pas parmi les cadres Algériens des gens capables de mener la boutique.
Il y a bien la donnée sociologique massive des dizaines de milliers de cadres formés et perdus… Mais si l’on est allé au Golfe reprendre Ould Kaddour, qu’est ce qui empêchait de puiser dans les milliers de cadres expatriés qui ont fait leurs preuves ? Faudra-t-il croire que le problème est que leur passé ne souffre d’aucune controverse ? Là également, le ministère de la vérité aurait fort à faire pour faire effacer la boutade de Khalifa à la Banque centrale.
Un ancien du mouvement national connu pour son extrême politesse et sa pondération ne s’est pas empêché de lâcher un juron en entendant la nouvelle. «Jusqu’où ira-t-on, quel message envoie-t-on aux jeunes Algériens ? » a-t-il dit avec une gravité presque désespérée.

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