On dit souvent dans le jargon populaire que les belles paroles remplissent les oreilles mais pas les ventres ! Caresser les masses dans le sens du poil, en vantant leur courage et leur patience pour affronter l’hydre de la crise n’a, aujourd’hui, plus aucun sens dans la mesure où les Algériens en sont revenus des promesses mensongères, des manipulations et des supercheries nationalistes avec quoi on les a tout le temps bernés. Le bonheur désormais, pour n’importe quel jeune de Bab El Oued par exemple, c’est de ne pas entendre tout d’abord la voix des politicards véreux. Ensuite vient tout le reste, à savoir gagner sa vie dignement, pouvoir se déplacer en voiture sans être bloqué dans les embouteillages nauséeux de la capitale, ne pas faire la queue trois heures durant pour retirer de l’argent à la poste, avoir un toit ou, au moins, trouver une modeste location qui n’engloutisse pas tout le salaire du mois, une fois marié, ne pas être taxé de paria parce qu’il a enfreint un tabou social, obtenir un rendez-vous dans une administration sans piston, ne pas graisser la patte à un commis d’État, un agent de la mairie ou de la daïra pour un logement social, voyager là où il veut sans visa, faire ses courses dans le marché du coin avec moins de billets possible, se soigner dans les hôpitaux de son pays, propres, au personnel aussi accueillant qu’attentionné, et dotés de surcroît d’un matériel sophistiqué à la hauteur de ses attentes, etc.
D’est en ouest et du nord au sud, c’est le même refrain qui revient sur la bouche de nos jeunes désemparés : y en a marre ! Il y a, à vrai dire, un malaise qui se ressent dès que l’on pose pied sur le trottoir de l’une de nos villes. Nos citoyens nourrissent comme un sentiment d’abandon, de déclassement, de laissés-pour-compte, autant de situations propices à la naissance de n’importe quelle aventure populiste aux conséquences fâcheuses ! De même, l’ascenseur social est en panne, ce qui détruit l’espérance en l’avenir et alimente le carburant des émeutes. Bref, le pays donne l’impression d’être confiné dans l’inertie alors que les élites aux commandes diffèrent «l’aggiornamento» dont cette Algérie au potentiel inouï a tant besoin, comme dissimulant la poussière sous le tapis, en espérant que personne ne le soulève un jour. Pauvre Algérie qui se prive des idées neuves qui peuvent l’aérer et la faire avancer ! Or, l’expérience montre que, si les élites continuent de réduire toutes les initiatives de la société civile à rien, elles se fourrent un doigt dans l’œil, elles se coupent de la réalité. Le principe fondateur des grands pays est le suivant : chacun doit apporter son écot, dans le respect des autres, à l’édification d’un futur plus radieux.
Kamal Guerroua
Poignant! Une jeunesse perdue et une élite indifférente. Cette image du gosse sans cartable ajoute de la tristesse!