Point de vue
El Watan le 18.02.18
Le 16 février 2017 – 16 février 2018. Un an déjà ou un an seulement ? La perception de l’année écoulée dépend beaucoup de la façon dont l’agression des enseignants de la faculté des sciences politiques, Alger 3, a été vécue.
L’ont-ils parcourue comme on traverse simplement une rue sur un passage piéton, ou subie comme on survit à une tempête furieuse ? L’ont-ils endurée ou ignorée, dénoncée ou occultée ?
Ces questions peuvent paraître incongrues. En effet, des réactions aussi contradictoires semblent incompatibles avec la nature de l’événement sus-cité. En effet, l’événement abordé est l’agression violente dont ont été victimes des enseignants au sein même de l’enceinte universitaire, alors qu’ils tenaient une réunion visant à élire un bureau syndical. Plusieurs professeurs ont été blessés et conduits à l’hôpital. Bien plus ont été traumatisés par la violence de l’attaque diffusée sur les chaînes de télévision et les réseaux sociaux. La faculté des sciences politiques (re)devenait célèbre, mais pour des raisons qui n’avaient plus rien à voir avec son aura d’antan.
La réaction consensuelle vis-à-vis d’un tel événement aurait logiquement dû être une condamnation unanime, l’exécution immédiate des sanctions disciplinaires contre les agresseurs identifiés et filmés (étudiants et responsable de la sécurité), ainsi que le dépôt de plaintes par l’employeur (l’université) et les victimes, contre lesdits agresseurs. Un an plus tard, le bilan est rapide : la tutelle a jugé utile de condamner la «violence de toutes les parties» et seuls les enseignants blessés dans leur âme et leur chair ont porté plainte. La justice a d’ailleurs reconnu «l’agression contre des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions» et condamné les agresseurs en première instance.
Pour le reste, les agresseurs continuent de déambuler dans la faculté et de marquer leur territoire au sein même des bureaux de l’administration, dans l’indifférence de la majorité du corps enseignant. L’intensité sans précédent de l’agression du 16 février a permis de braquer les projecteurs sur la violence qui gangrène l’université algérienne. Une violence dont l’un des très nombreux effets pervers est d’avoir fractionné la communauté universitaire. Celle-ci est clairement divisée, pour ne pas dire clivée, alors que les circonstances supposent qu’elle aurait dû faire face en bloc puisque le danger était, et demeure, commun. Cette division d’ordre normatif a produit une cohabitation singulière.
D’une part, évolue un cercle où règnent la complicité, la résignation et l’indifférence qui s’alimentent mutuellement et font régner l’impunité. D’autre part, s’agite un autre cercle où la solidarité, l’insoumission et le refus de l’impunité, qui rejette le fait accompli. L’apparition et l’installation d’un tel clivage, qui de plus est très déséquilibré en termes de rapports de force, ne sont pas un fait anodin. En effet, l’absence de solidarité face à l’adversité et l’impossible consensus face à un acte légalement condamné et moralement condamnable doivent susciter une profonde réflexion sur l’état d’un secteur, d’une corporation, d’un système de valeurs et in fine d’une institution.
Or, si l’accumulation des difficultés et des échecs est quasi unanimement reconnue, n’est-ce pas un processus de désinstitutionnalisation qui est le plus inquiétant ? L’université est traversée, travaillée, par des loyautés qui n’ont plus rien à voir avec les règles de fonctionnement unanimement admises et globalement respectées quelques lustres plus tôt. Cela signifie qu’il y a effacement progressif de l’éthique, de la science, de la pédagogie, de la déontologie et de l’honnêteté intellectuelle qui fondent l’essence même de l’université en tant qu’institution.
Cela signifie aussi que la dissociation entre pouvoir des individus et autorité de l’institution s’efface, elle aussi, au profit de la résurgence de loyautés primaires pré-institutionnelles. Un responsable administratif, quel que soit son niveau, n’exerce plus son autorité en tant qu’administrateur, nommé pour une fonction déterminée en raison de compétences avérées, mais en tant qu’agent exécutant, mandataire d’une tâche à accomplir.
Le résultat de la désinstitutionnalisation de l’université est de faire naître le sentiment selon lequel ses responsables ne sont plus les instruments de gouvernance de l’Etat, mais les mandataires de cercles défendant leurs proto-intérêts. Dans ces conditions, le maintien de l’ordre normatif, le sentiment d’appartenance à un corps, le respect de ses codes et la défense de ses membres sont autant de socles qui se désagrègent. Les universitaires deviennent incapables de se penser, de se solidariser et, a fortiori, de se défendre.
L’université, quant à elle, plonge dans l’anomie, la déstructuration et la déconstruction en tant qu’institution pérenne. La responsabilité de tous étant le socle de l’institution, la déresponsabilisation devient la fissure à travers laquelle commence la désinstitutionnalisation. Elle ne concerne pas seulement ceux qui sont en charge de garantir une gouvernance efficiente, mais se propage au sein des gouvernés qui, au mieux démissionnent, au pire prennent activement part dans le processus de déliquescence institutionnelle.
S’agit-il d’idées noires d’universitaires agressés, blessés ? Non, car une année est largement suffisante pour guérir les blessures physiques. Par contre, la banalisation de la violence sous toutes ses formes (agressions physiques, fraudes multiples et variées, impunité, passe-droits, clientélisme, censures, intimidations, déresponsabilisation,…) sont bien les signes d’une désagrégation annoncée du système universitaire.
Or, l’université est l’une des institutions de l’Etat. Sa désinstitutionnalisation ne peut pas être indépendante de celui-ci et ne peut pas être sans conséquences sur celui-ci. S’il n’existe pas d’universités sans Etat, il n’existe pas d’Etat sans universités.
Listes des signataires :
Faculté des sciences politiques, Alger 3
Ces questions peuvent paraître incongrues. En effet, des réactions aussi contradictoires semblent incompatibles avec la nature de l’événement sus-cité. En effet, l’événement abordé est l’agression violente dont ont été victimes des enseignants au sein même de l’enceinte universitaire, alors qu’ils tenaient une réunion visant à élire un bureau syndical. Plusieurs professeurs ont été blessés et conduits à l’hôpital. Bien plus ont été traumatisés par la violence de l’attaque diffusée sur les chaînes de télévision et les réseaux sociaux. La faculté des sciences politiques (re)devenait célèbre, mais pour des raisons qui n’avaient plus rien à voir avec son aura d’antan.
La réaction consensuelle vis-à-vis d’un tel événement aurait logiquement dû être une condamnation unanime, l’exécution immédiate des sanctions disciplinaires contre les agresseurs identifiés et filmés (étudiants et responsable de la sécurité), ainsi que le dépôt de plaintes par l’employeur (l’université) et les victimes, contre lesdits agresseurs. Un an plus tard, le bilan est rapide : la tutelle a jugé utile de condamner la «violence de toutes les parties» et seuls les enseignants blessés dans leur âme et leur chair ont porté plainte. La justice a d’ailleurs reconnu «l’agression contre des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions» et condamné les agresseurs en première instance.
Pour le reste, les agresseurs continuent de déambuler dans la faculté et de marquer leur territoire au sein même des bureaux de l’administration, dans l’indifférence de la majorité du corps enseignant. L’intensité sans précédent de l’agression du 16 février a permis de braquer les projecteurs sur la violence qui gangrène l’université algérienne. Une violence dont l’un des très nombreux effets pervers est d’avoir fractionné la communauté universitaire. Celle-ci est clairement divisée, pour ne pas dire clivée, alors que les circonstances supposent qu’elle aurait dû faire face en bloc puisque le danger était, et demeure, commun. Cette division d’ordre normatif a produit une cohabitation singulière.
D’une part, évolue un cercle où règnent la complicité, la résignation et l’indifférence qui s’alimentent mutuellement et font régner l’impunité. D’autre part, s’agite un autre cercle où la solidarité, l’insoumission et le refus de l’impunité, qui rejette le fait accompli. L’apparition et l’installation d’un tel clivage, qui de plus est très déséquilibré en termes de rapports de force, ne sont pas un fait anodin. En effet, l’absence de solidarité face à l’adversité et l’impossible consensus face à un acte légalement condamné et moralement condamnable doivent susciter une profonde réflexion sur l’état d’un secteur, d’une corporation, d’un système de valeurs et in fine d’une institution.
Or, si l’accumulation des difficultés et des échecs est quasi unanimement reconnue, n’est-ce pas un processus de désinstitutionnalisation qui est le plus inquiétant ? L’université est traversée, travaillée, par des loyautés qui n’ont plus rien à voir avec les règles de fonctionnement unanimement admises et globalement respectées quelques lustres plus tôt. Cela signifie qu’il y a effacement progressif de l’éthique, de la science, de la pédagogie, de la déontologie et de l’honnêteté intellectuelle qui fondent l’essence même de l’université en tant qu’institution.
Cela signifie aussi que la dissociation entre pouvoir des individus et autorité de l’institution s’efface, elle aussi, au profit de la résurgence de loyautés primaires pré-institutionnelles. Un responsable administratif, quel que soit son niveau, n’exerce plus son autorité en tant qu’administrateur, nommé pour une fonction déterminée en raison de compétences avérées, mais en tant qu’agent exécutant, mandataire d’une tâche à accomplir.
Le résultat de la désinstitutionnalisation de l’université est de faire naître le sentiment selon lequel ses responsables ne sont plus les instruments de gouvernance de l’Etat, mais les mandataires de cercles défendant leurs proto-intérêts. Dans ces conditions, le maintien de l’ordre normatif, le sentiment d’appartenance à un corps, le respect de ses codes et la défense de ses membres sont autant de socles qui se désagrègent. Les universitaires deviennent incapables de se penser, de se solidariser et, a fortiori, de se défendre.
L’université, quant à elle, plonge dans l’anomie, la déstructuration et la déconstruction en tant qu’institution pérenne. La responsabilité de tous étant le socle de l’institution, la déresponsabilisation devient la fissure à travers laquelle commence la désinstitutionnalisation. Elle ne concerne pas seulement ceux qui sont en charge de garantir une gouvernance efficiente, mais se propage au sein des gouvernés qui, au mieux démissionnent, au pire prennent activement part dans le processus de déliquescence institutionnelle.
S’agit-il d’idées noires d’universitaires agressés, blessés ? Non, car une année est largement suffisante pour guérir les blessures physiques. Par contre, la banalisation de la violence sous toutes ses formes (agressions physiques, fraudes multiples et variées, impunité, passe-droits, clientélisme, censures, intimidations, déresponsabilisation,…) sont bien les signes d’une désagrégation annoncée du système universitaire.
Or, l’université est l’une des institutions de l’Etat. Sa désinstitutionnalisation ne peut pas être indépendante de celui-ci et ne peut pas être sans conséquences sur celui-ci. S’il n’existe pas d’universités sans Etat, il n’existe pas d’Etat sans universités.
Listes des signataires :
Faculté des sciences politiques, Alger 3
Louisa Aït Hamadouche
Selmi Laïfa
Leïla Sidhoum
Toufik Bouilouta
Nabila Boudi
Saïd Gacemi
Fatima Bakdi
Naïm Zaïdi
Karima Belakhdar
Azzedine Guettouche
Kenza Meghiche
Toufik Boukaada
Sara Debbaghi
Linda Lettad
Abdelkader Yefsah
Et le règne de l’impunité continue. Les commanditaires sont toujours en place protégés par les gangs de Ben Aknoun. L’un aspire devenir « ministre-pantin » de la République bananière. L’autre attend vainement sa titularisation. Et le fils de l’entrepreneur corrompu, le protégé de l’administration, passera bientôt sa thèse (non subversive) et rejoindra la cohorte des broufissours de l’allégeance et de la médiocrité, hacha nos dignes professeurs, rares, certes, mais qui existent.
« L’intensité sans précédent de l’agression du 16 février a permis de braquer les projecteurs sur la violence qui gangrène l’université algérienne. »
C’est vrai,mais cette violence existait avant cet épisode malheureux et spectaculaire.Et ce depuis les années 1990,quand le gang au pouvoir s’est accaparé de tous les centres sensibles de décisions politiques.Avant cela il y avait des courants politico-idéologiques qui traversaient les élites au sein de l’université sans arriver aux agressions physiques de professeurs ou autres encadreurs scientifiques.Mais la violence a atteint le stade ultime,quand elle a été utilisé par des « ultras » pour régler un problème politique pendant les années des larmes et du sang! Sans se soucier point des réactions en chaîne qui ont pu se produire et continuent à se produire.Ce sont ces conséquences néfastes sur tous les plans scientifiques,moraux et physiques qui ont aliéné l’université algérienne à un point de non retour et toutes les solutions de bricolage par-ci et par-là ne déboucheront que sur des déceptions à moins d’une solution définitive qui prône la bonne gouvernance à tous les niveaux.Mais cela est une autre paire de manche!