Quand Kamel Daoud enterre la contestation algérienne.

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PUBLIÉ LE19 JANVIER 2020 PAR JEAN-PIERRE FILIU
https://www.lemonde.fr/blog/filiu

L’écrivain algérien apporte sa caution brillante, mais très discutable, à la propagande du régime algérien.

Kamel Daoud manifestant contre le cinquième mandat de Bouteflika, le 1er mars 2019 à Oran (Ali Ezhar, « Le Monde »)

Cela fait près d’un an que des foules d’Algériennes et d’Algériens défilent pour exiger une transition démocratique digne de ce nom. Près d’un an que le régime cherche au moins une figure intellectuelle pour relayer les rengaines officielles. Il vient enfin d’atteindre cet objectif, avec l’éloge funèbre de la contestation algérienne, tout récemment publié par Kamel Daoud sur cinq pages dans « Le Point ». Ce ralliement de fait est d’autant plus appréciable que l’auteur de « Meursault contre-enquête », le roman qui l’a rendu mondialement célèbre en 2015, avait vigoureusement dénoncé le système Bouteflika. La place éminente de Daoud dans le débat d’idées, sans doute plus en France qu’en Algérie, rend dès lors nécessaire l’analyse de ses arguments.

UN SEUL HEROS, LE CHEF D’ETAT-MAJOR?

Le romancier ouvre son manifeste par les obsèques nationales du général Gaïd Salah, décédé le mois dernier, après quinze années à la tête des armées algériennes. Il décrit cet « enterrement digne d’un chef d’Etat », mais omet d’ajouter qu’un tel faste consacre à titre posthume le statut du chef d’état-major comme véritable maître du pays. Non, Daoud préfère voir dans ces funérailles « l’émotion manquante pour souder un nouveau consensus politique ». Il reconnaît pourtant que c’est une fois encore l’armée qui se voudrait au coeur d’un tel « consensus », cette armée qu’il pare des « artifices d’une nouvelle épopée messianique », sans chercher à démonter de tels « artifices ». Il brosse au contraire un tableau haut en couleurs de la « vraie guerre imaginaire contre la France », osant même affirmer que le clivage entre tenants du régime et contestataires du Hirak est aujourd’hui moins important que la contradiction entre pro et anti-Français. Emporté par son élan, il assène que « la contestation a déjà signé l’irréversibilité  de la dictature ».

Kamel Daoud, tout à la mise en scène du grand récit du régime, n’a pas un mot pour la « nouvelle indépendance » que réclament depuis 48 vendredis les manifestants algériens dans des dizaines de villes du pays, cette « nouvelle indépendance » post-dictatoriale tant attendue depuis l’indépendance post-coloniale de 1962. Il occulte l’immense travail de mémoire accompli par ces manifestants depuis un an pour se réapproprier l’histoire authentique de la lutte de libération anti-française. Il ne juge pas bon de rappeler leurs slogans « Un Etat civil, et non militaire » et « Un pays ne se gouverne pas comme une caserne ». Il accrédite en revanche la fable d’une armée qui aurait « accompagné le soulèvement sans verser une goutte de sang ». Or l’armée est demeurée cantonnée depuis un an, laissant policiers et gendarmes en première ligne face à des défilés dont le Hirak, par sa détermination pacifiste, a seul garanti le caractère non-violent, et ce malgré les provocations répétées.

BOUTEFLIKA ETAIT-IL LE SEUL PROBLEME?

Kamel Daoud demeure cohérent avec sa participation au tout début du Hirak, quand il dénonçait depuis Oran le « royaume tentaculaire » de la présidence Bouteflika. Il n’a en revanche jamais mis en cause l’emprise de Gaïd Salah et des « décideurs » militaires, prêt qu’il était à accepter que la chute de Bouteflika et la purge de son clan marquent la fin de la contestation. La sincérité des convictions du romancier est en soi respectable, même si elle creuse son décalage croissant avec la mobilisation populaire. Il en est réduit à fustiger « l’ultranarcissisme » de « certains militants de la rue algéroise », opposant une « Algérie profonde » au « ghetto politique » que serait devenu « l’urbain ». Et tant pis si la cité/polis constitue la racine même du politique et si le taux d’urbanisation de l’Algérie dépasse les 70%! Daoud ne craint d’ailleurs pas la polémique en accusant les dirigeants du Hirak d’être « incapables de sortir de la capitale » et « d’imaginer un leadership décentralisé », alors même que la contestation algérienne est mise en cause pour sa structuration trop souple, plutôt que trop rigide. Il apparaît plus clairvoyant lorsqu’il souligne « la montée vigoureuse du néo-islamisme qui propose déjà à l’armée d’être son bras politique ».

L’historien, dans son travail de lucidité et d’interprétation, se heurte souvent aux invocateurs des mythes, prompts à réduire un peuple ou une culture à une essence. Kamel Daoud a certes prouvé, dans une intervention mémorable à Sciences Po, qu’il pouvait conférer à un mythe, celui de Jonas, une dimension universelle. Il est aujourd’hui bien moins convaincant quand il place au centre de son pays le « lien oedipien avec l’armée, figure de paternité sécurisante »: « en boucle, l’Algérie, c’est le fils qui s’aveugle en tuant le père et le père qui tue le fils en l’égarant dans le labyrinthe des revendications ». La jeunesse algérienne n’a que faire de ces clichés freudiens, dont on voit mal pourquoi ils s’appliqueraient plus à cette société qu’à une autre. Elle entend bien vivre libre et digne sur sa terre, une revendication qu’elle exprime avec force au nom de sa « nouvelle indépendance ». Et c’est ce message d’espoir qu’elle continue d’adresser au monde en 2020, n’en déplaise à Kamel Daoud.

12 Commentaires

  1. A propos du déferlement de critiques violentes contre Kamel Daoud.

    Je constate que la polémique sur les propos de Kamel Daoud prend de l’ampleur en crescendo, une voie dangereuse pour son intégrité en tant que personne ! Calmons nous un peu, quoi ! Je ne comprends pas pourquoi certains « intellectuels » veulent la peau de Kamel Daoud, mettent leur plume assassine contre lui plutôt que celle du pouvoir (certains qui le critiquent on ne les jamais vu dans le Hirak) alors que lui a juste parlé …« d’échec provisoire » … du mouvement populaire. Est-ce un crime ? Il s’est simplement posé la question de comprendre pourquoi les villes qui situe lui dans le « milieu rural » ne sont pas aussi enthousiastes qu’Alger, Constantine, la Kabylie, Oran dans la révolution citoyenne !

    Voilà le questionnement qui devrait peut-être intéressé TOUS les intellectuels, les historiens, les sociologues, au lieu de faire des …. articles lyriques ou des pamphlets contre lui ! Moi je crois qu’il a juste soulevé un débat, qu’il faut en rester là, et surtout qu’il faut faire attention de trop braqué le hirak contre lui, car le hirak peut prendre les choses à la lettre et çà va lui compliqué « la vie » dans son quotidien, dans le pays. En tant qu’intellectuel sociologue, historien, analyste cela devrait nous interpeller notre curiosité, pas plus que çà ! C’est ainsi que pour moi tout cela ne doit être qu’un débat, pas plus, et qu’il ne faut pas aller au delà de cette problématique, de ce questionnement soulevé par K.D.

    Peut-être que le timing n’est pas le bon, que c’est une erreur d’en parler maintenant, il est vrai, mais ce n’est pas un raison aussi grave à mon sens pour se mettre en « guerre armée » contre lui et de lui chercher des poux alors qu’on connait son extravagance et son écriture acerbe, enfin pour ceux qui ont lu ses chroniques publiées par le Quotidien d’Oran! Non et non, pour moi Kamel Daoud est toujours un patriote, il n’est pas un harki, un vendu, un sioniste à la solde de je ne sais pas qui !! Calmons-nous ! Concentrons nous sur le hirak et son devenir !

  2. PS : je ne savais par que Jean Pierre FILIU était aussi étroit d’esprit dans ses analyses, et cette fois-ci , celle-ci bien orientée dans la signification qu’il veut donné, lui, à l’article de Kamel Daoud, qui pourtant est juste une réflexion de sa part, à sa manière , sa méthode à lui très connu pour ses propos décalés et souvent acerbes! Dire que Kamel Daoud son seul problème était de voir partir Bouteflika et que la révolution citoyenne hirakienne ne l’intéresse pas, est une insulte à son égard, un faux procès très, très grave ! !

    • @Mr Bettache,
      alors Jean Pierre FILIU est étroit d’esprit? Que diriez vous en lisant la réponse de Houarri ADDI et d’autres intelectuels algériens qui ne partage nullement votre avis et surtout ces jugements que vous emettez sur les autres. Vous appeller a enterer la hache de guerre, mais vous la sorter pour defendre quelqu’un qui s’attaque gratuitement au Hirak. Ce n’est point une question de timing ni de feeling. On est Gentelmen ou on ne l’es pas. Est-ce qu’il connait le nombre de detenus issus de ces villages perdus de l’algérie profonde. Qu’il se casse sans faire de casse, il fait toujours dans la provocation pour attirer les feux sur lui. C’est le mepris de tout un peuple qu’il vient de recolter et non pas le courroux de certains intelectuels. Le Hirak vaincra et bon débarras pour les plumitifs que l’occidents accceuille a bras ouvert. Mr Bettache je n’ai point envi de polémiquer d’ailleurs je n’ai meme pas citer son nom, et je clos ce dossier pour ma part , Oui il ne faut surtout pas polémiquer surtout que le « gang des generaux » opte de nouveau pour la carte des islamistes aprés l’echec de la guerre contre les Zouaves alors c’est en manipulant des Doued et des Sansale … qu’on tentera de destabiliser le Hirak. La selmiya est toujours de mise, pacifiquement nous vaincrons , concentrons nous sur le « gang » qui est appeller à disparaitre incessacement suites aux scissions et divergences au sommet.

  3. Enfin ! Revenons à nos moutons comme on dit (j’espère que cette boutade ne va pas être mal interprétée et se retourner encore contre moi) pour dire revenons à notre vraie préoccupation qui est …le hirak, son auto organisation et son devenir !

  4. Je ne comprends vraiment pas une chose avec certains donneurs de leçons qui pensent avoir raison. Ou étaint tout ces gens en 2008, 2012, 2014 lorsque Kanmal Daoud dénonçait le régime subtilement dans ses chroniques. Ou étaient-ils lorsque’il déclara que Boutef doit être jugé et condamné? Il a marché à Oran, en France. A donné des conférences un peu partout. Tout d’un coup on voit ces gens sortir de leur silence dans les résaux sociaux pour s’attaquer à sa personne. Kamel Daoud est un chroniqueur, un écrivain et un penseur. La situation du hirak le préoccupe comme elle préoccupe tout le monde. Il essaye de secouer les consciences pour concrétiser. Il provoque, il bouscule. Il est décapitant. Il parle franc. Le pouvoir a sa feuille de route et son agenda qui lui réussit. Le hirak n’a envisagé aucune alternative. Sortir deux fois par semaines c’est bien. C’est devenu un défouloir qui arrange le pouvoir. Y a t-il un travail en profondeur qui se fait ? non. Voilà ou il veut en venir.

  5. Betache@ on dit  » qui sème le vent récolte la tempête  » c’est plus qu’un proverbe mais une loi de la nature,ce qui est valable pour le système mafieux l’est aussi pour KD et consorts ….je comprends pourquoi les littéraires ne sont pas toujours logiques, car des sciences exactes ils étaient à l’origine déjà exclus, je ne mets pas ceux qui comme JPF possède la notion du bon sens pour ne pas tomber dans le ridicule de leur délires car même un moineau avec sa petite cervelle n’en rigolerait pas sur sa liberté à voler dans les vents sans les « temps pètent » des uns et des autres qui se croient avoir une meilleure cervelle pour montrer leur mépris et leur ignorance du peuple et des lois de la nature. C’est dans la nature de bcp de « responsables et élites » de transformer le respect du peuple Algérien en mépris, la gentillesse du peuple en arrogance, la bonté du peuple en abus etc… Ait Ali s’est mm permit de traiter les hirakistes de cafards , il est devenu ministre ….

  6. Abdellah CHEBBAH @ le peuple connait bien les faux maquisards, les résistants de la dernière heure comme en 57 etc…je ne permettrais pas de les mettre tous dans le même panier mais le peuple préfère se fier aux maquisards de la première heure comme Mr Bouragaa , l’original est toujours mieux que la copie, le peuple sait qu’il ne se ferra plus jamais avoir, mm avec des héros de grande valeurs, c’est tout le peuple qui avait souffert du colonialisme et qui a résisté dans la souffrance; comme aujourd’hui c’est tout le peuple qui lutte pour se libérer, c’est pour cela qu’il ne veut pas de représentant, la libération de l’Algérie comme son développent est une affaire de chaque citoyen Algérien, il est hors de question que la révolution soit confisquée ou détournée de ses objectifs par qui que ce soit, encore moins les élites qui pour certains sont experts dans la manipulation, tant que la junte militaire au pouvoir et sa mafia ne montre pas la volonté politique de remettre la destin de l’Algérie aux mains du peuple pour un état civil et de droit loin du militaire avec une doctrine de la mm nature que le colonialisme.

  7. Chers compatriotes démocrates républicains authentiques.

    J’espère que vous allez rester calme et ne pas me traiter de perturbateur, de saboteur de la cohésion apparente de notre perle, appelée Hirak, que Dieu nous a envoyé un certain 22 février. Et donc, je me pose la question de savoir pourquoi on n’évoque jamais ouvertement la question de l’ingérence de la religion dans la politique. Pourquoi a-t-on la trouille à ce point, TOUS, d’évoquer la question de la séparation du politique et du religieux, aussi bien sein du Hirak (qui ne l’a évoqué à aucun moment depuis le 22 février) que lors de nos nombreux et divers débats dans les médias ou même lors de nos agoras publics. On évoque certes la démocratie (cette définition n’est malheureusement et hélas pas la même signification chez tout le hirak), on parle tout le temps de la séparation de la politique et du militaire (Etat civil et non militaire !!!), mais jamais, jamais on ose évoquer le premier sujet qui est tout aussi important.

    Je peux bien comprendre qu’au moment de l’appel du 1er Novembre 54 qu’on dise que le but de la révolution est d’instaurer un l’État algérien souverain, démocratique et social en ajoutant « dans le cadre des principes islamiques » du fait qu’à l’époque on pouvait comprendre de faire appel à l’islam pour mobiliser au maximum les citoyens algériens à la cause de l’insurrection armée, mais maintenant est-ce que ce paradigme politique de l’époque peut toujours être appliquer, imposer ou bien en définir un autre plus en adéquation avec notre projet démocratique futur ? Est-ce qu’il ne faut parler simplement d’une l’instauration d’un véritable Etat de droit, d’un authentique pays démocratique, social et juste ou chaque citoyen , quelqu’il soit, à des devoirs et des obligations envers son pays, sa nation, sa patrie mais pas «obligatoirement» envers la religion qui est une question certes respectable et estimable, et je le comprends chez tout être humain, mais que c’est juste une question purement privée et qui ne concerne que sa propre conscience individuelle ! Oui , on a certes une identité et une culture islamique mais Dieu ne peut jamais blasphémer pour dire qu’il faut gouverner un pays à partir de son Coran révélé , alors que la religion telle qu’elle devrait être est une question entre le créateur et son croyant, pas plus ni moins !

    Est-ce que ce n’est pas une fuite en avant, un manque de courage de NOTRE part de fuir ce débat là ??? Est-ce que laisser la religion continuer à jouer un rôle dans la vie politique ne va revenir nous empoisonner la scène et notre vie politique ? Si un parti politique islamiste arrive à conquérir le pouvoir par les urnes est-ce qu’il ne faut pas dès à présent prévoir des « digues institutionnelles » qui empêcherait l’encouragement des élus et du Président de la République légalement élu d’être tenté par la création d’une république gérée par l’islam ou de gérer par le recours au Coran pour gouverner politiquement ? Est-ce qu’il faut continuer à rester dans l’hypocrisie au motif que ce n’est pas le moment d’évoquer cet aspect qui risque de diviser le Hirak ? Moi je pense qu’il faut battre le fer tant qu’il est chaud sinon les vrais démocrates seront dépassés par les événements au moment venu. Les démocrates doivent définir dès à présent dans leur projet démocratique ce qu’ils désigne par « pays libre et démocratique » et ce qu’ils entendent par le « respect des libertés individuelles et collectives» !

    Moi je vous avoue franchement, et je ne vous le répéterai jamais assez, pour moi ce Hirak n’a pas pour objectif de seulement vaincre ce pouvoir, changer ce régime. Il devrait débouchera sur une interdiction de l’utilisation de la religion a des fins politique comme il le souhaite en ce qui concerne l’instauration d’un l’Etat civil et non miliaire. Si ce n’est pas le cas, eh bien je vous le laisse ce Hirak et je dis et à voix haute : « in’aal bou hath el hirak », que ce Hirak aille au diable. Pour moi cette question est primordiale, autant d’ailleurs que la question de la reconnaissance du socle identitaire berbère et arabe de l’Algérie sans aucune hiérarchie l’une sur l’autre car dans notre prochaine nation qu’on va construire, car elle n’existe pas encore vraiment quoi qu’on dise, on ne doit tout simplement être que des ALGÉRIENS (et j’ajoute pour faire plaisir à tous le monde). …Inchaa Allah comme on aime à le dire !

  8. Merci Monsieur Abdellah pour votre réaction car c’est clair, net et c’est aussi simple que se que vous dîtes! L’amnésie est un handicap qui peut toucher tout le monde !

  9. Ce Kamel daoud est entrain de déconner totalement! il y a un Monde fou to day in the street in this town Constantine algries oran, ce pauvre kamel qui vit très loin de la réalité et la vérité un seul objectif pour lui c’est défendre ses intérêt avec fafa et le point, franchement marre de cette racaille dominée symboliquement!

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