Maladie du Président et le grand cafouillage de la communication institutionnelle.

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Youcef L’Asnami

« Une grande confusion s’est développée dans la presse à propos de l’état de santé du président Abdelmadjid Tebboune. L’agence russe Russia Today a publié une information à ce propos, citant comme source Abdelhafi d Allahoum, conseiller du chef de l’Etat pour les Affaires extérieures. Or, l’intéressé affirme qu’il n’a jamais parlé à Russia Today, d’autant plus que la communication n’est pas de son ressort.

Trop de rumeurs ont circulé sur la santé du Président. Selon une source digne de foi, il serait complètement guéri. Il serait encore retenu en Allemagne pour des séances de remise en forme et il sera de retour au pays dans quelques jours »

C’est le surréaliste courrier qu’auraient adressé les services de la Présidence de la République algérienne au journal El-Watan qui l’a publié dans son édition du 28 novembre dernier.

Si cette information est vraie, elle laisse pantois l’algérien soucieux de l’état de santé de son Président.
D’abord par la forme. Un courrier adressé à un quotidien national publié en page deux dans un petit encart passé presque inaperçu.

Et ensuite sur le fond ! Le courrier dément les propos du conseiller du chef de l’Etat avant de nous informer sur l’état de santé du Président de la République en citant une source « digne de foi » sans préciser laquelle. Autrement dit, même les services de la Présidence ne seraient pas au courant de l’évolution de l’état de santé de M. Tebboune ? Kafkaïen !

Est-ce cela « l’Algérie nouvelle » promise par nos gouvernants ? Une opacité des plus regrettables qui laisse libre cours aux rumeurs des plus folkloriques aux plus malsaines de ceux qui veulent voir l’Algérie sombrer dans le chaos.

Cette opacité a toujours fait partie des constantes nationales en particulier quand il s’agit de connaitre l’état de santé de nos présidents. Nous avons connu cela avec Boumediene, puis Bouteflika avant Tebboune.

Avec son projet de nouvelle constitution, le Président Tebboune voulait pourtant assoir les bases d’un Etat de droit, démocratique et transparent, une « Nouvelle Algérie » qui rompt avec les pratiques du passé. Sauf que Tebboune est malade et hospitalisé en Allemagne. On ne peut le tenir comme responsable de la scandaleuse communication sur son état de santé.  Mais le système lui est bien en place et continue de fonctionner fidèle à lui-même en privant les citoyens algériens ce qui les regarde le plus : la santé de leur Président.

Avant lui, Boumediene en 1965, avait exactement les mêmes intentions en lisant cet extrait de la Proclamation du conseil de la révolution du19 juin 1965 rédigé par lui-même dans les colonnes du monde diplomatique qui a publié dans son numéro d’octobre 1965 un supplément de 20 pages consacré à l’Algérie.

« Un Conseil de la Révolution a été créé. Il a pris toutes les dispositions pour assurer dans l’ordre et la sécurité le fonctionnement des institutions en place et la bonne marche des affaires publiques. Par ailleurs, il s’attachera à réunir les conditions pour l’institution d’un Etat démocratique sérieux, régi par des lois et basé sur une morale, un Etat qui saura survivre aux gouvernements et aux hommes ».

دولة لاتزول بزوال الرجال

Ce slogan, comme les autres slogans que l’on a connus, est devenu historique et caractérise l’ère de Boumediene. Il y a 55 ans !

Dans cette même proclamation, Boumediene dénonçait « La mauvaise gestion du patrimoine national, la dilapidation des deniers publics, l’instabilité, la démagogie, l’anarchie, le mensonge et l’improvisation [qui] se sont imposés comme procédés de gouvernement. Par la menace, le chantage, le viol des libertés individuelles et l’incertitude du lendemain, l’on s’est proposé de réduire les uns à la docilité, les autres à la peur, au silence et à la résignation ».

L’histoire ne se répète pas, mais elle se plagie disait J. Deval.

Cet extrait du livre de Pierre Accoce et Dr Pierre Rentchnick  « Ces malades qui nous gouvernent »  Stock – 1993 à propos de la maladie de Boumediene et où il était déjà question de cette « Algérie nouvelle » !

« A aucun moment, selon l’A.P.S., le président Boumediene n’a été plongé dans un coma décérébré […]. L’activité de son cortex cérébral est parfaitement normale […], et il n’est aucunement en état de survie artificielle. »

Le risque était grand pour les autorités algériennes. En laissant prolonger la vie du chef de l’État par des moyens purement mécaniques, une pratique peu humanitaire déjà condamnable, elles s’exposaient de surcroît à de vives controverses avec les milieux intégristes musulmans que pouvait choquer ce moyen « de s’opposer à la volonté d’Allah ». Officiellement, le coma qui submergeait Boumediene ne pouvait donc qu’être « réversible ». Le Conseil de la révolution algérienne ne donna en fait le change qu’à ceux qui voulurent bien se laisser abuser. Il résolut de stopper la réanimation devenue depuis longtemps inutile, de « débrancher », quand la succession du chef fut assurée. Dès que le colonel Bendjeddid Chadli, le futur président, fut pressenti. La décision si tardive profita de deux manières au régime. Elle permit de préparer psychologiquement l’opinion algérienne à la disparition du leader, en gommant en douceur le choc d’une fin dramatique. Elle laissa surtout aux héritiers le temps de prévenir, du moins dans l’immédiat, toute tentative de remise en cause des options révolutionnaires de l’Algérie nouvelle On peut s’interroger devant de tels agissements politico-thérapeutiques, consistant à « programmer » aux heures convenant aux régimes en place la mort réelle des gouvernants. Les Algériens n’ont rien inventé ».

Non les Algériens n’ont rien inventé. 55 ans après, le constat reste le même ! Exactement le même pour celui qui suit l’actualité du pays. Sauf qu’en 1965, les réseaux sociaux et les médias privés n’existaient pas et la presse était muselée. L’Algérie entamait son développement économique sous un régime présidentiel reposant sur sa « légitimité révolutionnaire » dénoncée par Bouteflika en 2004 !

Pourquoi ce black-out sur l’information ? A quoi servent le ministère de la communication, l’APS et les autres organes officiels de communication et d’information ? On se le demande vraiment.

On voudrait bien y croire à cette « Algérie nouvelle » ! Mais les faits sont têtus. La diffusion d’un post relatif à l’état de santé du Président de la République par la chaine internationale de la radio algérienne, qui rapportait les déclarations du conseiller à la présidence de la République affirmant à une chaine russe que « l’état de santé du chef de l’Etat s’améliorait » puis sa suppression par cette même chaine ne va pas dans le sens de cette « Algérie nouvelle » !  Le courrier de la Présidence de la République au journal El Watan ne fait que confirmer cette anarchie dans la communication officielle.

Le boycott massif du vote en faveur de la nouvelle Constitution censée fonder cette «Nouvelle Algérie» et légitimer le président Tebboune, après son élection contestée en décembre 2019 aurait pu être un signal d’alerte. Il n’en est rien hélas !

Tebboune  est absent mais le système dont il est issu est bien présent.

Selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), quelques 90 prisonniers d’opinion, sont actuellement derrière les barreaux, la plupart pour des publications sur les réseaux sociaux. A cela se rajoute la gestion de la pandémie du corona virus qui, selon de nombreux spécialistes sur le terrain, serait très mal gérée : chiffres officiels des contaminations et des décès contestés, hôpitaux dépassés, cherté des tests de dépistage…

A cette communication chaotique relative à l’état de santé du Président de la République, il faut rajouter celle qui concerne les milliers d’algériens bloqués à l’étranger et qui sont inondés d’informations aussi contradictoires que non officielles.

Les communiqués officiels sur ces deux sujets sensibles restes laconiques. Les médias en ligne ont du mal à trouver des sources fiables pour informer leurs lecteurs. Les fakes news inondent la toile. Un gâchis innommable.

Tout cela ne contribue pas à la sérénité des citoyens dont beaucoup vivent dans l’angoisse aussi bien sur le plan sanitaire, économique et social.

PS. Le site officiel de la Présidence de la République « El-mouradia.dz » a disparu de la toile alors que la plupart de nos consulats à l’étranger signalent encore le lien de la page.

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