En finir avec les enfantillages

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Tahar Khalfoune

  La résolution d’urgence du Parlement européen du 26 novembre dernier sur la détérioration de la situation des droits humains en Algérie adoptée à une écrasante majorité (669 voix pour, 2 contre et 22 abstenants), parce qu’elle a soutenu le hirak, dénoncé les arrestations et détentions arbitraires et invité les autorités algériennes à respecter les engagements internationaux de l’État algérien en matière des droits de l’homme, a suscité le courroux prévisible des dirigeants algériens et de certains partis alliés du régime.

Ces réactions dénonçant le Parlement européen, véritable conscience agissante des peuples d’Europe, font preuve d’un certain aplomb ! Elles sont fondées sur le postulat, évidemment irrecevable, que cette résolution est une ingérence dans les affaires intérieures du pays. Or l’accord d’association signé par l’Algérie et l’Union Européenne, entré en vigueur depuis 2005, attache une grande importance au respect des principes des droits humains et précise (art. 2) que les principes démocratiques inspirent les politiques des deux parties.

Qui plus est, la résolution n’a qu’une valeur de recommandation, dépourvue de toute force contraignante, alors que le régime, lui, n’a pas hésité à solliciter l’appui des puissants États occidentaux par la mobilisation de sa diplomatie et ses réseaux à l’étranger y compris l’envoi, on s’en souvient, de l’ancien chef d’État intérimaire, Bensalah, à Moscou. Rappeler un État au respect de ses engagements internationaux ne constitue en aucune manière une ingérence dans ses affaires intérieures. Dès lors qu’un accord avec d’autres États est ratifié par l’État algérien, sa valeur juridique devient supérieure aux lois nationales (art. 150 de la constitution 2016 et 154 de la constitution révisée) et ses dispositions sont par conséquent opposables à l’Algérie. Aucun Etat ni aucune organisation n’a contraint l’Etat algérien à ratifier ces accords.

Cette résolution est d’autant plus justifiée compte tenu de la réalité des atteintes massives aux libertés publiques que ses griefs portent sur les droits de l’Homme qui, du fait de leur la dimension universelle, échappent au domaine relevant essentiellement de la compétence des États au sens de l’article 2.7 de la charte de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Et si les autorités sont si convaincues du bien-fondé de leur allégation d’ingérence de cette institution européenne dans les affaires intérieures du pays qu’attendent-elles alors pour saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), compétente à connaître des actes du Parlement ou du Conseil européens, pour faire condamner le premier ?Les déclarations condamnant la réaction des eurodéputés, représentant les peuples de l’Union européenne et non les États, trahissent le désintérêt des autorités algériennes de l’état des droits fondamentaux des citoyens qu’elles ont bafoués. Il s’agit d’une attitude récurrente des dirigeants algériens consistant à exiger de l’Union européenne et, plus généralement, de la communauté internationale, de remplir à l’égard de l’Algérie l’ensemble de leurs devoirs, du respect de la souveraineté à l’assistance financière, tandis qu’eux-mêmes ne respectent guère, à l’intérieur de leurs frontières, les libertés et droits fondamentaux des citoyens.

S’affranchir ainsi de ses obligations, au-delà de l’incompréhension que cette attitude suscite, participe de l’infantilisation des esprits et aggrave l’image dévalorisée des dirigeants à l’étranger et valorise paradoxalement celle du hirak. Le régime algérien s’efforce depuis longtemps de soustraire le pays de tout regard extérieur et diabolise à dessein l’étranger en multipliant les discours sur « la main étrangère », les ennemis intérieurs et extérieurs du pays pour mieux contrôler et soumettre la société en l’éloignant de l’évolution des sociétés, notamment sur les questions de dignité, de respect et des droits humains.

En agitant l’ingérence étrangère dans les affaires intérieures, le pouvoir algérien entend bien poursuivre la répression du hirak en imposant le silence tant à l’intérieur en muselant les médias public et et privé qu’à l’extérieur en intimidant les ONG de défense des droits de l’Homme, le Parlement européen, les collectifs d’Algériens qui agissent à l’étranger… En agissant de la sorte, il confirme sa volonté de transformer le principe onusien du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » en droit de l’État à disposer du peuple algérien.

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