Après six ans d’un mandat marqué par la banqueroute du pays, l’échec d’une révolte populaire et l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth, le général Aoun a quitté la présidence du Liban fin octobre. Reste à savoir qui le remplacera, alors que les négociations avec le FMI sont au point mort.
ÉCONOMIE > POLITIQUES > HENRI MAMARBACHI > 4 NOVEMBRE 2022
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En cette fin d’octobre, le Liban a clos un nouveau chapitre, peu glorieux, de son histoire, avec la fin du mandat de son chef de l’État. Dimanche 23 octobre 2022, Michel Aoun a quitté le palais présidentiel pour sa résidence privée au nord de Beyrouth sous les hourras de ses partisans. Alors même que son pays est en banqueroute financière et politique et navigue désormais avec un gouvernement démissionnaire et un parlement paralysé.
Il laisse un pays à genoux, balloté par une classe dirigeante qui se refuse à l’action, semblant lui préférer ses querelles intestines et l’immobilisme. Au même moment, l’inflation est estimée à 161,9 % en rythme annuel fin août (selon l’agence Bloomberg), le système bancaire et financier est « en faillite », le chômage galope et une partie de la population est forcée à l’exil, notamment la plus jeune et la plus diplômée. Mais des Libanais pauvres commencent également à quitter le pays au péril de leur vie, au moyen d’embarcations de fortune, comme d’autres migrants d’Afrique et du Proche-Orient touchés par la misère.
Depuis la crise politico-financière et la colère de la rue contre la corruption qui l’a engendrée qui perdurent depuis 2019, le PIB libanais a été divisé par quatre et vaudrait actuellement moins de 20 milliards de dollars (20,28 milliards d’euros). Quant à la dette publique, elle a atteint un nouveau record : 101,1 milliards de dollars (102,5 milliards d’euros), selon les chiffres publiés en avril 2022 par le ministère des finances.
Concrètement, les clients des banques vivent un enfer quotidien. Ils se disent victimes d’institutions qui leur refusent l’accès à leur argent, ne leur laissant retirer que des sommes minimes. Pour symboliques qu’ils soient, on assiste depuis des mois à des braquages de leur propre compte par certains clients qui n’hésitent plus à utiliser des armes à feu pour obtenir leur dû.
Dans ces conditions, de quoi sera fait demain, après la fin du mandat de Michel Aoun, un général de 89 ans au parcours rocambolesque ? « J’attends avant tout qu’il quitte une bonne fois pour toutes son infernal palais, le reste viendra ensuite », confie Camille Chalabian, un gros commerçant, à Orient XXI.
Le reste, c’est-à-dire des négociations financières avec le Fonds monétaire international (FMI) qui réclame des réformes, mais qui sont constamment retardées par l’absence de volonté des parties libanaises. Au grand désespoir des « amis du Liban », en tête desquels la France, mais aussi nombre de pays occidentaux.
LA MENACE D’UN « CHAOS INSTITUTIONNEL »
Comme pour redonner du cœur ou de l’espoir à ses compatriotes, Michel Aoun a déclaré samedi à l’agence Reuters, à la veille de son départ, que le Liban pourrait sombrer dans un « chaos constitutionnel », sans que personne ne soit en mesure de lui succéder à la magistrature suprême, alors que le gouvernement de Nagib Mikati est uniquement chargé d’expédier les affaires courantes depuis le 22 mai, après les élections législatives de la mi-mai qui ont donné naissance à un parlement sans majorité, très fracturé et dominé par les vieux partis.
Le gendre du chef de l’État et son héritier putatif Gebran Bassil, qui a été placé sur une liste de sanctions par les États-Unis en 2020 pour corruption présumée, a des ambitions présidentielles, bien qu’il le nie. Aoun a soutenu le 30 octobre que ces sanctions ne l’empêcheraient pas d’être éventuellement candidat à la présidence. « Une fois qu’il sera élu (président), les sanctions disparaîtront », a-t-il ajouté, sans plus de détails. Il a ainsi mis au clair les ambitions de son gendre, qui préside aux destinées du Front patriotique libre (FPL) créé par son beau-père. Pour compliquer les choses, Michel Aoun a signé, dimanche, un décret « acceptant la démission » du gouvernement intérimaire de Nagib Mikati. Mais ce dernier a récusé d’avance sa propre démission, estimant qu’en cas de vacance présidentielle, les prérogatives du chef de l’État seront transférées au gouvernement actuel. Mikati est un homme politique sunnite de Tripoli et ce richissime entrepreneur est un adversaire du chef de l’État sortant. Il est également proche des monarchies du Golfe alors que le vieux général et le FPL sont des alliés de la principale force politico-militaire libanaise, le Hezbollah chiite pro-iranien.
UN ACCORD QUI BUTE SUR LES RÉFORMES
Alors que l’exécutif est paralysé, l’espoir de voir un accord poindre avec le FMI n’enregistre pas de véritable avancée. On pouvait pourtant se montrer quelque peu optimiste lorsque le 7 avril 2022, FMI et dirigeants libanais se félicitaient tour à tour de la conclusion d’un accord préliminaire (Staff-Level Agreement). Le FMI s’engageait à débloquer 3 milliards de dollars (3,04 milliards d’euros) sur 4 ans si le Liban lançait une première salve de réformes dûment identifiées. Le FMI avait l’espoir qu’un accord soit signé une fois passée l’échéance électorale de mai. Or rien de tout cela n’a abouti, et la délégation de l’institution monétaire venue à Beyrouth en septembre est repartie sur un constat amer, en l’absence de progrès réels, notamment pour mettre fin à la gabegie de l’État et restaurer la confiance. « Malgré l’urgence d’agir pour résoudre la profonde crise économique et sociale du Liban, les progrès dans la mise en œuvre des réformes convenues dans le cadre de l’accord de stabilisation et d’association d’avril restent très lents », avait indiqué le FMI dans un communiqué.
De fait, l’institution internationale avait demandé l’adoption de dix réformes essentielles, dont la parité unique de la livre libanaise (qui en a trois actuellement), un contrôle des capitaux, un audit des principales banques commerciales, un aménagement du fameux secret bancaire (fierté du pays) et la mise en place d’une stratégie de restructuration de la dette publique à moyen terme. Dans un pays qui importe la quasi-totalité de ce qu’il consomme, la parité de la monnaie constitue un indice essentiel pour mesurer le niveau de vie. Or, la livre libanaise arrive troisième parmi les devises qui ont le plus perdu de valeur face au dollar américain depuis 2020 (chute de 91,96 %).
Pour le ministre démissionnaire des Finances Youssef al Khalil, membre de la délégation libanaise aux négociations avec le FMI, le Liban est comme « un patient qui a besoin d’une opération à cœur ouvert, alors qu’il souffre d’hémorragie et de malnutrition », a-t-il affirmé le 26 octobre dans une conférence de presse.
Il a notamment prôné la restructuration le secteur bancaire « en encourageant les fusions et les acquisitions entre les banques », notant que les banques devront mettre la main à la poche afin de supporter une partie des pertes que le pays doit absorber. Il a insisté sur la réforme du secteur de l’électricité (autre pré-requis du FMI) un boulet qui pèse dans le déficit public, et qui privé des millions de Libanais l’électricité.
« Nous devons être conscients que l’’institution publique a besoin d’une (…) transformation profondes », a martelé le ministre, en reconnaissant s’il en était besoin que le Liban est victime d’un « système politique menotté par le confessionnalisme qui contrôle toutes les décisions ».
L’ACCORD MARITIME AVEC ISRAËL
Dans ce climat de naufrage, on peut douter que l’accord maritime libano-israélien sur un partage futur d’hydrocarbures au large de la frontière de ces deux pays puisse apporter un quelconque espoir avant plusieurs années. Scellé le 27 octobre, il a été salué par le premier ministre sortant israélien Yaïr Lapid comme une « reconnaissance » d’Israël par le Liban, alors que les deux pays sont toujours techniquement en guerre.
Si le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, farouche adversaire d’Israël, a salué une « victoire pour le Liban et pour la résistance », le président sortant — qui tenait plus que tout à la conclusion de cet accord avant la fin de son mandat — n’a pas hésité à affirmer que « le Liban est devenu un pays pétrolier. Ce qui était un rêve hier est aujourd’hui une réalité », a-t-il lancé en ajoutant : « J’espère que cela constitue un début prometteur, une pierre de fondation pour le redressement économique dont le Liban a besoin ». Sages paroles ou confirmation du proverbe qui assure qu’« au royaume des aveugles, les borgnes sont rois » ?