A nos inconscients blessés. Et alors quoi ?

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Ghania Mouffok

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Une évasion spectaculaire d’une opposante politique qui mobilise pas moins de trois états, le nôtre, l’Algérie, la Tunisie en malheureuse voisine et la France, du fait de sa double nationalité, algéro francaise, ne mériterait pas un post d’une seule ligne comme on rajoute à un plat amer une pincée d’humour noir pour tenter d’encercler la conscience de la tragédie et de l’absurde dans un monde qui se redessine pendant que nous nous enferrons, suspendus à de vieilles chaînes de dépendances et d’aliénation, insupportables ?

Oui, c’est ce que m’a inspiré ce qu’il faut bien appeler l’affaire Amira Bouraoui.

Oui, j’ai tiqué en lisant qu’elle était désormais “sous protection consulaire française” et je ne sais pourquoi cette phrase m’a renvoyée au 19ème siècle, au tout début de la conquête coloniale quand un algérien qui voulait un document de voyage ne savait plus à quelle tutelle s’adresser : l’empire français ou l’empire ottoman ?

Un algérien perdu, sans patrie, sans état pendant qu’à Paris la France inventait l’Algérie française et l’encombrant « algérien sujet français ».

Non, ne comptez pas sur moi pour m’excuser d’avoir une mémoire imprégnée de signes.

Ce n’est ni la France, ni la nationalité française d’Amira Bouraoui qui me fait problème, mais le fait que face à la puissance exhorbitante de la police en Algérie comme en Tunisie, elle n’ait eu pour seule arme que ce passeport français, soixante ans après la naissance de ces deux états souverains nés de la longue résistance de deux peuples à l’effacement. Ce n’est pas la double nationalité qui me dérange mais la disparition du passeport vert, l’algérien.

Non par orgueil national mais par souci d’avenir.

Un passeport n’est pas un simple instrument pour “se barrer”.

Ni un objet de chantage qui se donne et se retire sans droit.

Et c’est dans cet état d’esprit que j’ai écrit : “D’ici que l’on apprenne que même Saad Bou3kba a la nationalité française,  » sous protection consulaire française » ahhh, quelle époque tragique.”

J’avais passé la journée à suivre sur les réseaux sociaux l’incroyable enchaînement de son évasion et de son dénouement par un post qui annonçaait le “Je suis libre, je suis enfin libre” d’Amira Bouraoui.

J’ai alors pensé que sa liberté n’entravait plus la mienne.

C’était oublier la meute des procureurs facebookiens et leur tribunal binaire, le bien et le mal et les prescripteurs de récits halal et d’ordonnance de renvoi au bicarbonate de soude pour soigner mes aigreurs.

Entre le halal et le haram

“C’est scandaleux” soutiennent ils, tout en prescrivant les éléments de langage pour noyer le contredit sous l’inventaire pleurnichard de la mièvrerie et de la souffrance : “La souffrance est humaine”, “la princesse”, “ma louloute”, elle a tant souffert meskina (disponible sur le net, pour les curieux du langage infantilisant en politique).

“C’est indécent” s’indignent ils quand les opposants à ce que représente politiquement Amira Bouraoui se servent de cette affaire pour ouvrir le livre des comptes, les contentieux de “la main de l’étranger”.

Les mains des autres ne sont pas là juste pour applaudir un entre vous.

“On le savait qu’elle avait la double nationalité, et alors” ?

Alors, nous on ne le savait pas encore.

A t on encore le droit d’être surpris avant même d’ouvrir le procès en conséquences ?

Fatiguante cette posture infantilisante de l’opposition par les sentiments dégoulinants depuis une subjectivité débordante, rien n’est objectivé par la pensée écrasée par le bruit de ces libéraux qui utilisent un passeport comme une marchandise sur le marché de l’échange du bon droit contre le droit indigène.

Atterante : Va ma “princesse”, embrasse ton fils pour nous, “repose toi”, un au revoir qui ressemble fort à un enterrement de fin de carrière de la femme politique.

En cherchant la figure du scandale dans ces commentaires des scandalisé e s j’en ai conclu qu’elle ne pouvait se trouver que dans l’écriture sans fard de l’expression “nationalité française”.

Il y a là comme un trouble dans l’accomodement silencieux avec cette nationalité problèmatique qui convoque encore dans l’ inconscient algérien les figures duales de la traîtresse et de la patriote.

Il y a là quelque chose de pas réglé, qui ne passe pas.

Un inconscient blessé qui dépasse largement le cercle de ceux que l’on appelle avec mépris et en français les « patriotards » pour s’élargir jusqu’à ceux qui se déclarent libérés du poids de la patrie, du drapeau et de son passeport vert. Une dualité tapageuse, bruyante que portent autant les lumineux universalistes que les affreux nationalistes.

Et si cette double nationalité reconnue par la loi n’est plus un tabou, devenue tellement commune, elle se porte encore dans la discrétion, surtout quand on se donne vocation à se mêler de politique. C’est depuis ce trouble d’ailleurs que la sœur d’Amira B a jugé utile de préciser sur sa page Facebook, avec un bel humour, que la double nationalité de sa sœur n’est pas un leg famillial mais un droit acquis par son mariage, pour protéger sa famille restée dans Algérie de la suscpicion.

Il n’y a que les imbéciles qui pensent que la loi réduit l’ inconscient.

In fine ce qui me vaut procès en indécence c’est mon mauvais goût à déshabiller ces mots qui cachent.

Et puisqu’il faut en appeler au scandale pour contredire, je trouve pour ma part “scandaleux” ce récit qui réduit une militante politique aussi envahissante qu’ Amira Bouraoui à une pôvre maman sans défense, une jamais sans mon fils, une mère épuisée, fragile écrasée par un pays qui ne mérite pas son sacrifice “alors qu’elle a la nationalité”, écrit admirative une opposante dans un singulier révélateur qui se dispense jusqu’à la nommer, pour elle c’est là que se trouve le suprême sacrifice et c’est le seul qui mérite “respect”, que dire sans blesser ?

Pour ma part, je trouve qu’Amira Bouraoui est de ces femmes puissantes, une sulfureuse opposante d’un rare culot, d’une audace sans limite, ni tabou, il est là son courage.

Il fallait le faire.

Qu’est ce qu’elle à fait ?

Elle n’a eu peur de rien.

Elle a traversé toute l’Algérie jusqu’à la frontière algéro tunisienne, elle est passée d’une frontière à l’autre dans un beau mystère, là où Ali Haddad s’est cassé les dents.

Puis elle a traversé la Tunisie jusqu’à l’aéroport de Tunis où elle s’est présentée à la police des frontière pour prendre le vol, Tunis Paris avec son passeport français sans trace légale de son entrée en Tunisie. On imagine la tête du policier des frontières en service.

Comme une joueuse de poker, elle a mis sa liberté sur le comptoir, elle a misé sur sa chance et elle s’est dit en conscience : ça passe ou ça casse.

Et elle a gagné la partie, quelqu’en soit le prix à payer.

Et c’est depuis cette audace impressionante qu’elle a communiqué à travers ses avocats pour devenir cette femme dans “une cage de verre” qui pleure.

Soit, le dénouement est heureux, nous dit on.

Il y a pourtant quelque chose qui cloche dans ce récit complaisant.

L’affaire Amira Bouraoui n’est pas un fait divers, une évasion spectaculaire réussie sans conséquences.

C’est une affaire politique qui mobilise la détermination d’une opposante politique à s’extraire de la justice algérienne qui fuit l’arbitraire, l’autoristarisme, et trois pays, trois polices, trois états, l’Algérie, la Tunisie et la France, trois souveraineté nationales aujourd’hui en conflit.

En matière de droit c’est un cas d’école qui fera sans doute jurispridence.

Un cas d’école qui met en jeu, la souveraineté nationale, la citoyenneté et ce que mon ami historien, Nouredine Amrouche, appelle “leur articulation”.

Cas d’école.

Dans le cas d’Amira Bouraoui rentrée illégalement en Tunisie pour s’extraire de ce qu’elle considère arbitraire dans son pays mais possédant un passeport français, quel droit s’applique et devient effectif : le droit tunisien, le droit algérien ou le droit français et ce, quelles que soient les appréciations que l’on porte sur chacun.

A l’évidence ici, c’est la puissance de l’état français qui s’est imposée puisqu’elle a quitté la Tunisie sous protection consulaire francaise, « elle est française ».

Ce qui n’est pas sans conséquence politique.

Aujourd’hui l’Algérie parle “d’exfiltration”, autant dire “la France a exfiltré son agent”, rappelle son ambassadeur en France et parle de geste “inamical”.

A minima et peut être un peu tard.

On aura remarqué le silence de l’état algérien au moment des faits alors que la toile s’enflammait et donnait suffisement d’informations pour agir.

On ne sait rien des tractations par définition, si tractations il y a eu entre Tunis, Alger, Paris.

Mais on sait à peu près ce qui s’est passé à Tunis.

D’abord la police des frontières tunisienne a fait son travail, elle a appliqué la loi qui dit on ne rentre pas dans un pays sans réunir les conditions légales et elle a remis à la police A. B.

Cette dernière la garde 48 heures, c’est long, avant de la transférer devant la justice tunisienne qui à son tour a fait ce que lui ordonne la loi, après étude de ce dossier épineux, et selon le témoignage de la prévenue, elle lui a rendu sa liberté et son passeport en attendant d’y voir clair.

Et semble t il, c’est à ce moment là que le droit déraille, la police violente, “ferme ta gueule”, nous dit Amira, la saisit et la mène de nouveau en prison, sans avoi été saisie elle même par la justice.

“C’est un kidnapping” réagit immédiatement son avocat français, qui remplace à partir de ce moment là, les avocats algériens et tunisiens qui jusqu’alors suivaient l’affaire, menace de saisir la justice francaise et il plaide déjà : “…Sachant qu’en droit français la détention arbitraire commise par un agent dépositaire de la force publique est un crime et lorsque ce crime est commis à l’étranger sur un citoyen français, les tribunaux français sont compétents.”

On peut ici, prendre le risque de s’avancer et en conclure que sans l’intervention d’agents de police tunisiens agissant hors du cadre des lois de leur pays, l’affaire devant la justice tunisienne aurait suivi son cours dans le cadre de la souveraineté tunisienne à juger de la légalité d’entrée et de sortie de ses frontières.

En terme de droit, il n’est pas interdit de se demander pourquoi ni l’état algérien, ni l’état tunisien qui emprisonne pour un oui et pour un non leurs ressortissants et ressortissantes au nom de la souveraineté nationale n’ont pas été en mesure d’exercer leur souveraineté nationale alors qu’ils en avaient le droit et les compétences juridictionnelles contre A. Bouraoui qui s’est mise hors les lois en vigueur pour entrer et sortir de ces pays ?

Souveraineté sans citoyenneté

“60 ans après on n’est même pas en mesure d’engager pleinement les ressources du droit attaché à la souveraineté parce qu’ils ont vidé cette souveraineté de son sens” surligne Nouredine Amara

Vidé de son sens.

S’il fallait faire leçon de cette histoire, j’ai appris qu’en définitive un état ne peut exercer pleinement sa souveraineté face à un autre état dans l’égalité que s’il respecte ses propres lois quand il juge ses propre ressortissants et ressortissantes.

Autrement dit que s’ il articule souveraineté nationale et citoyenneté effective qui se défendent à égalité dans le respect des lois qui protègent l’état contre les citoyens et les citoyens contre l’état.

Sinon, il ne reste de l’état que sa caricature n’exerçant tel un monarque sa souverainté que contre ses sujets.

Ce sont les citoyens qui fondent des états puissants par le consentement de la loi quand elle ne les oppresse pas. On n’oppose pas la souveraineté nationale à la citoyenneté on l’articule, et c’est ainsi que l’on fait société, nation capable de régler ses contentieux sans se jeter dans les bras d’un pays tiers pour arbitrer des conflits nationaux.

Tant qu’un état juge ses gouvernés comme des indigènes, il se condamne à son tour à être traité en état indigène sans droit souverain. Elle est là la colonialité, il est là le corps du délit, il ne se cache pas dans les mains d’Amira Bouraoui.

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