Hassiba ou le courage d’une femme d’exception.

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Youcef L’Asnami
« Si je meurs, vous ne devez pas me pleurer, je serais morte heureuse, je vous le certifie. ».
C’est ce qu’écrivait Hassiba Ben Bouali à ses parents le 15 septembre 1957 alors qu’elle était cloîtrée avec d’autres compagnons d’armes dans une cache de la Casbah d’Alger. Une lettre de quatre pages écrite de sa main, qui respire sa sincérité et son engagement pour la guerre de libération nationale. Cette lettre n’a jamais pu être adressée à ses parents faute d’émissaire en mesure de le faire, comme c’était souvent le cas en cette époque. Elle aurait été trouvée par les parachutistes français au moment de la bataille d’Alger et l’arrestation de Yacef Saadi et Zohra DRIF.
Bouleversé par le contenu de cette lettre, je voulais consulter l’original qui serait toujours détenu dans les archives du Service historique de la défense au château de Vincennes. Juste pour le sentir, le toucher et l’admirer !
Je me suis donc présenté à ce service le 12 février dernier. Après une inscription comme lecteur, et après trois quart d’heure d’attente j’ai eu droit d’accès au fameux carton 1H1245 relatif aux « poseurs de bombes » de la bataille d’Alger. Tous les documents y figurant sont impeccablement classés et le personnel du service est d’une grande coopération. Ce carton contient plusieurs document concernant la ‘bataille d’Alger » dont notamment :
– l’affaire de l’union générale des travailleurs algériens (1956-1958)
– les français de souche nord africaine appartenant au front de libération nationale
– l’explosion rue des Abderrames (Alger) le 8 octobre 1957
– une conférence de presse du 10 octobre 1957
– …
Quelle émotion de se retrouver en face de ces documents d’époque dont la dérogation pour consultation aurait été levée depuis 2012.
Dans ce carton, on y trouve une sous chemise rouge, elle-même dans un classeur dénommé D3, portant la mention manuscrite « Hassiba Benbonali » et non Ben Bouali, dans laquelle je pensais trouver l’original de la lettre de Hassiba. Hélas ! Seule une pâle copie y figurait.
Dans ce même carton on peut consulter un PV d’audition de Yacef Saadi datant du 10 octobre 1957, classé secret, où il est présenté comme « YACEF, Saadi, 29 ans, Boulanger demeurant : 3, rue des Abderrames, Casbah-Alger. (…) marié 1 enfant, Nationalité Française. Détenu au centre de tri du Sous-Secteur centre depuis 24 septembre 1957. ».
A une question lui demandant de définir le rôle de HASSIBA BENBOUALI, Yacef Saadi a répondu :
« Hassiba BEN BOUALI faisait partie en 1956 du groupe de Khechida Abdellah dit « MOURAD » qui travaillait au laboratoire de Birkhadem. Elle effectuait le transport des bouteilles d’acide pour le compte de « MOURAD » . Après la découverte de l’affaire par la police, elle fut recherchée et condamnée à 20 ans de Travaux Forcés. KECHIDA Abdallah me présenta HASSIBA BENBOUALI à ce moment-là, soit en octobre 1956. Dès lors je lui assurai un refuge et en raison de sa formation d’infirmière, je l’utilisais pour donner des soins aux familles. Elle a partagé l’existence de notre groupe depuis ce moment-là. Hassiba BEN BOUALI était au courant de toutes nos activités et m’a rendu de grands services dans le secrétariat de la direction. En dehors de son activité ancienne au profit du laboratoire de Birkhadem, elle n’a pas pris part directement aux activités qui ont été menées par les groupes armés ».
Suit alors la mention « lecture faite, persiste et signe et la signature de Saadi « Yacef ».
On trouve dans ce même carton un autre PV d’audition de Yacef Saadi relatif cette fois à Amar Ali dit « Ali la Pointe » sur le quel nous y reviendrons dès que possible.
Dans une autre chemise, on peut également consulter un autre procès-verbal des renseignements judiciaires concernant une « atteinte à a sûreté intérieure de l’Etat, association de malfaiteurs, détention illégale d’armes et d’explosifs et destruction d’immeubles par explosion » dont les auteurs sont « Ali La pointe et consorts ». Dans ce PV il est mentionné que « Des renseignements recueillis sur les lieux, il résulte que, la nuit précédente, des forces de l’ordre appartenant au 1er REP, ont localisé dans l’immeuble N° 5 de la rue des Abderrames, une cache devant abriter des rebelles notivement recherchés. Après sommation à ces derniers, sans réponse, et ordre d’évacuation aux habitants des immeubles 5 et 7 de la rue, l’ouverture de la cache à l’aide de 4 pétards d’explosifs a été décidée. Des explosions en chaîne, vraisemblablement dues à la présence d’explosifs dans la cache, se sont alors produites, occasionnant les dégâts aux immeubles précités, sous les décombres desquels se trouvent les cadavres de plusieurs habitants, surpris par l’explosion. ».
Suit alors une longue liste des blessés et des cadavres retirés des décombres dont celui de « BENBOUALI Hassiba alias AIT-SAADA, Hassiba, 29 ans demeurant à Alger, Bâtiment HLM, groupe 8, au champ de manœuvres ». 29 ans au lieu de 19 ans !
Pour l’identification des cadavres, on peut lire la déclaration suivante du père de Hassiba :
« BENBOUALI, Abdelkader, employé de bureau au G.G, né le 12 février 1906 à Guerboussa, C.M. de Cheliff (Alger), demeurant à Alger, HLM du Champ de manœuvre 8eme groupe, bâtiment A :
« Je reconnais le corps que vous me présentez comme étant celui de ma fille Hassiba, née le 20 janvier 1938 à Orléansville. Celle-ci m’a quitté depuis le 7 octobre 1956, sans me dire où elle allait. Je ne l’ai jamais revue depuis et j’ignore totalement ses fréquentations. »
Le document rappelle un peu plus loin deux mandats d’arrêt relatifs à Hassiba datant du 18 février et 25 mai 1957.
Dans une conférence de presse des autorités françaises de l’époque, Hasssiba est décrite comme « infirmière, cultivée, (qui) a commencé son activité subversive, comme Zohra Drif, dans le groupe de Khechida Abdallah… »
La lecture de ces précieux documents donne un aperçu de que furent ces grands hommes et surtout es grandes femmes qui ont délaissé leur jeunesse, leur vitalité et leurs vies personnelles pour la libération de l’Algérie du joug colonial.
Hassiba était belle, jeune et « cultivée » pour reprendre l’expression citée plus haut. Issue d’une famille aisée, elle a renoncé à sa carrière professionnelle pour se consacrer à la libération du pays avec ce soucis de l’avenir des générations montantes et de leur droit à la scolarité : « Ne vous en faites surtout pas pour moi, il faut penser aux petits qui vont bientôt reprendre et qui j’espère travailleront bien.. » écrivait t-elle.
Dans sa lettre à ses parents, elle proclamait sa foi au combat libérateur. « Vous savez que je suis très recherchée ici à Alger donc il m’est impossible de (ne) rien faire. Aussi ai- je décidé enfin, il est de mon devoir de partir au maquis où je sais que je pourrais servir comme infirmière ou même s’il le faut et je l’espère de tout mon coeur combattre les armes à la main, enfin la route sera bien sûr assez difficile pour arriver jusqu’à un maquis, mais j’espère qu’avec l’aide de Dieu j’arriverai saine et sauve. ».
C’était son vœu. Sa volonté de combattre les armes à la main. Comment ne pas être ému et admiratif devant le courage de cette jeune fille ? Comment ne pas mettre ses dires et ses actes en face des déclarations aussi folkloriques que ridicules d’un Ould Abbes et consorts se réclamant comme des Moudjahed ? Ceux- là même qui ont exploité la mémoire des chouhadas à leur seul profit en piétinant les idéaux pour lesquels ils ont sacrifié leurs vies non sas fierté. Une autre époque ! Celle de la résistance, de la foi pour le combat armé, de la non compromission, du courage et du patriotisme.
Pour honorer sa mémoire, une des plus grandes artères d’Alger centre ainsi que l’Université de Chlef ont été baptisés en son nom. Mais le projet de lui consacrer un musée dans sa ville natale, dont les plans auraient été proposés par un certain Rudy Ricciotti, natif d’Alger n’a toujours pas vu le jour à ma connaissance. Ne le mérite t-elle pas ?
 

8 Commentaires

  1. C’était une grande et courageuse militante ,ce qui est frappant en elle c’est sa profonde sincérité et une détermination sans faille pour libérer son pays , ce qui n’était pas le ca de tous es militants . Malheureusement l’utilisation « intensive » de la rente de ces militants et militants sincères et admirables tend à discréditer la lutte difficile et les sacrifices menées par tout un peuple .Il faut qu’on mène tous ensemble une mémorielle sans merci,il ne faut surtout pas que les charognards( nouveaux et plus anciens)utilisent cette belle page de notre histoire pour se maintenir au pouvoir ou acquérir (encore) plus d’argent

  2. Allah Yerham Echouhada ! …. Très émouvant ! et cette lettre qui comme celle du Chahid Ahmed Zabana envoyée a ses parents elle aussi , avant son exécution , ne peut que donner un libre cours instantané a nos larmes …. Leur engagement sincère , leur dévouement a leur cause et leur foi en Dieu ne se retrouvent que rarement et exceptionnellement sur le long fleuve de l’histoire humaine … Ce que nos ainés ont donnés a cette terre en amour et en sang devrait etre présent comme flamme dans nos quotidiens et comme testament a ne jamais trahir …. Les simples gents , fils de l’Algerie meurtrie , affaiblie que malgré la presque impossibilité de la mission , ont étés présent a l’appel du Djihad , a l’appel de la Nation , a l’appel de la liberté ont choisis de mourir pour leur reve de nous voir enfin libres citoyens dans notre chere Algerie …. Un cadeau suivi du dernier clin d’oeil complice ,  » ETHALAW  » ! … Mission accomplie ! la balle n’est plus dans leur camp …  » EL FERKH FI YED MEn ZWA  » ! … ALLAH YERHAM ECHOUHADA ! …

  3. Repose en paix Hassiba!
    Il n’y a que ton pardon et celui de toutes tes soeurs et tes freres de combat qui pourra nous sauver de la malédiction qui s’est abattue sur le pays que vous avez liberer au prix du sacrifice suprême!

  4. C’est vrai que cette femme m’a marqué par son courage, elle travaillait aussi intelligemment, mais ce qui m’a marqué le plus c’est doute cette femme morte drapeau à la main défiant l’ocuupant en créant « Tahia el djzair » il s’agit de la plus grande des martyres Merieum Bouatoura.

  5. « Vous savez que je suis très recherchée ici à Alger donc il m’est impossible de (ne)rien faire.Aussi ai-je décidé enfin,il est de mon devoir de partir au maquis ou je sais que je pourrais servir comme infirmière ou même s’il le faut et je l’espère de tout mon cœur
    combattre les armes à la main,enfin la route sera bien sur assez difficile pour arriver jusqu’au maquis,mais j’espère avec l’aide de Dieu j’arriverai saine et sauve. »
    Quel courage d’une jeune fille de 19 ans(originaire de la vallée du Ech-chelif,Orléans ville),venue s’installer avec ses parents et s’instruire à Alger,jusqu’à l’appel de la patrie.Une jeune fille qui est capable de se surpasser pour montrer au monde entier que l’Algérie n’était pas,n’est pas et ne sera jamais stérile et qu’elle peut,toujours, compter sur ses enfants pour se libérer.
    Quel engagement!Quel militantisme!Et enfin quel sacrifice de cette femme comme ses semblables(frères et sœurs) pendant la guerre de libération.N’en déplaise à certains esprits mal intentionnés qui essayent aujourd’hui de les dénigrer et de les marginaliser,mais ils ne pourront jamais le faire car les gènes de la combativité et du militantisme sont déjà transmis à leurs enfants.
    Allah Yerham Echouhada et que Vive l’Algérie!

  6. Je n’ai pas pu retenir mes larmes. il a fallu revenir plusieurs fois sur ce magnifique texte publié le jour où certains fetent la Saint valentin.
    Wala tahsabanna allatheena qutiloo fee sabeeli Allahi amwatan bal ahyaonAAinda rabbihim yurzaqoona.
    Ne pense pas que ceux qui ont été tués dans le sentier d’Allah, soient morts. Au contraire, ils sont vivants, auprès de leur Seigneur, bien pourvus
    _Fariheena bima atahumuAllahu min fadlihi wayastabshiroona biallatheenalam yalhaqoo bihim min khalfihim alla khawfunAAalayhim wala hum yahzanoona.
    et joyeux de la faveur qu’Allah leur a accordée, et ravis que ceux qui sont restés derrière eux et ne les ont pas encore rejoints, ne connaîtront aucune crainte et ne seront point affligés.
    _Yastabshiroona biniAAmatin mina Allahiwafadlin waanna Allaha la yudeeAAuajra almu/mineena
    Ils sont ravis d’un bienfait d’Allah et d’une faveur, et du fait qu’Allah ne laisse pas perdre la récompense des croyants.
    Qu’Allah nous accorde une mort sur Son sentier. Amine.
    Merci Youcef Lasnami pour avoir reveillé nos consciences . Votre texte est aussi emouvant que le texte de Hassiba. Merci merci merci.Rabi Ijazik. Allah yarham echouhada

  7. Pour que vivent des Naima Salhi des Khalida Messaoudi, des Louisa Hanoun… qui se pavanent entre les hemicycles du Bvd ZIGHOUT Youcef juste à côte de la place des MARTYRS Allah Yarhamhum ou Yarahmek ya HASSIBA, dire que nous aussi nethasbu demain, que dieu nous pardonne car nous avons accepté la médiocrité et l’hypocrisie, nous n’avons pas le courage des femmes que vous étiez.

  8. @Salamalikoum
    Réconfortant qu’un Journalise ose parcourir des centaines de kms et remonter 60 ans d’histoire.
    Un hommage rendu à une jeune fille à peine sortie de l’adolescence mais qui a fait le choix sublime.
    Aujourd’hui ,une université porte son nom ,un campus , une C.U ,des milliers d’étudiants ; des thèses ,de la recherche.
    Et les nouveaux étudiants(es) ont presque l’âge de Hassiba, ils sortiront plus « vieux »plus diplômés avec beaucoup de rêves et d’ambition mais la réussite en moins.
    Au centre ville de Chlef, une statue de bronze posée sur un minuscule espace
    vert ,des bordures métalliques de mauvaise facture :c’est la place Hassiba BenBouali ,un hommage qui prétend défier le temps et pousser les passants à s’interroger.

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