Témoignage. Printemps Amazigh. Avril 80

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Abbes Hamadene

COURT TÉMOIGNAGE DE MON ENGAGEMENT DANS LE MOUVEMENT CULTUREL AMAZIGH À L’UNIVERSITE DE TIZI-OUZOU ET À IFERHOUNENE

Ce témoignage trop court pour rendre compte de tout ce que j’ai vécu en tant qu’acteur et l’un des animateurs du mouvement à l’université de Tizi-Ouzou (1981-1986), mais également dans ma commune d’Iferhounene.

Les noms de beaucoup d’amis et de camarades qui me sont très chers ne sont pas cités, il en faut beaucoup plus que ce texte trop court pour pouvoir rendre compte de tout ce qu’ils ont apporté au mouvement . Qu’ils m’excusent.

NAISSANCE DU PRINTEMPS AMAZIGH : TATSUT IMAZIƔEN.

L’interdiction de la conférence sur la poésie kabyle ancienne que devait donner Mouloud Mammeri le 10 mars 1980 à l’université de Tizi Ouzou, engendre un mouvement de protestation d’une grande ampleur.Partie de l’université de Tizi Ouzou, la protestation gagne en quelques jours la Fac centrale d’Alger et toute la Kabylie.

C’est la naissance du printemps berbère : TATSUT IMAZIƔEN.

L’identité amazigh qui a résisté et survécu à 20 siècles d’hostilité, n’est pas prête à courber l’échine.

La répression qui s’abat sur les militants et des dizaines de citoyens contribue à une mobilisation de plus en plus large.

LE PRINTEMPS AMAZIGH A IFERHOUNENE

Durant les événements du printemps 1980, je n’étais pas encore étudiant et j’allais passer mon BAC en candidat libre. Le jeune militant, deja engagé dans le combat durant ma période de lycéen (Lycée Larbaa Nath) que j’étais ne pouvait pas rester spectateur devant les événements en cours.

Très rapidement, avec quelques amis défenseurs de l’identité et la culture amazighs, nous avons mis en place un comité de coordination des villages d’Iferhounene pour nous inscrire dans le mouvement de l’Histoire qui était en train de s’écrire.

C’est lors de réunions clandestines au village de Tizit que les décisions et le partage des tâches étaient décidés :

– Cibler des personnes pour élargir notre comité très limité en nombre (Hamid Messahel, Youcef Nait Maouche…).

– Organiser des opérations de tags et inscriptions à la peinture sur des panneaux, arbres, bitume et toutes autres façades : « Tamazight langue nationale et officielle », « À bas la répression », « Liberté », « Assa azeka Tamazight tella tella »…

– Faire le tour des villages pour sensibiliser les citoyens et les encourager à rejoindre le mouvement.

Notre travail de sensibilisation et de mobilisation des citoyens était fructueux, il allait atteintdre son apothéose avec la marche Tizit-Iferhounene (15 kms environ).

Au départ de cette marche, nous étions une vingtaine tout au plus et en traversant chaque village, d’autres personnes de différents âges se joignaient à nous. À l’arrivée, nous étions plusieurs centaines à entonner des chants révolutionnaires de l’époque de la guerre de libération et des slogans de protestation et de revendications.

Ce jour-là j’ai pleuré de joie et je n’étais pas le seul : ce moment reste l’une des plus grandes émotions de ma vie !

Durant les jours qui ont suivi, plusieurs d’entre nous sont interpellés (ma première visite d’une gendarmerie ), seul Hamid Messahel notre leader incontestable passa plusieurs mois en prison dans des conditions inhumaines (Grande injustice : Hamid n’est jamais cité parmi les détenus d’avril 1980).

TATSUT IMAZIƔEN : PREMIER MOUVEMENT POPULAIRE PACIFIQUE CONTRE L’ETAT POLICIER

La protestation passa rapidement d’une phase essentiellement défensive à une autre, fortement offensive. En effet, en posant la question de la reconnaissance de la culture et de l’identité amazighs, le mouvement a engendré des enjeux sans précédent qui viennent heurter un système fermé à double tour par le parti unique et la mainmise totale de la police politique sur la société.

La revendication berbère dans le contexte d’un système policier s’entrecroisait avec d’autres questions : pluralisme linguistique, libertés publiques, liberté d’expression, justice sociale, droit d’association, droits de l’homme, état de droit…

Autant de questions vouées à remettre en cause le socle sur lequel le régime a édifié son idéologie arabo-islamique exclusive et a bâti un système autoritaire qui lui permet d’avoir un contrôle sur le peuple, le pays et ses richesses.

Faut-il remarquer que toutes les revendications qui allaient être portées par la révolution du 22 février 2019, étaient déjà contenues dans les revendications de Tafsut Imazighen ?

Le combat démocratique porté par le mouvement trouve aujourd’hui une singulière résonnance.

TATSUT IMAZIƔEN NOUS MONTRE LA VOIE

Tafsut Imaziɣen est un moment important dans l’histoire de notre pays. Un moment de vérité qui a permis à une génération de réclamer le droit d’être algérien à part entière et le devoir d’assumer son amaziɣité.

Tafsut Imaziɣen est le premier mouvement populaire basé sur l’automobilisation en dehors des cadres officiels imposés par le système despotique de Boumediene. C’est le début du déblocage historique de l’engagement politique assumé pacifiquement et publiquement.

C’est aussi l’amorce d’une réactivation d’une vie politique étouffée par la chape de plomb de la pensée unique.

Tafsut Imaziɣen a lancé une dynamique qui a transformé la peur en force et permis à une jeunesse de montrer une détermination à sortir la culture berbère d’une lente, mais néanmoins réelle menace d’extinction.

TATSUT IMAZIƔEN : UN MOUVEMENT HORIZONTAL ET NON PAS HIERARCHIQUE

Tafsut Imaziɣen est un mouvement populaire basé sur l’automobilisation initié par une minorité et porté par toute la région kabyle durant des années.

Basé sur l’auto-organisation populaire, le mouvement n’a pas cessé de s’élargir et de s’étendre avec des phases de mobilisation plus ou moins importantes.

Il n’a jamais été une organisation structurellement fermée avec à sa tête un état-major ou un chef suprême qui donne ses directives à des militants subalternes.

Il se présente plutôt comme une constellation hétéroclite et mouvante de comités et collectifs autonomes (étudiants, lycéens, médecins, syndicalistes…), Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme de Ali Yahia Abdenour, Association des enfants de chouhadas présents essentiellement en Kabylie, mais également à Alger et bien sûr dans la diaspora (France et Canada essentiellement ).

C’est un mouvement traversé par plusieurs courants politiques, idéologiques ou culturalistes, autour ou à l’intérieur duquel gravitent des partis et groupes politiques, à l’époque clandestins (FFS, PRS, GCR, ORT, FUAA et autres groupes).

Cependant, il faut tout de même préciser que les groupes les plus influents étaient le CCUH (Comité des étudiants de Tizi Ouzou), le groupe organisé autour de la revue Tafsut et le collectif culturel de la Fac d’Alger.

LE CCUH (COMITE DE CITÉ DE L’UNIVERSITE DE HASNAOUA, REBAPTISÉE AU NOM DU GRAND MOULOUD MAMERI :

UN BASTION DU MOUVEMENT CULTUREL BERBÈRE

L’histoire du CCUH reste à écrire, il faudrait un ou plusieurs livres pour pouvoir rendre compte de sa contribution au mouvement culturel berbère. Ce n’est certainement pas ce petit témoignage qui pourrait y remédier.

Le CCUH a occupé une place prépondérante et a joué un rôle majeur dans l’histoire du mouvement culturel berbère.

Agissant non seulement comme un puissant syndicat d’étudiants autonome et autogéré, le CCUH a également réussi à faire de l’université de Tizi Ouzou, un espace de promotion de la culture amazigh, de la diversité culturelle et un espace de débat politique pluraliste et contradictoire avec un large esprit d’ouverture sur la culture nationale et internationale.

L’enjeu pour nous était de défendre l’identité amaziɣ en associant à notre combat d’autres forces et sensibilités, en dehors de la Kabylie, et d’empêcher ainsi la ghettoïsation de notre mouvement dans lequel le pouvoir cherchait à nous enfermer.

S’il était difficile dans le début des années 1980 de défendre l’amaziɣité, même en kabylie, il fallait avoir des convictions chevillées au corps pour le faire dans d’autres régions. Tamazight méritait d’être défendu en dehors de la Kabylie. Nous l’avons fait !

À l’exemple de ce voyage culturel à l’université d’Oran (1982 ?) où nous avons présenté un programme culturel varié : exposition, chorale et pièce de théâtre en kabyle de Kateb Yacine « La Kahina » par la troupe Imesbriden). Grace au soutien de quelques amis universitaires oranais, présents sur place, nous avons réussi à déjouer un véritable guet-apens tendu par des militants islamistes avec la complicité de l’administration locale.

L’UNIVERSITE DE TIZI-OUZOU : LE TERRITOIRE LIBÉRÉ

Nous avons fait de l’université de Tizi Ouzou, un territoire libéré, où pouvaient s’exprimer ceux qui ne pouvaient le faire ailleurs (syndicalistes, cinéastes, poètes, écrivains…). Il faut noter que nous avons été favorisés par le soutien de grandes figures de la culture algérienne (Kateb Yacine, Mouloud Mameri, Matoub Lounès, Rachid Mimouni…).

Lorsque nous avons lancé une quinzaine culturelle en 1982 en collaboration avec l’indomptable et infatigable militant Mokrane Chemim pour sortir Yennayer de l’oubli, je ne pouvais pas imaginer que tant de chemin serait parcouru: YENNAYER aujourd’hui reconnu jour férié en Algérie et au Maroc !

L’activité culturelle était régulièrement rythmée par des concerts de musique (Matoub, Debza, Ideflawen, Ichenwiyene…), des représentations théâtrales (Troupe de Kateb, Layachi Hmida, Imesbridene…), des festivals de poésie dans les trois langues (Tamazight, arabe et français).

Faute de moyens humains et matériels, nous avons réussi à sortir de façon irrégulière quelques numéros du journal «Tilelli », grace notamment à notre indispensable Faredj Abtout, militant de l’ombre et homme de grande ingéniosité .

Nous avons même organisé deux cycles de cinéma grace à l’aide inestimable du grand réalisateur Mohamed Ifticene. Un premier cycle consacré au réalisateur polonais Andrzej Wajda et l’autre au réalisateur suédois Ingmar Bergman. Malheureusement, le matériel de projection a été confisqué par les autorités.

Le CCUH a organisé des dizaines de grèves générales et des marches populaires largement suivies dans la région. La grève qui m’a le plus marqué, concerne la visite de Chadli à Tizi Ouzou en 1984 : il a trouvé une ville morte, avec des commerces et services fermés. Le succès de notre appel était d’autant plus retentissant que nous étions seuls à avoir appelé à la grève générale.

TATSUT IMAZIƔEN A FORGE LE MILITANT QUE JE SUIS

Comme tous ceux qui ont vécu les premières années du mouvement, je me suis engagé dans le combat politique avec une ferveur joyeuse, un sentiment intense de fierté, une ivresse de l’exploration de nouvelles formes de liberté et le sentiment fort de parachever le rêve prématurément avorté par le clan de Oujda dès 1962 : le RÊVE D’UNE ALGERIE LIBRE ,DEMOCRATIQUE faisant du pluralisme linguistique une source de richesse et de respect mutuel.

Durant mon parcours militant, j’ai eu le privilège et l’honneur de côtoyer et de travailler avec des personnalités éminentes de la culture : Kateb Yacine et le grand Moudjahid Dda Ali Zaamoum, dans le cadre de l’ACT (Association Culturelle des Travailleurs), d’avoir également noué une relation de respect et de fraternité avec Lounès Matoub.

Très jeune, j’étais convaincu que la confrontation pacifique des idées était le chemin à suivre pour construire un avenir démocratique serein. Je lisais tout ce qui me passait entre les mains aussi bien en français qu’en arabe (littérature algérienne et mondiale, Histoire, philosophie, sociologie, théories politiques, économie, actualité internationale, mouvements révolutionnaires …).

Ouvert au dialogue, je comptais des amis et copains proches dans tous les courants politiques qui traversaient le mouvement.

Idéologiquement, sans avoir jamais adhéré à une quelconque organisation, j’étais acquis à l’idée qui consiste à allier le socialisme (justice sociale) aux libertés démocratiques, une ligne de conduite totalement opposée au socialisme stalinien porté par le PAGS à l’époque.

Ainsi, j’étais naturellement très proche des positions de l’extrême-gauche, un courant dans lequel je comptais des amis et compagnons parmi les plus intimes (les regrettés Mustapha Bacha, El Hadj Hadj Moussa, Redouane Osmane et bien d’autres. SANS OUBLIER le valeureux Ihsane El Kadi aujourd’hui injustement condamné et que je salue fraternellement.

Le cadre inédit, informel et souvent fraternel du mouvement, m’a permis de croiser militants aguerris, connus ou anonymes, poètes, artistes, cinéastes, syndicalistes, dirigeants historiques du mouvement national. J’ai puisé auprès de chacun une extraordinaire richesse en termes de connaissances et d’expérience. Ils m’ont tous aidé à construire mon propre système de valeurs qui, pour moi, est le bien le plus précieux : engagement désintéressé, sincérité, honnêteté, respect de l’opinion des autres.

Plus de 40 ans après, je suis fier d’avoir gardé intacts mon engagement militant, mon intégrité morale et intellectuelle. Je n’ai cédé à aucune forme de compromission et toujours su résister à toutes les tentatives de corruption.

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