8 mai 1945 : la bataille du drapeau

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Indépendance4«Il est difficile de faire entendre au colon européen qu’il existe d’autres droits que les siens en pays arabe et que l’indigène n’est pas taillable et corvéable à merci», lit-on dans un rapport de Jules Ferry de 1884.

Il se dégage nettement, à la lecture de ce rapport, que le système colonial n’ait pas pour vocation d’apporter le bonheur ou la sérénité aux peuples colonisés. Plusieurs événements de l’histoire coloniale peuvent étayer cette thèse. Pour le cas de l’Algérie, les événements de mai 1945 sont là pour nous rappeler la domination effrénée des colonialistes. Toutefois, la participation des colonisés à la chute du nazisme, lors de la Seconde Guerre mondiale, laisse, quand même, entrevoir une brèche de liberté.

Néanmoins, malgré un effort de guerre énorme des Algériens, les autorités coloniales n’épargnent pas leurs familles restées au bled. En effet, sur 173.000 Algériens ayant pris part à la guerre aux côtés des Alliés, entre 1943 et 1945, 85.000 sont des engagés. Ainsi, à leur retour au pays, ceux qui ont participé à la campagne d’Italie, de France et d’Allemagne constatent amèrement  que la situation de leurs coreligionnaires ne s’est guère améliorée.

Au contraire, la victoire des Alliés revigore le système colonial abhorré. Et la recommandation parisienne, émise quelques mois plus tôt, a été la suivante : écraser toute manifestation des «indigènes» voulant s’affranchir du giron colonial. Or, en ce jour symbole de la liberté, est-il possible, s’interroge pour sa part Jean-Louis Planche, «d’exalter la passion nationaliste des uns et refréner celle des autres ?»

Mais, dans les années quarante, le mouvement national tirant jusque-là  à hue et à dia a pu s’entendre sur un programme commun. La création des AML (Amis du Manifeste et de la Liberté), le 14 mars 1944, leur a permis de dégager une plateforme commune sous l’égide de l’union des trois partis nationalistes, à savoir le PPA de Messali Hadj, les élus ou les partisans de Ferhat Abbas et les Ulémas de Bachir El Ibrahimi.

En outre, bien que certains courants soient modérés, la revendication des AML pour un État autonome fédéré à la France, au début de ses assises, va bientôt être mise au placard au profit de la création d’un État séparé de la France. Leur combat désormais a pour but de doter le pays d’une assemblée constituante élue au suffrage universel, et ce, par tous les habitants de l’Algérie.

Pour ce faire, les AML ont bataillé dur pour faire connaître le problème algérien aux principales puissances alliées, notamment les USA et les Britanniques. Ainsi, bien que la France ait décidé de garder les départements algériens attachés à elle, les nationalistes savaient que les résolutions des trois précédentes conférences internationales jouaient en leur faveur. De la conférence de l’Atlantique, du 14 août 1941, proclamant «le droit pour chaque peuple de choisir la forme du gouvernement sous lequel il doit vivre» à  la conférence de San Francisco soutenant « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes», ainsi que l’engagement de cette dernière à «tenir compte des aspirations des populations et à les aider dans le développement progressif de leurs libres institutions politiques», tout concourt pour que les pays colonisés recouvrent leur liberté à la fin du grand conflit mondial.
Le drapeau qui a coûté des dizaines de milliers de vies humaines 

Une nation ne peut être considérée comme telle que si elle possède certains critères : son territoire, ses institutions, son emblème, etc. L’Algérie des années quarante ne possède pas tout ça d’une façon tangible, mais dans l’esprit des nationalistes, il ne s’agit que d’une question de temps. Le respect que vouent les Algériens à leur emblème est la preuve de leur désir de vivre dans une Algérie indépendante.

Ainsi, lorsque le commissaire Lucien Olivieri intime l’ordre, le 8 mai 1945 à Sétif, au porte-drapeau de jeter son emblème, ce dernier répond instinctivement : «Le drapeau étant sacré, il est impossible de le remiser une fois sorti.»
Bien que les organisateurs haranguent la foule avant le départ du cortège, pour ces derniers, il ne faudrait pas qu’ils subissent des humiliations, notamment le retrait ou la confiscation du drapeau. Hélas, arrivés à la hauteur du café de France, les manifestants sont arrêtés par le commissaire Olivieri et les inspecteurs Laffont et Haas.

Ces derniers les somment de jeter le drapeau et les pancartes où les principaux slogans sont «l’indépendance de l’Algérie et la libération de Messali». Pour Jean-Louis  Planche, c’est à ce moment-là que le dérapage a lieu. Un des inspecteurs, fou de rage, dégaine son arme. Il abat le porte-drapeau. La panique saisit ensuite toute la ville.

À Guelma, les militants des AML décalent la célébration de  l’armistice à 17 heures de l’après-midi. Bien que les drapeaux des alliés soient fortement présents, les manifestants ne cachent pas non plus le leur. En plus, il ne reste que 500 mètres aux marcheurs pour déposer la gerbe de fleurs.

Soudain, le sous-préfet André Achiary surgit. «Jetez vos drapeaux et pancartes», intime-t-il  l’ordre aux manifestants. Au refus d’obéissance à cette injonction, note J.L. Planche, «comme sous un coup de fouet, Achiary saisit le revolver dont il s’est armé, entre dans la foule droit sur le porte-drapeau et tire. Son escorte ouvre le feu sur le cortège qui s’enfuit, découvrant dans son reflux le corps du jeune Boumaza».

 

Pour conclure, la bataille, menée à mains nues par les Algériens autour du drapeau, a permis de connaître le vrai visage de la colonisation. Avec un arsenal de guerre impressionnant, les colonialistes sont prêts à éteindre toutes les voies appelant à l’indépendance.

Bien que les Algériens ne soient pas organisés à l’échelle nationale –jusque-là, c’était des révoltes localisées, à l’exception de celle de l’Émir Abdelkader –, les animateurs du mouvement national ont pris conscience de la nécessité impérieuse d’une lutte unifiée.
Enfin, l’enseignement de cette semaine sanglante est le suivant : face au système violent incarné par le colonisateur, il faudrait développer une violence plus grande en intensité pour le vaincre. Le chemin pour la guerre d’Algérie prend ainsi forme à Sétif et à Guelma.

Aït Benali Boubekeur

3 Commentaires

  1. C’est toujours avec plaisir que je vous lis cher compatriote. En continuité de votre dernière phrase, l’enseignement de cette semaine sanglante doit se faire dans nos écoles en lui consacrant une semaine de mémoire avec colloque, conférence et visites des sites par les élèves. Faire du thème 8 Mai, un chapitre d’examen au Bac L. Faire de la journée du 8 mai, une journée de deuil national ou les drapeaux doivent être en berne…

  2. Je vous remercie, à mon tour, cher compatriote, Lyes Laribi, d’avoir commenté ce texte. En effet,cette date constitue un événement clé de notre histoire. Je crois, comme vous, que la célébration de cette date doit être un moment fort de mobilisation de notre jeunesse. Votre proposition me parait à la hauteur des sacrifices de nos aînés.

  3. Certains révisionnistes proche de fafa essayent aujourd’hui de remettre en cause le chiffre de 45000 morts alors que ce chiffre a été établis par le consul américain à Alger. C’est tout l’intérêt d’un combat juste, celui de dire à ses braves on vous a pas oublié. Pour cela, il faut que le 8 mai devient un jour dédié à la mémoire combattante et de deuil national. Cordialement.

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