Et si l’Algérie rejoignait le récent accord international sur l’échange automatique des informations bancaires ? Il est parfois des rêves insensés qui caressent l’esprit. Pourtant, même éveillés, nous constatons que l’étau se resserre et la toile mondiale des réseaux d’évasion des capitaux se soumet contractuellement au baiser de la transparence, aussi mortel qu’irrésistible dans son étreinte.
Le 1er janvier 2017 entre en vigueur la norme réglementaire sur l’échange automatique d’information bancaire définie par l’OCDE sous le nom de Automatic Exchange of Information (AEOI). La norme, portée en convention internationale par la signature de 102 États, sera applicable à 56 pays en 2017, dont la totalité des pays européens, 46 autres entreront dans le champ de l’application à partir de 2018.
Pour mesurer l’ampleur de la panique qui s’est installée chez les détenteurs d’avoirs illégaux à l’extérieur de leur pays de résidence, il faut observer le cas français. Récemment, de nombreux scandales ont éclaboussé des ressortissants épinglés par la présence de leurs noms sur des listings bancaires qui ont été déposés sur les bureaux de l’administration fiscale. L’affaire retentissante de l’ancien ministre de l’économie, Jérôme Cahuzac, a fait naître le sentiment que l’aventure offshore était dorénavant risquée car le sacro-saint secret bancaire de certains pays prenait l’eau, comme c’est le cas pour le plus emblématique d’entre eux, celui de la Suisse.
Prenant en compte l’aubaine d’une émotion générale, l’administration de Bercy avait mis en place une cellule de régularisation dénommée STDR (Service de traitement des déclarations rectificatives). Le succès fut inattendu car la cellule a reçu 46 000 dossiers de régularisation et traité plus de 17 000 cas. Le Trésor public français a collecté un pactole considérable de 5,9 milliards d’euros.
Avec l’accord international nouvellement signé, l’administration fiscale annonce la fermeture du service car il n’aura plus de raison d’exister. Au premier janvier 2017, puis 2018 pour le second groupe de pays, l’administration fiscale française disposera de toutes les données bancaires des résidents français propriétaires d’avoirs placés à l’étranger. L’échange étant réciproque, un certain nombre de citoyens de ces pays vont passer de mauvaises nuits.
A cette date du premier janvier, le ministère des finances annonce un relèvement important des pénalités pour les contrevenants qui ne se seraient pas régularisés. Non seulement le contribuable devra rembourser tous les arriérés d’impôts, ce qui est déjà le cas, mais l’amende sera doublée puisqu’elle passera de 15% à 30% du montant global de l’impôt régularisé. Ce taux s’applique aux fraudeurs dits «passifs», c’est à dire à ceux qui, par exemple, ont bénéficié d’un héritage. Pour les autres fraudeurs non déclarés, l’amende grimpe à 40%, sans compter les éventuelles poursuites pénales si la dissimulation est accompagnée d’une manœuvre délictueuse.
Toujours espérés, perpétuellement annoncés et mainte fois signés dans des versions sans application réelle, les accords sur les échanges internationaux bancaires pour raison fiscale et judiciaire sont un vieux serpent de mer qui a peut-être amorcé, enfin, un tournant historique et crédible.
Essayons d’en résumer simplement et clairement le contenu avant de rappeler pourquoi le placement offshore illégal est une plaie pour les populations mondiales et qu’il fallait y mettre un coup d’arrêt sérieux. Nous en terminerons par le cas algérien et les conséquences indirectes de l’accord.
Un accord sérieux et historique
La norme contient de véritables conditions qui permettront, si ce n’est d’arrêter la délinquance financière mondiale en matière fiscale, au moins de lui asséner un gros coup de massue sur la tête qui semble déjà lui faire très mal avec l’annonce des points techniques stipulés.
Sans entrer dans les détails juridiques complexes, l’affaire est simple à expliquer dans son objectif principal. L’encadrement juridique de l’échange international de données bancaires n’est pas nouveau puisque le TIEA (Tax Information Exchange Agreements de l’OCDE) le prévoyait déjà, sans compter les multiples accords bilatéraux à travers le monde qui étaient censés faciliter l’échange des informations bancaires. Mais cette tentative n’avait pas eu le résultat escompté car l’accord exigeait la formulation d’une demande et les conditions étaient draconiennes. Il fallait notamment prouver l’épuisement des investigations internes et s’aventurer dans des procédures administratives et judiciaires d’entraide qui s’avéraient être, dans de nombreux cas, de véritables impasses. En réalité, la demande se heurtait à un mur avec la plupart des États qui n’avaient pas du tout envie de se voir entraîner dans une direction qui ne les rassurait guère et qui mettait à la lumière leurs propres turpitudes.
La nouveauté réside dans le terme «automatique», ce qui change l’affaire du tout au tout. Les administrations fiscales n’ont plus à entrer dans un chemin interminable de procédures, les informations seront directement et automatiquement déposées à leurs services. Ainsi, toutes ces administrations connaîtront les comptes bancaires offshore de leurs ressortissants dans les pays signataires.
Si la règle est que le destinataire de l’information est le pays de résidence du titulaire du compte, les lieux de résidences « fictifs » ne seront plus une entrave et les relocalisations multiples ne donneront plus le tournis aux investigateurs par leur capacité à obtenir des informations multi-juridictionnelles.
Tous les comptes des particuliers sont concernés, il n’y a pour eux aucun seuil applicable qui s’opposerait à la transmission automatique. Pour les personnes morales, un seuil de 250 000 USD autorise les juridictions à ne pas se conformer à la règle si le montant est inférieur. Mais ces juridictions sont également libres de ne pas tenir compte de ce seuil qui finira inéluctablement par diminuer et disparaître.
Le offshore, plus qu’un délit financier, un crime national
La dissimulation de fonds offshore n’est pas seulement un écart aux règles fiscales, il s’agit d’une vaste opération criminelle et immorale. Pour le cas algérien, laissons immédiatement de côté le jeu national du transfert de fonds par échange au marché noir qui représente, pour la majorité des gens honnêtes, des sommes modestes et un échappatoire à une vie difficile, dans un pays muselé et contraint par un régime politique des plus autoritaires.
Cette soupape de sécurité représente le tribut que l’on fait payer à un système financier national entièrement gangrené par la corruption. Et si une partie de cette immense revenu pétrolier (passé) avait pu donner un petit souffle de vie aux familles, c’est un morceau de vie arraché au système national corrompu et donc employé pour une cause légitime et heureuse.
La délinquance offshore1 n’est donc pas le détournement des règles par les gens ordinaires pour les fruits durement gagnés de leurs efforts. L’analyse critique de cet article ne concerne que les comptes aux montants importants et, surtout, ceux dont l’origine est entachée d’actes frauduleux ou dont les titulaires sont détenteurs d’un pouvoir public. Dans un pays où la Banque centrale détient le monopole du change dans les opérations extérieures, aucune raison ne peut justifier de l’acquisition de devises à l’étranger pour un montant pharaonique si ce n’est pour la contrepartie normale des échanges commerciaux et transferts validés par les lois et règlements.
Le gigantisme de certaines richesses accumulées à l’étranger ne peut être expliqué que par trois origines, le change au marché noir pour un volume hors-norme ou la fausse facturation ainsi que la rétro-commission occulte. Tout cela a une conséquence qu’il faut rappeler aux citoyens. Les comptes offshore aux origines frauduleuses, c’est l’écolier algérien qui ne mange pas à sa faim, c’est le malade qui n’a pas accès aux soins performants, c’est la pauvre mère de famille isolée qui doit trimer pour élever ses enfants, c’est le handicapé qui n’est pas soutenu, c’est la misère des chômeurs et des retraités, c’est le délabrement des infrastructures et l’indigence de l’éducation nationale. Ces soustractions de capitaux sont la dignité que l’on arrache aux démunis et laissés pour compte de la société algérienne.
La faute est encore plus perceptible lorsque l’on sait que ce sont ces mêmes personnes qui ont milité pour le maintien d’une économie fermée et dirigée d’une main de fer. Ils savaient, plus que les autres, que l’ouverture à la concurrence internationale et la suppression du contrôle des changes les auraient balayés. La plupart n’avaient aucune compétitivité dans leurs affaires ni réalisé aucun investissement sérieux si ce n’est que d’accumuler des rentes gigantesques, stériles et indues.
Ils ont été à la pointe du discours nationaliste et mystique. Ils ont participé au musellement et à la perpétuation d’un système qui les a enrichis et produit la misère de la majorité des citoyens. Leur hymne national, leur drapeau et autres manifestations bruyantes du fait patriote et national, ils l’ont bien exporté, en transferts considérables. Et ne parlons pas des fonctionnaires, au premier rang desquels se trouvent ceux qui étaient censés protéger les algériens. Leur faute est un crime d’une lourdeur impardonnable.
Et combien même toutes ces considérations d’illégalité seraient contredites (je ne vois pas comment), le simple fait de soustraire sa richesse au pays qui a contribué à la créer est d’une immoralité sans retenue. Lorsqu’on a bénéficié de milliards dans une société qui les a fait naître, la moindre des choses et de les réinvestir au bénéfice de cette généreuse société.
Les causes du sursaut mondial
Les causes qui viennent d’être exposées précédemment suffiraient à expliquer en elles-mêmes une prise en compte mondiale du fléau.
Pourtant le système perdure depuis des décennies et ces considérations morales n’ont pas fait bouger les choses d’un iota, tandis que dans le même temps les flux de capitaux détournés ont explosé. Pourquoi une forte et réelle réaction maintenant ?
Ce sont des raisons purement économiques et matérielles qui ont provoqué le sursaut. Elles ne sont pas toutes directement liées à la lutte contre les paradis fiscaux et les comptes offshore irréguliers mais ont contribué à créer un climat d’exaspération général des États et une fronde des citoyens.
La première raison est le rétrécissement de la croissance globale des pays les plus développés de la planète. Et si la chute est inégale par pays, tous se sont confrontés à un besoin massif de recettes fiscales et d’investissements de capitaux. La seconde raison est la multiplication des scandales dus aux révélations selon lesquelles de gros contribuables échappent aux services fiscaux nationaux alors que la majorité de la population subit une ponction fiscale de plus en plus lourde. Nous venons d’apprendre qu’une commissaire européenne, rien de moins, est prise la main dans le sac avec la révélation de sa détention d’avoirs dissimulés aux Bahamas. C’est dire combien le peuple européen est au bord de l’émeute contre ses dirigeants dont les discours étaient justement de lancer une guerre sans relâche contre les paradis fiscaux qui ruinent les États et les populations !
Si nous ajoutons à cette exaspération générale celle qui naît des pratiques de dumping pour attirer les sociétés qui veulent « optimiser leur stratégie fiscale », une expression policée qui évite celle de « détournement fiscal » car effectuée en toute légalité, la coupe était devenue pleine. Bien que les différentes affaires étaient éloignées du simple détournement offshore des capitaux, les citoyens ne supportaient vraiment plus une opacité qui entoure les fortunes des riches contribuables, particuliers et sociétés.
Le coup fatal qui a provoqué une montée en force de la lutte contre les paradis fiscaux a été donné par les États-Unis. La grande puissance économique avait menacé de supprimer la licence d’exploitation des banques suisses sur leur territoire si le secret bancaire n’était pas levé. Sans cette licence, les banques suisses auraient été confrontées à de très lourdes difficultés et leur survie était en jeu.
La porte fut ainsi ouverte aux autres États qui se sont engouffrés dans la brèche. Et voilà que tombe le Luxembourg, que vacille le Panama et que tremblent bien d’autres qui se sont empressés de rejoindre la raison internationale, ils n’avaient aucun autre choix. Mais il ne faut pas penser que c’est la victoire de la vertu contre le vice car ceux qui se sont rebellés, comme les États-Unis ou la Grande Bretagne, ne sont pas tout à fait innocents dans cette affaire où leur action fut toujours très ambiguë. Le vent contraire a cependant définitivement tourné et les États semblent bien, cette fois-ci, contraints à jouer la carte de l’échange automatique des
données.
Quel rapport entre l’Algérie et l’AEOI ?
Le regard balaie rapidement la liste des premiers noms de pays qui ont signé l’accord, Afrique du Sud, Albanie, Allemagne…Arabie Saoudite, Australie, Autriche puis viennent les Bahamas, pas d’Algérie. Alors, quelle conséquence pour un pays qui n’a pas signé cet accord ?
En théorie, absolument aucune, les comptes offshore peuvent encore dormir tranquillement. On ne voit vraiment pas le régime algérien tendre le bâton avec lequel il serait battu en signant un tel accord international. Tout le monde tient tous les autres par la barbichette, les investisseurs occultes à l’étranger n’ont en principe aucune crainte à avoir et aucune raison de pousser à la signature, à moins d’être suicidaires.
Mais à leur place, je ne me satisferais pas autant car je souhaite leur rappeler une simple règle de statistique et de probabilité. Comme donnée du problème, considérons que le monde très opaque des paradis fiscaux où l’information n’est détenue que par une poignée d’individus, sourds et muets professionnellement, n’a pas empêché la divulgation récente de listings compromettants (Banques suisses, Luxembourg, Panama…). Que se passera-t-il, par la règle des probabilités, lorsque des milliers de fonctionnaires à travers le monde auront accès à l’information bancaire, depuis l’administrateur exécutant jusqu’aux responsables les plus hauts ?
Si une simple clé USB peut faire trembler tant de personnes dans un monde de secret, quelle conséquence aura-t-elle dans celui où l’information est détenue par un nombre décuplé de salariés et de fonctionnaires ? De plus, comme nous l’avons déjà précisé, ceux qui ont des résidences dont le statut n’est pas clairement attesté, devront considérer que leurs avoirs dans le monde sont intégrés dans le calcul fiscal du patrimoine et des revenus globaux. La démultiplication des comptes dans des pays différents n’a plus d’effet sur l’opération de dissimulation, c’est ainsi par exemple pour l’impôt sur la fortune (ISF) dans le cas français.
Non, vraiment, à la place de certains, je ne dormirai pas beaucoup en cette veille du 31 décembre et pas exactement pour des raisons festives. Malgré tout, la plupart dormiront certainement d’un sommeil profond de l’innocent car ils sont sevrés par le plus puissant
somnifère, celui du sentiment de pouvoir et d’impunité éternelle.
SID LAKHDAR Boumédiene
Enseignant