La révolution algérienne, comme le sont toutes les révolutions universelles, comporte une part de violence. De la même manière que la Révolution française a enfanté le régime de la terreur, le Front de libération nationale (FLN historique) a connu des moments sombres. En partie, cela pourrait s’expliquer par les impératifs historiques. Mais, une fois le but atteint, à savoir la fin du joug colonial, est-ce que cette violence est justifiable ?
Il faut dire que la violence des nationaux est plus grave que celle des étrangers. Cela étant dit, pour mieux comprendre le climat de violence pendant la guerre d’Algérie, l’éminent historien, Gilbert Meynier, dans un article intitulé « FLN : la loi de la violence », explique que la lutte contre le système colonial ne pourrait se faire avec des moyens pacifiques.
« Depuis la conquête de 1830 et jusqu’en 1962, les rapports entre la France et l’Algérie sont marqués par une extrême violence », écrit-il. En fait, après une pacification du territoire, qui a coûté, selon l’historien, la perte de 30% de sa population et 40% de ses terres les plus cultivables, l’Algérie est soumise à un système profondément injuste, la colonisation.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce système est ingrat sur tous les plans. Ainsi, bien que les Algériens participent activement à deux efforts de guerre (1914-1918 et 1939-1945), en guise de remerciement, l’Est algérien est mis à feu et à sang en mai 1945.
Cependant, bien que les partis nationalistes, notamment le PPA-MTLD, veuillent, à des degrés différents, s’émanciper de la tutelle coloniale, il n’en demeure pas moins que face à un système dominant, le combat politique ne suffit pas. « Ce PPA-MTLD s’avère vite impuissant, déchiré qu’il est en courants…
Devant ces déchirements, un troisième courant avance le recours aux armes comme la seule solution possible », note l’historien. En effet, le 1er novembre 1954, le FLN historique engage l’avenir de tout un peuple. Bien que les exactions soient inévitables, les fondateurs du FLN pensent réellement conduire le peuple algérien à sa libération.
« Plus que jamais, en Algérie comme dans le monde, le contre-État qu’il (FLN) édifie représente les Algériens », argue-t-il. Hélas, bien que le discours officiel fasse de la libération du peuple un principe immuable, tous les dirigeants ne se préoccupent pas de l’avenir du peuple algérien. Pour contrôler les rênes du pouvoir, certains dirigeants n’hésitent pas à utiliser la violence contre leurs collègues.
Pour Gilbert Meynier, « la violence remonte jusqu’à la tête du FLN. Le CCE civil, dirigé par Abane, est écarté du pouvoir en août 1957 lors du CNRA du Caire. Il est remplacé par un directoire de trois colonels issus des maquis, les fameux « 3B » : Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf, Lakhdar Ben Tobbal. C’est le premier coup d’État de l’Algérie contemporaine. »
Toutefois, quelle que soit la suprématie d’un pouvoir usurpé par la force, la stabilité du mouvement n’est pas garantie pour autant. Fin 1959, les 3B sont contraints de remettre le pouvoir entre les mains de dix colonels. Considérés comme politiques à partir de cette période, ils seront écartés du pouvoir par Boumediene, chef d’État-major général, en 1962.
Et c’est au nom de cette puissance et de cette victoire sur ses concurrents que le nouveau régime prive le peuple algérien de sa victoire. En somme, bien qu’à chaque commémoration historique on loue sans vergogne la libération du peuple, dans la réalité, si le territoire est certes libéré, il n’en est pas de même de la population. Et pour cause !
Pendant trois décennies, le peuple est uniment interdit de parole. Après l’ouverture démocratique, survenue de surcroît au forceps, celle-ci est vite refermée. Aujourd’hui, l’exercice du pouvoir nous rappelle les Républiques bananières où le chef ne quitte le fauteuil que pour rejoindre sa dernière demeure. En plus, compte tenu de la dépendance de notre pays aux hydrocarbures, le chef de l’État n’a aucune influence sur le cours des événements.
Mis à part les appels au peuple pour qu’il se serre la ceinture et le vote d’une loi de finances 2017 anti sociale, aucun cap n’est fixé pour sortir le pays de la crise. Or, tout le problème est dans la démarche. Ainsi, si pour les révolutionnaires de 1954 il fallait associer le peuple à leur action pour se débarrasser du joug colonial, les régimes postindépendance écartent systématiquement le peuple de la gestion de ses affaires.
D’où l’échec. Et aussi le rêve brisé.
Aït Benali Boubekeur