L'avant-projet du Code du Travail analysé par BOUDERBA, ancien syndicaliste

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ENTRETIEN -BOUDERBA EXPLIQUE À LIBRE ALGÉRIE LE GRAND BOND EN ARRIÈRE DE L’AVANT-PROJET DU CODE DU TRAVAIL

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR RAMDANE MOHAND ACHOUR
 
 Après la loi sur les retraites que le gouvernement Sellal a fait passer en force à l’Assemblée populaire nationale (APN) à l’automne 2016, l’avant-projet de nouveau code du travail concocté par les sphères dirigeantes constituerait, s’il était présenté au Parlement par le gouvernement Tebboune, un second coup terrible porté aux travailleurs et aux organisations syndicales de notre pays. Dans l’entretien qu’il a accordé à Libre-Algérie, Nouredine Bouderba* démontre comment le code du travail a été transformé en un code du capital ayant vocation à protéger les intérêts de la partie forte (le patronat algérien et les multinationales) au détriment de la partie faible (les travailleurs).
 
Libre-Algérie : Quelles sont les principaux changements introduits par l’avant-projet de nouveau code du travail ?
Nouredine Bouderba : Cette réforme va introduire ce que les libéraux appellent  la flexibilité du travail dans ses trois (3) formes. D’abord la flexibilité de l’emploi puisque l’emploi temporaire sera d’avantage favorisé et la protection du travailleurs réduite. Les cas de recours au contrat à durée déterminée (CDD) sont élargis et ce dernier pourra dorénavant être renouvelé 3 fois en plus du contrat initial sans que sa durée ou la durée cumulée des CDD successifs ne soient précisées.
De plus, la notion de contrats successifs n’est pas définie dans l’avant-projet ce qui perpétuera les abus actuellement constatés. La période d’essai d’un CDD pourra égaler une année alors que dans la majorité des pays, y compris au Maroc par exemple, elle est limitée à 1 mois.
En cas de licenciement abusif, y compris sans raison, le dédommagement accordé par le juge ne pourra dépasser le montant des salaires de la période restante du contrat, même si le travailleur concerné occupe un poste de nature permanente. Par ailleurs, un titulaire de CDD ne pourra plus saisir le juge après la fin de la relation de travail pour demander une requalification du CDD en contrat à durée indéterminée (CDI) conformément à la loi.
Toujours dans le cadre de cette flexibilité de l’emploi, l’avant-projet de code du travail élargit la liste des fautes graves donnant lieu à un licenciement et renforce de façon déséquilibrée le pouvoir disciplinaire de l’employeur, ouvrant la porte à tous les abus. Il légalise la possibilité du licenciement individuel en dehors des cas disciplinaires et élargit les cas donnant lieu à des licenciements collectifs tout en réduisant l’obligation de concertation avec le partenaire social sur la question.
Dans les cas de licenciements, le juge ne pourra plus prononcer la réintégration d’un travailleur licencié même abusivement et sans raison si l’employeur s’y oppose. Seul un dédommagement est prévu dans ce cas.
La deuxième forme de flexibilité qui sera introduite, ou plutôt renforcée,  est ce que les libéraux appellent la flexibilité horaire. L’aménagement des horaires de travail jusque-là déterminé par négociation collective et consultation sera renvoyé au pouvoir de direction de l’employeur. Idem pour la fixation des jours de repos hebdomadaires.
La définition du travail de nuit a été revue de façon à permettre à l’employeur de faire travailler un salarié, y compris les femmes et les enfants mineurs des deux sexes,  sans limitation et surtout sans payer les majorations pour travail de nuit actuellement en vigueur.
L’employeur pourra, unilatéralement, fixer la listes des postes de travail pour lesquels il pourra augmenter la durée hebdomadaire de travail et fixer le nombre d’heures supplémentaires qui seront travaillées mais non payées. Le travail des mineurs ne sera plus interdit, comme ne sera pas interdite dans la pratique l’affectation des femmes et des mineurs à des travaux dangereux ou dont l’effort exigé dépasse leur capacité.
La troisième flexibilité qui sera introduite est la flexibilité salariale sous la forme d’une redéfinition (une fois de plus) du SNMG puisque dorénavant seront considérées, par exemple, comme composantes du SNMG toutes les primes et indemnités liées à la productivité et au résultat. Avec les primes liées aux conditions de travail déjà intégrées au SNMG depuis 2015 les Smicards vont perdre jusqu’à 20 à 30 % de leurs salaires.
Lors d’une journée d’étude* consacrée à cet avant-projet, vous avez expliqué que son adoption éventuelle inaugurerait « une ère de régression sociale sans précédent. » Pouvez-vous nous éclairer ?
Les différentes « flexibilités », comme les appellent les libéraux, vont plonger les travailleurs dans une précarité sans précédent. A côté du CDD, par exemple, seront légalisés l’emploi temporaire et l’emploi de sous-traitance qui sont les formes d’emploi les plus précaires et fragiles sans aucune mesure d’encadrement légale pour limiter leur impact sur les travailleurs et leurs familles.
La période d’essai maximale du CDD lui-même est fixée à une année durant laquelle le travailleur pourra être licencié sans aucun droit et sans aucune explication. Cette période dans la majorité des pays, y compris chez nos voisins, est d’un mois. Ceci équivaut au contrat d’essai mis en œuvres dans certains pays sur recommandation de la Banque mondiale.
Ajoutons à cela que parmi les changements attendus de cet avant-projet, les pouvoirs de contrôle et de poursuite de l’inspecteur du travail seront revus à la baisse et ses interventions seront moins effectives.
La justice du travail ne sera plus du côté de la partie faible du contrat, c’est-à-dire le salarié. Le libre exercice du droit syndical et du droit de grève connaîtront un autre tour de vis et le droit à la négociation collective et à la participation sera limité.
Tout cela va se traduire par une individualisation de la relation de travail avec pour conséquence un laminage du pouvoir de négociation des travailleurs déjà très faible. Le pouvoir d’achat des travailleurs, leur santé, leur vie familiale, leur retraite vont s’en ressentir, tout cela par la grâce de cette nouvelle place qui sera consacrée au travailleur par cet avant-projet qui s’inscrit dans le cadre du nouveau contrat social prôné par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).
Qu’en est-il, plus précisément, des libertés syndicales et du droit de grève ?
La Constitution algérienne a consacré le pluralisme syndical et le droit de grève mais les a renvoyés à la loi. Toutefois, les limites imposées par la loi et, surtout, la pratique des pouvoirs publics constituent un véritable frein à leur libre exercice et à l’émancipation du mouvement syndical.
La loi 90-14 relative au droit syndical, en vigueur, impose des limites au droit des travailleurs, à constituer, sans distinction de nationalité et sans autorisation préalable, des organisations syndicales de leur choix et de s’y affilier. Le droit de créer un syndicat n’est pas accordé aux travailleurs étrangers et l’organisation syndicale n’est reconnue qu’après délivrance d’un récépissé d’enregistrement de la déclaration de constitution délivrée par l’autorité publique. Les mêmes obstacles sont opposés aux Syndicats existants pour se constituer en Unions, Fédérations ou Confédérations.
Aux limites contenues dans le texte s’ajoutent la pratique répressive et d’exclusion des pouvoirs publics. Les autorités ont plus d’une fois refusé le droit de fonder un syndicat indépendant. Elles le font de diverses manières dont la plus usitée est le refus de délivrer ce fameux récépissé d’enregistrement qui équivaut à une autorisation. Elles ont également recours à diverses tactiques visant à retarder la délivrance de ce récépissé, en demandant aux syndicats de modifier telle ou telle disposition de leurs statuts ou à fournir des documents qui ne sont pas requis par la loi.
Toutes ces dispositions seront non seulement maintenues mais elles seront renforcées. Par exemple pour être constitué, dorénavant, un syndicat de travailleurs à vocation nationale doit regrouper au moins 25 membres fondateurs résidant dans un tiers du nombre des wilayas du pays, c’est-à-dire 16.
Beaucoup de questions qui étaient renvoyées obligatoirement à la négociation collective ne le sont plus dans l’avant-projet. Il en sera ainsi de l’aménagement du temps de travail, la fixation du surcroît de travail pour période d’inactivité…
Autre exemple : l’actuelle loi précise que le syndicat participe à la prévention de l’ensemble des conflits de travail c’est-à-dire aussi bien individuels que collectifs. L’avant-projet limite quant à lui cette mission aux conflits collectifs. Les employeurs pourront interdire aux syndicats d’intervenir dans les différends individuels. Un dernier exemple d’atteinte aux libertés syndicale est cette nouvelle disposition qui stipule qu’un délégué syndical perdra cette qualité s’il est élu au comité de participation.
La même observation est à faire pour le droit de grève. L’avant-projet reprend le même parcours du combattant imposé aux syndicats pour exercer leur droit de recourir à la grève en semant d’avantage d’embuches. Il stipule par exemple que, sous peine de nullité, le préavis de grève doit comporter obligatoirement « l’effectif concerné, la durée de la grève et son motif et la date et le lieu de déroulement de la grève ».
Trois obstacles supplémentaires semblables à celui du récépissé du dossier de constitution d’un syndicat. Au passage l’avant-projet fait un cadeau (un de plus) dans ce domaine puisque l’activité des banques commerciales a été ajoutée au « service minimum obligatoire » à observer en cas de grève.
Vous déclarez qu’avec ce nouveau code « on passera du droit du travail protecteur des salariés au droit du travail protecteur du capital ». Est-ce à dire que le patronat privé, algérien et étranger, est directement derrière cet avant-projet ?
L’empreinte du patronat, on la trouve dans chaque page de l’avant-projet. Elle est même un peu plus visible dans la nouvelle mouture datée d’octobre 2015 par rapport à la première mouture de 2014. Pourtant, toutes les enquêtes menées auprès des entreprises algériennes aussi bien par l’ONS que par des  organismes internationaux ont mis en évidence que la législation du travail est la dernière préoccupation à être évoquée comme obstacle à leur développement ou à celui de l’emploi.
Pour ce qui est du privé étranger, il est connu que les recommandions des institutions financières internationales vont dans le sens d’une « déréglementation totale du marché du travail », c’est-à-dire d’une liberté totale de la contractualisation en CDD et du  licenciement individuel et collectif au moindre coût, la suppression du SNMG, la flexibilité des horaires de travail qui ne doivent relever que de la volonté de l’employeur et des besoins de la production, la limitation (ou l’interdiction si possible) du droit syndical et du droit de grève.
Et le FMI reconnait lui-même, dans l’un de ses rapports consacré à l’Algérie en 2014 (IMF Country Report No. 14/341), qu’il n’est pas étranger à cet avant-projet puisqu’on lit, noir sur blanc, dans ce rapport que « les autorités (algériennes) ont déclaré qu’elles préparent un code du travail avec les partenaires sociaux » et que ce code va «dans le sens des recommandations du FMI ».
Quelles raisons ont selon vous amené le gouvernement à réformer le code du travail ?
Mon avis est qu’il le fait sous la pression du patronat au moment où le pouvoir de négociation des travailleurs a été laminé par la politique des pouvoirs publics et par la direction de l’UGTA. Je dis par mimétisme car, comme souligné plus haut, les différentes enquêtes ont montré que la réglementation du travail est la dernière à être invoquée par les entreprises comme étant un obstacle à leur développement.
Ceci s’explique par la réforme de 1990 dont les lois leur permettent, moyennant le respect d’un minimum des droits des travailleurs, d’ajuster l’emploi aux exigences économiques de l’entreprise. Ceci s’explique surtout par l’ineffectivité qui caractérise la législation du travail en Algérie.
Beaucoup d’entrepreneurs ne respectent pas les droits des travailleurs. Aussi bien les violations des dispositions légales relatives au recrutement, au licenciement, au SNMG et aux  conditions de travail que celles liées au droit syndical, de participation ou de grève ne sont dans la pratique pas sanctionnées.
Une autre hypothèse est que les pouvoirs publics, en généralisant la flexibilité, pensent pouvoir attirer les investissements directs étrangers (IDE). Cela sera contre-productif et ne donnera aucun résultat car, en plus du fait que les IDE ne peuvent constituer, en eux-mêmes, un modèle de développement, leur attrait en Algérie est conditionné beaucoup plus et surtout par d’autres déterminants.
Comment les syndicats (UGTA et intersyndicale) ont réagi à ce nouveau texte ? Sont-ils en mesure de s’y opposer et d’avancer une alternative ?
L’intersyndicale des syndicats autonomes et la Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie (CGATA) l’ont rejeté. Comme vous le savez, elles ont organisé des journées d’études, des manifestations, y compris des grèves pour exprimer leur position.
Quant à l’UGTA, sa direction ne peut réagir contre un projet dont elle est partie prenante. Pour la petite histoire, il faut rappeler que c’est l’UGTA qui a demandé, lors de la tripartite de 2005, la révision de la législation du travail pour « l’adapter aux nouvelles exigences économiques », avait-elle argumenté. Ces positions sur le code du travail après celles exprimées sur la retraite avant l’âge légal pourraient sonner le glas de son rôle de syndicat majoritaire des travailleurs algériens pour ne pas dire plus.
Reste qu’au niveau de la base de l’UGTA, ça bouillonne et beaucoup de collectifs et d’instances locales et fédérales ne partagent les positions de la centrale syndicale. Mais le fonctionnement antidémocratique de l’UGTA et la répression qui y sévit n’ont pas permis aux syndicalistes qui incarnent les préoccupations des travailleurs de s’exprimer à ce jour.
Les syndicats n’ont pas dit leur dernier mot. Mais si cet avant-projet devait faire l’objet d’un passage en force comme pour la retraite, ses conséquences et la détérioration que connait la condition salariale en Algérie vont préparer les conditions objectives d’une convergence des potentialités syndicales actuelles, qu’elles soient au sein de l’UGTA ou en dehors pour défendre le statut du travailleur en Algérie et ce qui reste des acquis sociaux.
 
 * Actuellement consultant en relations de travail, Nouredine Bouderba est un ancien cadre supérieur de Grands travaux pétroliers (GTP) et ancien dirigeant de la Fédération des pétroliers de l’UGTA.

2 Commentaires

  1. sur un autre registre quand l’état forcé de quémandé des prêts aux banques Marocaines (dans pas longtemps), là les conditions des travailleurs vont sérieusement et gravement dégringolés qui plus est, le dinar vient encore une fois de dégringolé ……………

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