En Algérie, la police n’arrête plus d’arrêter

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RÉPRESSION

Liberation.fr
Par Amaria Benamara, correspondance à Alger 
— 18 octobre 2019 à 20:01

Mardi à Alger.
Mardi à Alger. Photo AFP 

Le régime durcit le ton à l’approche de l’élection présidentielle du 12 décembre : 125 manifestants et militants algériens, dont certaines figures de la contestation, sont aujourd’hui en prison.

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«Très vite, dans la manifestation, nous nous sommes aperçus qu’ »ils » étaient là, habillés en civils, inodores et incolores. De plus en plus présents autour de nous», relate dans un long témoignage sur Facebook Adila Bendimerad, comédienne et militante engagée dans le Collectif de la société civile, une coalition d’une quarantaine d’associations, de syndicats et de personnalités née dans le sillage de la contestation populaire du 22 février.

«Kidnappings»

En recrudescence depuis l’annonce de l’organisation d’un nouveau scrutin présidentiel, prévu le 12 décembre, les arrestations ciblent en particulier les militants et les personnalités de l’opposition. Des interpellations que des avocats qualifient de «kidnappings», survenant le plus souvent après un rassemblement, dans la rue et même à la terrasse d’un café. A l’instar de l’opposant Karim Tabbou, 46 ans, importante figure de la contestation, incarcéré dans une aile d’une prison d’Alger habituellement réservée aux condamnés à mort, sans avoir été jugé pour l’heure, dénoncent ses avocats.

Adila Bendimerad revient en détail sur l’arrestation d’un ami militant, Abdelouahab Fersaoui, dont elle a été témoin récemment en pleine rue à Alger : «En partant [d’un rassemblement], un de nos amis militants nous a rejoints. Au premier tournant, à la rue perpendiculaire au tribunal Abane Ramdane, « ils » ont commencé à nous suivre. « Il faut accélérer le pas maintenant », vous ai-je dit. […] L’un d’eux avait un trousseau de clés qui pendait à son pantalon, le claquement des clés retentissait de plus en plus vite, de plus en plus fort, et de plus en plus proche. Nous avons compris. Puis Saïd a dit : « C’est bon, ils vont nous arrêter. » Ils ont dit ton nom, tu as confirmé que c’était bien toi. Ils t’ont attrapé.»

«Régression»

«Tout le monde se sent menacé. Même les avocats», affirme Mourad Gagaoua, membre de la coalition des avocats chargés de défendre les dossiers des détenus d’opinion, des manifestants et des militants arrêtés, jeunes pour la plupart, estimés à plus de 125 actuellement. Il dénonce leurs conditions d’arrestation et de mise en détention, une exception au droit désormais devenue la règle lorsqu’il s’agit de militants du Hirak («mouvement»). «Ils essaient de réduire le champ des libertés en surveillant tout le monde. Il y a une normalisation du mandat de dépôt qui devient une habitude quand il y a une interpellation. Nous, les avocats, avons décidé de boycotter les audiences pour dénoncer l’instrumentalisation de la justice», ajoute MGagaoua.

Certaines associations militantes ont vu une grande partie de leurs membres interpellés et maintenus en détention, à l’instar du Rassemblement action jeunesse (RAJ), très actif dans le mouvement, dont cinq membres ont été arrêtés le 4 octobre. «La justice n’a jamais connu une telle régression, alerte Mourad Gagaoua. Il y a des instructions dont on ne sait pas d’où elles émanent. On arrête même des gens pour des publications sur Facebook, les accusant « d’incitation à l’attroupement non armé ».»

Amaria Benamara correspondance à Alger

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