Le pouvoir est un mauvais élève !

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Kitouni Hosni


La dernière sortie hyper organisée et hyper médiatisée des prétendus partisans du régime et de ses élections, a fait un flop. S’il fallait une preuve éclatante à opposer aux « douteux » ceux qui statistiques à l’appui, ont voulu nous convaincre que le Hirak ne représentait qu’une infime minorité des Algériens , voilà qu’ils sont servis . Que représentent les centaines manifestants mobilisés à coups d’ordres de mission et de frais de déplacement sortis à Tlemcen ? et ceux plus ridicules encore sortis à Sétif ? On se demande alors pourquoi le Pouvoir n’arrive pas à mobiliser ses troupes ?

Pourquoi malgré ses appareils d’État, ses partis et ses réseaux il peine à trouver quelques milliers de têtes brûlées pour défendre publiquement ses options comme cela se faisait dans le passé récent ? Il y a sans doute plusieurs explications à cela, je souhaite ici apporter un éclairage significatif à mon sens des bouleversement provoqués par le Hirak sur notre perception de la morale politique.
Si le pouvoir ne trouve pas des gens prêts à le défendre publiquement c’est parce que sa fréquentation est devenue moralement dévalorisante. Alors que par le passé , plastronner dans les délégations officielles, se montrer à côté d’un ministre ou d’un chef de parti, défendre le régime et ses options, valorisait positivement l’individu et pouvait lui valoir un surcroît d’estime publique et parfois un bénéfice appréciable pour sa carrière ou sa notoriété personnelle. Aujourd’hui , les pro-pouvoirs ont honte de se montrer, ils se font discrets.

Les TV cacheristes dont les journaux durent actuellement jusqu’à deux heures, du jamais vu dans un pays normal, peinent à trouver de la matière pour illustrer la propagande en faveur des élections et du régime. Les gens refusent de se faire interviewer, ils refusent de se montrer à visage découvert. Soutenir les élections est devenu moralement dégradant, humiliant et cause de honte parmi les proches, les voisins, en ville et dans son quartier. Soutenir en cachette oui, mais publiquement en s’exposant à la TV, pas question ! Pas question de se compromettre avec un pouvoir dont les représentants peuplent les prisons et nul ne se risque à parier un sou troué sur son avenir.
À contrario, les Hirakistes du vendredi et du mardi adorent se photographier et se filmer. Leurs images inondent les réseaux sociaux par dizaines de milliers. Ils occupent l’espace public, manifestent et veulent que cela se sache ici, ailleurs et partout. Il y a comme une valeur ajoutée morale dans le hirakisme. Ni payés, ni transportés, se sachant sous la menace des autorités, risquant pour certains de perdre leurs emplois, hais, insultés, vilipendés par les médias, ils tiennent pourtant le coup depuis 38 semaines et s’exposent avec une délectation surprenante.

C’est qu’ils ont le moral, ils sont heureux , ils chantent et ça se voit. Une esthétique hirakiste fait son chemin, faite de graphies, d’images, de symboles, de visages , de chants , de musiques , de poésie, elle donne de la beauté aux gens et sens à la geste hirakienne. Une esthétique de la dignité.
Ce renversement des valeurs, affectant pouvoir et peuple , est sans doute le bouleversement le plus significatif des transformations induites par le Hirak. À ce titre , une scène extraordinaire d’ingéniosité nous est venue de Tlemcen, les hirakistes sont passés à la suite des manifestants pro-régime pour symboliquement « désinfecter » les lieux à coup d’eau de javel et de Nadaf , comme si les cacheristes avaient sali les lieux de leurs rejets impurs. Pas besoin de discours, un geste suffit pour tout nous dire : Eux c’est le mal dont le peuple ne veut pas. Être pour le pouvoir s’apparente dans l’imaginaire collectif au mal absolu, à l’immoralité à l’indignité.

On peut multiplier les exemples par cent , ils montrent tous ce renversement moral ou comment le peuple est redevenu , comme durant la lutte d’indépendance et dans les années suivantes , une force symbolique positive.
Cette perte de la force morale est l’échec le plus cuisant pour le Pouvoir algérien. Les élites d’autorité ont perdu aux yeux de leurs concitoyens la légitimité morale à les gouverner, en somme à leur donner des ordres et à se faire obéir. Or sans cette légitimité morale nul gouvernement ne peut prétendre à l’autorité sur les citoyens.

Cette délégitimation, survient après celle déjà devenue caduque, la légitimité historique, elle prive le discours officiel des éléments de langage utiles pour se faire entendre et écouter. Cela est tellement vrai que les locuteurs habituels sont de moins en moins loquaces, presque muets et s’ils parlent c’est pour ne rien dire. Leurs discours tournent à vide, ne passe plus la rampe, souffre d’une indigence affligeante. Au point ou ministres et porte-voix officiels donnent l’impression d’être chargés de la sale besogne et cela se lit sur leurs visages.
À contrario voyez nos hirakistes, ils sont poètes, souvent orateurs époustouflants. Leurs vidéos sont vues et partagées des centaines de milliers de fois et les internautes en raffolent. Les gens les apprécient parce qu’ils y trouvent du sens, de la beauté et surtout de la morale. La morale de la révolution en marche pour la dignité de nous tous, donc et y compris pour les cacheristes s’ils veulent bien comprendre que l’heure est venue d’abandonner le bateau qui coule pour aller rejoindre le rivage de notre magnifique révolution pacifique.
Quant au Pouvoir, ses mauvaises habitudes le perdront à coup sûr.

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