Ali Bey Boudoukha, le persévérant, aurait aimé 2019

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Blog Politique Société / 21 Décembre, 2019 10:43

Saïd Djaafer
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Ali Bey Boudoukha – Ph @Fatiha Boudoukha

Boudoukha Ali-Bey, BAB, aurait aimé l’Algérie de 2019. Il aurait été enchanté de voir les Algériens se rencontrer enfin, se parler et opposer un autre récit que celui du régime ou bien celui qui a consisté pendant longtemps pour une partie des élites “opposantes” à flétrir le peuple et à la rendre coupable des avanies qui lui étaient infligées.  Il aurait été heureux de voir autant de jeunes Algériennes et Algériens s’intéresser à la chose publique et ne pas s’en laisser conter par les vieux discours. Même si rien n’est réglé, il y aurait trouvé le signe, enfin, que rien vraiment ne sera plus comme avant. 

Comme beaucoup d’hommes et de femmes de sa génération, il a vécu l’espérance née après octobre 1988, puis la plongée dans la décennie de violence où il fallait continuer de faire son travail en essayant de survivre et enfin, la lamentable séquence des années Bouteflika avec ses mokhaznis serviles, ses médias de la honte, ses gigantesques dilapidations et ses cynismes destructeurs.  

En 2008, alors que régime engageait le pays dans le funeste chemin de la présidence à vie, il a fait partie du petit groupe qui a lancé l’Initiative civile pour le respect de la Constitution (ICRC). Une démarche sans succès,  les rencontres que les membres du groupe faisaient avec des dirigeants de partis ou des intellectuels se terminaient en général par un “vous avez raison, mais cela sert à quoi, ils vont le faire quand même”.  

On prenait la pleine mesure de cet “à-quoi-bon” qui s’est installé dans le pays alors que le régime présentait, avec un grossier aplomb, la suppression de l’article 74 de la Constitution- qui limitait à deux le nombre des mandats présidentiels – comme un moyen de “redonner à la souveraineté populaire sa pleine et libre expression ». Deux membres de ce groupe – Fodil Boumala et Hakim Addad – sont aujourd’hui en prison avec des dizaines d’autres Algériens poursuivis pour des délits d’opinion ou pour avoir manifesté dans la rue. Il en aurait été révolté mais en même temps, Ali aurait constaté que  l’Algérie est enfin sortie de “l’à-quoi-bon” qui la minait. 

Je l’imagine volontiers, Ali,  le soir de cette journée historique du 22 février 2019, assis à son bureau, avec café et cigarettes, se forçant à modérer son enthousiasme, tout en collectant les informations  et les réactions. Je le vois sourire en se rappelant le jour, où après la farce électorale qui a mis Bouteflika au pouvoir en 1999, on a publié, à la place de l’éditorial de Libre Algérie, le fameux conte d’Andersen, “les habits neufs de l’empereur”. J’imagine son éclat de rire me disant que cette fois-ci, le système est vraiment nu, totalement nu. 

La mise à nu

En citoyen convaincu de la dangereuse nocivité du régime en place et en tant que journaliste professionnel, Ali Bey Boudoukha “mettait à nu”. C’était son combat et son métier, chercher la bonne information et traquer les mensonges qui souvent se drapent derrière d’ardentes professions de foi patriotiques. Ce n’était pas que de la méfiance – de mise face aux manipulations permanentes -, c’était sa manière de faire le métier. Il était très méticuleux et il pouvait passer des heures et des jours à téléphoner ou à se déplacer pour recouper et vérifier des informations.  C’était aussi un lecteur – et un archiviste – assidu et critique des journaux. Avec causticité, il décortiquait à l’hebdomadaire La Nation, dans sa rubrique, Souk El Kalam (c’est bien la sienne même si d’autres se sont appropriés par la suite cette dénomination) les (dés)informations publiées dans les journaux qui n’appréciaient guère ce miroir qui leur était tendu.  

Le Souk El Kalam racontait  ce “marché” de l’information où la main faussement invisible du pouvoir distribuait une “manne publicitaire” à certains et en privait d’autres, jusqu’à l’étouffement. Ce même pouvoir pouvait ainsi clamer que l’Algérie disposait de  la “presse la plus libre du monde arabe” alors que ceux qui ne sont pas dans la “ligne” était fermés ou régulièrement suspendus. 

L’archiviste BAB faisait le compte quotidien des pages de pub publiées dans la presse “la plus libre…”. Aucune méchanceté derrière, juste le besoin d’être à jour, de voir éventuellement ceux qui ont été punis pour lèse-majesté et les nouveaux élus à la “manne”.  “C’est une collecte d’information à faire chaque matin” disait-il. Dans un système d’octroi arbitraire de la publicité, c’était une chose élémentaire à faire, précisait-il.  

Le journaliste BAB aurait sans le moindre doute soutenu le tout récent mouvement des Journalistes Algériens Unis (JAU) dont l’un des initiateurs, le rédacteur en chef du quotidien « Le Provincial », Mustapha Bendjama, doit comparaître demain, dimanche 22 décembre, devant  le tribunal d’Annaba. Il aurait vu dans ce mouvement l’ébauche d’un débat sérieux sur le métier de journaliste ou un petit pas vers une organisation indépendante des journalistes. 

J’ai déjà écrit il y a longtemps que mon ami Ali était un “homme en colère” car l’Algérie n’était pas condamnée aux impasses imposées par le régime et que durant les dures années où les journalistes étaient sommés de choisir leur camp, il a défendu une autre vision, celle d’une démocratie inclusive avec des règles communes applicables pour tous et par tous.  Dans l’exercice de son métier il est resté sur une “ligne qui lui paraissait évidente: Aucun algérien n’est son « ennemi » et il n’y a pas deux camps. Il y a un pays où les hommes ont payé chèrement pour être libres et égaux et cela ne peut se réaliser que par un Etat démocratique respectueux des droits de l’homme pour tous les Algériens.”

Serait-il encore en colère aujourd’hui? Probablement car il y a des Algériens en prison pour leurs opinions et aussi parce que tout reste encore à faire malgré la mise à nu du système. Je pense cependant qu’il aurait envisagé l’avenir avec plus d’optimisme en voyant tant d’Algériens, jeunes surtout, convaincus qu’ils doivent agir pour rendre l’Etat à la société, pour  le re-nationaliser. Comment le faire, c’est ce dont ils débattent parfois avec passion et sans unanimisme stérile. Mais il aurait été content de voir que le 22 février a enfin sonné le glas de “là-quoi-bon”, ce pernicieux sentiment qui veut qu’il ne sert à rien d’essayer de faire et qui permettait à la prédation de perdurer. 

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