Ramzi_Yettou à Massinissa_Guermah: «Ulac Ulac » « Ulac smah ulac»

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Raouf Farrah

Printemps noir. Le 18 avril 2001, le jeune lycéen Massinissa Guermah est mortellement touché par des coups de feu à l’intérieur de la brigade de gendarmerie de Beni Douala en Kabylie. Le 20 avril 2001, Masssinissa Guermah succombe à ses blessures. La mort de ce jeune homme déclenche de violentes émeutes en Kabylie durant lesquels 126 jeunes perdent la vie et 5000 sont blessés.

Les visages de Guermah et des jeunes tombés sous les balles du régime hantent à tout jamais les vrais responsables de ce crime sur laquelle la vérité n’a pas été encore élucidée. Le Printemps noir demeure une immense tâche de sang dans l’histoire nationale qui a marqué au fer l’esprit d’une génération d’Algériens dont les blessures sont encore béantes.

Dix-huit ans, presque jour pour jour, séparent l’assassinat de Massinissa Guermah de la mort du hirakiste Ramzi Yettou. Ce jeune de Bouggara (Blida), fidèle aux rassemblements du Hirak, se déplaçait régulièrement avec ses amis vers Alger pour assister aux marches. Ramzi était un jeune algérien pacifique qui rêvait d’une vie digne et d’une Algérie meilleure.

Mais le vendredi 12 avril fût sa dernière participation au sein du Hirak. Ce jour-là, le régime avait décidé de déployer les « grands moyens » à Alger en mobilisant les unités spéciales de la police (GOPS). En fin d’après-midi, Ramzi et ses amis sont en route vers Bouggara. La police arrête le camion à bord duquel les jeunes se trouvent car le conducteur avait pris une rue en sens inverse. Les jeunes sont violemment rués de coups de matraque. Ramzi a des contusions sur le nez et se fait transféré vers l’hôpital Bacha où il est opéré en raison d’une hémorragie interne. Ramzi tombe dans le coma. Il décède le 19 avril.

Ramzi Yettou est le plus jeune martyr de la révolution pacifique du 22 février. Il fût un enfant du peuple qui marchait pour la dignité, la justice et la liberté, et sur lequel le régime a eu droit de mort. L’enquête judiciaire sur l’affaire Yettou est au point mort. Les parents de Ramzi ne connaissent ni les responsables, ni les commanditaires de la mort de leur fils.

Massinissa Guermah et Ramzi Yettou sont les enfants de deux époques distinctes, de deux Algérie en ébullition. Mais ils demeurent les victimes de ce même « pouvoir assassin » qui par la violence physique et morale a tué, cassé, brimé et anéanti la vie de centaines de jeunes citoyens, chômeurs, journalistes, militants et universitaires. Massinissa Guermah et Ramzi Yettou sont les enfants sacrifiés d’un « pays empêché » – pour reprendre l’expression de Akram Belkaid-. Deux jeunes, aux destins croisés, écrasés par un régime militaro-policier qui brime un peuple dans son entièreté.

Face à ces crimes et à ces entorses de l’histoire, les Algériens réclament la vérité et scandent à gorge déployée «Ulac Ulac » « Ulac smah ulac». Au nom de Yettou, de Guermah, de Fakhar, de Tamalt, et de tous ceux qui se sont levés pour la liberté, ils exigent que les vrais responsables de ces crimes soient punis par une justice indépendante.

L’exigence de vérité est le premier pas vers la guérison et la réconciliation.

De Guermah à Yettou, le peuple algérien sait reconnaître ses héros. Il sait pertinemment que le régime et son « Pouvoir assassin » n’ont pas changé de nature.

Entre 2001 à 2020, comme depuis l’indépendance, le pouvoir politique est séquestré par le pouvoir informel sur lequel la hiérarchie militaire a la haute main. Bouteflika est a été « amené » par les généraux dans l’espoir de construire une paix par l’oubli et masquer les exactions graves commises durant les années 90. Tebboune a été choisi par la haute hiérarchie militaire pour donner l’illusion d’une « Algérie nouvelle » et cacher la mainmise du pouvoir militaire sur les affaires du pays.

Le premier anniversaire du décès de Ramzi Yettou intervient à une période de répression brutale où chaque jour, un journaliste, un opposant politique, un jeune est arrêté, capturé ou incarcéré par la police ou la justice. La censure s’est érigée en mode opératoire pour faire taire toute voix dissonante qui déroge au récit officiel. La censure subie par Radio M et Maghreb est la dernière et lamentable dérive.

Aujourd’hui, le régime fait discrètement de l’état d’urgence sanitaire un état d’urgence politique avant l’heure. L’odyssée d’un ordre sécuritaire totalitaire est bien-là. La doctrine de choc est en place pour clore la page déstabilisante du Hirak.

Les « querelles de château » entre les franges du cercle des Grands Électeurs – pour reprendre l’expression de Lahouari Addi – sont gênants et ne doivent pas être visibles. Mais le régime se trompe sur cette question. Les Algériens restent majoritairement indifférents face aux querelles au sommet du pouvoir et ceci renforce l’exigence de la « dawla madania ».

Dans le monde post-Corona, les Algériens réoccuperont la rue, dans la silmya et l’esprit du 22 février. Ils fustigeront le régime pour ce qu’il a fait subir à leurs compatriotes emprisonnés en temps de crise sanitaire et pour tous ceux qui ont subi ses affres.

En ces temps difficiles, l’idée de rupture avec le régime est une digue qui ne tombe pas. Luis Sepulveda, immense écrivain chilien emporté par le Coronavirus, a exprimé avec brio la rupture entre un peuple et un régime autoritaire : «Et il n’existe pas de répression, si dure et criminelle soit-elle, qui puisse entraver un peuple qui se lève. ». Le peuple algérien est debout. Pour Yettou. Pour Guermah.

Raouf Farrah
19 avril 2020

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