Réflexions sur la crise de 1962

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Benyoucef BENKHEDDA

De cette courte réflexion sur la crise de 1962, ressortent les quatre points suivants :

primo. Elle a mis fin au nationalisme militant incarné par le courant Etoile nord – africaine – PPA – MTLD – FLN qui a initié, organisé et dirigé la lutte du peuple algérien pour son indépendance. Le mouvement qui a accompli cette mission historique avait subi en 1954 à la tête une fracture qu’il traînera tout au long de la guerre, une cassure qui n’a pu être ni colmatée, ni soudée, et qui ira en s’élargissant jusqu’à 1962, empêchant le FLN de remplir son rôle de constructeur de l’Etat algérien. Ce fut la permanence des coups d’état : 1959, 1962, 1965, 1992… Celui de 1962 entrepris par l’état-major général de l’ALN fut le plus néfaste. Il a détourné le cours de la Révolution et engendré un système totalitaire qui a conduit l’Algérie à la situation actuelle.

Secundo. Le courant islamique, absent de la scène politique en 1962, prendra le relais, trente ans après, en réhabilitant les valeurs de Novembre 1954 qui prônaient les principes islamiques, permettant au peuple de renouer avec son passé et de se réconcilier avec lui-même. Ce qui assure la garantie de son avenir. Une grande lacune apparaît néanmoins dans ce mouvement naissant, c’est son immaturité politique et l’ignorance de son passé récent occulté pendant trois décennies par le pouvoir en place. L’étude de la Révolution algérienne qui a connu des hauts et des bas, l’aidera, en partie, à la combler. Un long chemin lui reste encore à parcourir pour prendre conscience des réalités propres au pays et de l’environnement international, qualité nécessaire à l’action politique, la politique, rappelons-le, c’est l’art du possible. Sinon, les cadres et les dirigeants du Mouvement risquent de tomber dans le piège de la manipulation, une arme redoutable des puissances étrangères et de leurs agents d’exécution et qui a déjà causé de terribles ravages dans leurs rangs et dans le peuple dans la décennie en cours.

Tertio. Après l’indépendance, les problèmes qui engagent le destin du pays ont toujours été réglés dans un cercle restreint d’individus appartenant à la hiérarchie militaire, qui ont fini par former des clans occultes préoccupés uniquement de leurs intérêts particuliers. Le peuple a été tenu délibérément à l’écart.

Quarto. La grande faiblesse de la Révolution fut le manque de direction vivant au rythme des masses et exprimant leurs motivations. Le premier CCE avait pris le départ dans ce sens et son erreur fut de quitter l’Algérie.

Les membres de la direction n’étaient pas liés par une vision commune de l’homme et du monde. Ils n’avaient aucun projet de société. Leur objectif n’allait pas au-delà de l’indépendance. Cet handicap remonte à l’origine du mouvement nationaliste militant, né à l’étranger, dans l’émigration, formé en majeure partie de travailleurs illettrés, privés de l’apport des intellectuels. (Ces derniers se sont-ils suffisamment engagés dans la lutte ?) Cet handicap congénital, il le subira tout au cours de sa longue carrière, malgré l’héroïsme et le dévouement total de ses adhérents. Il n’y a pas eu à la tête du FLN une équipe capable :

– d’évaluer le rapport des forces,

– d’établir un plan d’action,

– de formuler une stratégie et un programme de développement cohérent.

Les masses ont suppléé à la carence de la direction et ont joué un rôle moteur dans la guerre. C’est grâce à elles que fut remportée la victoire. Mais tout fut abandonné par spontanéité et la victoire se transforma en défaite. L’indépendance, acquise de haute lutte, fut gérée d’une manière catastrophique.

Le peuple ne peut triompher en définitive sans une direction alliant la théorie à la pratique, mais compatibles l’une et l’autre avec sa foi, son histoire et sa culture. On ne bâtit pas un état avec des recettes importées de l’extérieur.

Notre souhait est que les jeunes tirent les enseignements de l’histoire, qu’ils en tiennent compte dans l’édification de la nation et qu’ils sachent éviter de tomber dans les errements de la génération de leurs aînés.

Ce qui devrait les préoccuper c’est d’abord la morale, préalable à toute action, politique ou autre, qui confère à l’homme sa véritable valeur et la compétence intellectuelle. Les deux qualités sont fondamentales, notamment chez ceux qui sont appelés à être les guides de ce peuple afin d’affronter l’implacable réalité moderne de plus en plus soumise à la loi de la jungle, celle des Grands de ce monde. Le Kosovo, après la Bosnie, nouvelle tragédie des droits de l’homme, est là, pour nous, à méditer.

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