Petite histoire du culte de la vache au lait d’or noir.

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Ghania Mouffok

La classe état qui gouverne notre pays s’invente des complots, des associations, des personnes, des personnalités qu’elle habille de menaces fictives pour alimenter, produire et reproduire un état d’urgence permanent face à des dangers imminents, à venir, qu’elle feint de déjouer dans une comédie de justice rodée, organisée, payée par l’argent public. La classe état qui gouverne notre pays a pris goût à l’état d’urgence, l’état de siège, elle a du mal à se défaire de cet état idéal pour faire autorité sur la société et toutes les autres classes confondues, seule sa survie est au centre de cette stratégie de gestion des nouvelles complexités d’une société en recomposition qui se questionne mal sur son avenir et ses ressources autant humaines que benoîtement matérielles, sur ses richesses et leurs répartitions.

Inventée dans les années 90, expérimentée dans une violence inouïe et sans cesse remise à jour, cette stratégie de contrôle sans partage s’adapte aux conjonctures, un œil sur le cours du pétrole, un autre sur le cours des devises et un bras méchant dans les quartiers populaires quadrillés, les rues, les balcons, les coursives, les marchés, les stades et les escaliers, avec une option lourde sur le contrôle de la jeunesse sans arrêt menacée, fouillée, malmenée – les jeunes garçons en particulier, embarqués pour un oui et pour un non. Cette stratégie est un véritable poison qui s’infiltre au quotidien, se diffuse de manière sournoise, étouffante pour tuer toutes velléités de résistance à son projet de maintien de l’ordre public qu’elle confond avec ses intérêts particuliers, intimement liés à la redistribution de l’argent public, cette rente inépuisable et qui, comme chacun sait, n’appartient à personne contrairement à l’argent privé, la classe état n’ayant d’autre ambition que de ne pas se tromper dans sa bonne répartition: ça c’est pour moi et ça c’est pour mon frère et les miettes pour les restes du pays.

Un ordre public qu’elle traduit par sa seule autorité, une subjectivité sans aucune limite, sans aucun contre-pouvoir possible pour une société réduite à n’être plus que des individus face à cette machine à écraser le minuscule sans aucun recours pour se défendre, plaider sa cause publiquement, culturellement, idéologiquement, politiquement. C’est une machine à écraser le citoyen sans citoyenneté, sans droit, ni loi que celle de cette force soft d’une brutalité devenue tellement banale qu’elle ne se questionne plus, elle se fuit, “khtik man machakel”, “éloigne toi des problèmes” est le mot d’ordre de la société qui cohabite avec cette force répressive comme on apprend à éviter le corona dans un pays où croiser un flic ou une bande de flics c’est à chaque fois prendre le risque d’apprendre par la voix du cynisme qu’on n’a pas respecté la loi.

Gare, tes papiers, bouge toi de là, qu’est ce que tu fais là? qu’est-ce que tu attends? non tu ne peux pas manifester puisque tu n’en as pas reçu le droit, il est où le tampon et ton masque? À la fourrière, bon je me tais parce que là je ne peux pas te parler il y a la police, il y a un barrage, au volant ou en marche à pied, nos nuits et nos jours ont la couleur des flics. Le dressage à la peur de la sanction arbitraire se fait d’abord dans la rue du quotidien avant de devenir politique, retrait de permis, amende, arrestation, saisie de ta marchandise, prendre de ton temps longuement après le salut de judas, salam, salam, ok qu’est ce que tu vas m’inventer cette fois, prendre de ton temps devant l’administration, reviens demain, on ne reçoit pas aujourd’hui, non le directeur n’est pas là, elle se fait dans l’usine, au travail, un syndicat, quel syndicat? de quoi tu parles? dans le privé ou dans le public, tais toi et travaille, tu as vu le nombre de chômeurs qui rêvent de prendre ta place? t’es pas d’accord, je m’en fous, tu es viré, quoi la police? Laquelle? la justice? tu me fais rire, elle est bonne celle là.

La puissance de cette machine est décuplée par sa géométrie variable qui interprète la loi au cas par cas, tout dépendra de ton accent, de ton statut, de ta manière de parler, de regarder faire l’autoritaire, pour la même infraction tu peux finir au poste ou continuer ton chemin après salutations et salamalek, mais ne recommence pas, on t’a à l’oeil, à la prochaine, la prochaine qui peut advenir au prochain tournant de cette journée maudite où tu aurais mieux fait de pas bouger, ne pas te faire remarquer, de rester dans les brumes de l’invisible.

Aujourd’hui l’interdiction de Raj, la condamnation de Nacer Maghnine, l’oublié de Sos Bab El Oued, la condamnation d’Amira Bouraoui, la condamnation du journaliste Rabah Karèche du mal nommé Liberté, la mise sous surveillance permanente, le harcèlement de Ali Belhadj, la demande d’extradition de Amir Dz, de Ferhat Mehenni, de Hichem Abboud, de Larbi Zitout, de Abou Semmar, tous détestables par leurs pratiques de la politique mais pas des assassins jusqu’à preuve du contraire, l’arrestation de makistes et de rachadistes, ces inconnus du grand public, participent de la même machine, en cherchant bien il n’est pas impossible de leurs trouver quelques infractions matérielles à cette loi du complot puisque tout est interdit et que le code pénal est si généreux en preuves du possible.

L’argent étranger/interdit, manifester/ interdit, faire un parti /cela dépend de ton récépissé, qu’est ce qu’il t’autorise quant au fond? la loi sur les partis, sur les associations etc, tout cet arsenal peut se lire comme des autoroutes d’infractions impossibles à contourner.Avant d’advenir le complot est d’abord balisé par l’interdit au service de l’imaginaire inépuisable de la puissance assiégée, menacée par une société haineuse avec raison qui trouve que de son point de vue, ce monde ne tourne pas rond. Et plus elle est assiégée et plus elle fait travailler l’algorithme du complot qui ne peut le traiter que s’il lui est extérieur, étranger. Le plus grave dans cet imaginaire complotiste contre l’état, l’ordre public, les institutions, la religion, Dieu, les bonnes moeurs c’est qu’en définitive son but ultime est d’interdire toute forme de socialisation autonome de la société puisqu’en son sein se cachent des comploteurs, des gens sans foi, ni loi, des blasphémateurs du sacré, le mieux c’est de lui apprendre à éviter de leur donner l’occasion de se mouvoir, de se cacher, de se glisser dans le rassemblement, la réunion, la rencontre, interdire de faire groupe, syndicat, parti, association parce que si les intentions sont bonnes, louables, la seule manière pour l’état de protéger la société de ses brebis galeuses, de ses traîtres amis d’Israël, du Maroc et bientôt de la Papouasie Nouvelle Guinée est de nous réduire tous et toutes en individus isolés, avec une adresse, un portable, détectables sans aucune protection collective.

Seul à seul face à la classe état qui gouverne, légifère, papote, ergote, ment et défait tous liens social, toute forme de solidarité, depuis la destruction des services publics jusqu’à l’interdiction du droit de réunion. Une société interdite de se réunir, de se penser par une classe état qui vient dans l’épuisement général de rétablir “la carte d’indigent” depuis l’Assemblée Populaire Nationale, de détruire ce qui restait de subvention, cet impôt collectif au service des plus démunis qui désormais devront prouver qu’ils sont pauvres sans aucune certitude d’être entendus, comment peut-on prouver à une telle machine qu’on est pauvre? et qui vient de transformer l’université en machine massive à distribuer des diplômes sans avenir, sans aucune sanction du savoir acquis, tu veux faire un master? vas y, un doctorat? mais vas y, cela t’occupera en attentant que tu perdes ta vie à faire la queue, à faire ton dossier pour obtenir, si Dieu le veut, ta carte d’indigent à la mairie du maire que tu n’as même pas pensé à élire, cela t’apprendra la prochaine fois à mieux te placer dans les rouages de la Machine de l’état d’urgence permanent.

Dans ce contexte, c’est perdre son temps que de tenter de comprendre le complot de x ou de y, ce qu’il faut y entendre c’est le bruit d’un système de pouvoir qui fonctionne à la manière d’un algorithme alimenté au code pénal auquel il suffit de donner quelques informations, quelques instruments, la police et la justice et il vous fabrique un complot. Aussi juste que zéro plus zéro égale zéro. La classe état est une classe redoutable à combattre, à débusquer parce qu’elle ne possède rien d’autre que les rouages de l’état, une propriété immatérielle, irresponsable et quand elle défile devant les tribunaux -depuis une fonction perdue pour sauver la Machine à fabriquer des puissants éjectables, chef du gouvernement, ministre, walis, hommes d’affaires, il en faut bien quand même pour dé/gérer tout ce fric public, officiers de police ou militaires- elle dit: “si je parlais c’est l’état tout entier qui tremblerait”. Alors elle se tait, non pas dans le goût du sacrifice, l’amour de l’état mais dans la fidélité au culte de la Vache au lait d’or noir et de sa Machine à traire son huile en dollars, en lingots jaunes.

Qui se souvient de Kasdi Merbah ? Patron des patrons, l’homme au profil d’aigle et “aux dossiers”, mort assassiné comme un banal citoyen achetant des carrelages pour sa nouvelle cuisine dans une banlieue sans histoire née de la poussière et du ciment et qu’importe l’identité de son assassin, islamiste illuminé ou rival sans pitié, il est parti en fumée, témoignant que l’une des conditions pour survivre et prétendre à la moindre postérité, il est conseillé de respecter le pacte du silence, condition nécessaire à l’immortalité de l’état d’urgence permanent de bas en haut et de haut en bas. Ceci n’est ni un sortilège, ni une malédiction, c’est une organisation politique, économique, culturelle et cultuelle, une idéologie, une idée et pour la défaire, s’en libérer, il y a comme urgence à la penser au lieu de pleurnicher en répétant benoîtement rien n’a changé, c’est le contraire qui serait étonnant. Si nous voulons vraiment changer notre condition de non citoyens nous n’avons d’autre chemin que de nous repenser dans le maillage de notre histoire plus proche de l’Azerbaïdjan que de la Suisse, plus proche de Haïti que des îles Hawaï, plus proche du sujet que de la citoyenneté, se dire que nous n’avons aucun retard à rattraper, que nous n’avons aucun destin à courir après une place sur les marchés, que notre pays n’est pas juste une idée mais une lourdeur matérielle et immatérielle qui attend qu’on lui raconte la vérité de son histoire sans enjamber les siècles, barrer ceux qui nous ennuient, enlever de la photo les héros qui nous déplaisent, essuyer le couteau sur la tête des orphelins, il nous faut retrouver les chemins de la raison, de la passion de penser, de réfléchir, de nous affronter contradictoires, de se dire que nous n’avons pas tous la même histoire sociale et qu’un seul héros le peuple n’a jamais existé que pour cacher les intérêts des uns et des autres, apprendre à sortir de cet idéal charmant et infantile qui nous maintient aux portes de l’indigence de la pensée.

Dans un an à peine nous célébrerons 60 ans d’indépendance et nous continuons à dire “depuis 62” et nous continuons à dire “echâab yourid el istiklal”. Quoi “depuis 62“? Qu’est ce qui s’est passé ? Il ne se serait rien passé d’autre que la répétition de l’armée des frontières, de Boumediène et le reste de la patrie, elle est où sur cette échelle de la fatalité inaugurale de notre histoire de nation qui s’est imposée à nous même et aux Autres, cet étranger devenu cet épouvantail menaçant de l’unité nationale de la Machine à traire et à distribuer les places. Dans un an nous célébrerons 60 ans d’indépendance, qu’allons nous écrire, qu’allons nous en penser, qu’allons nous en faire? Vu l’état des choses, on peut déjà prédire que nous allons rester face à nos écrans et commenter ce que les autres – avec leurs lorgnettes blanches ou orientales, des étrangers à notre histoire intime, à nos cœurs, à nos mémoires, à nos souvenirs, à nos morts, à nos deuils inachevés, à nos bouleversements historiques, à nos âges antiques et à nos âges tendres- penseront de nous, en faisant des livres, des films, des dessins, des photos, des fictions et des documentaires et nous resterons là, humiliés, à triturer les détails, à les applaudir ou à les insulter, tout en agitant notre drapeau dans la paresse des gens qui ont si peur de se penser, de défaire les dogmes faciles de l’irresponsabilité comme si nous n’étions qu’un peuple incapable de penser l’ histoire, s’auto- disqualifiant dans le mépris de nous mêmes, en éternels subalternes de l’écriture de notre propre histoire, cachant nos albums de famille comme des preuves honteuses d’on ne sait trop quels secrets.

Et pour nous tirer de cette impasse, il ne nous reste plus que le culte de ce qui se répète : “depuis 62”. Depuis la date de la libération c’est à dire ? mais alors quoi? il ne s’est rien passé en Algérie ? Quel mensonge construit par les vaincus qu’ils soient de la Nation ou de l’étranger, qu’ils aient eu tort ou raison, qu’importe, ils ont perdu, alors depuis qu’ils ne sont plus aux affaires où qu’ils n’y arrivent jamais, ils tricotent ce mensonge qui se transmet comme un héritage en indivision. Mais de qui parlent-ils ? L’Algérie de 2022 n’a rien à voir avec l’Algérie de 1962. La fin du colonialisme c’est comme la découverte d’un nouveau continent, et un nouveau continent il s’explore, c’est le moindre des efforts pour ceux qui y vivent et en vivent, qui y meurent et en meurent.

L’Algérie a totalement changé, de sa démographie à sa cuisine, revisitant sa féminité et sa masculinité, ses genres et ses interdits, de la manière dont nous éduquons nos enfants en taisant leurs souffrances, de la nation à la globalisation, de la vigne au pétrole, de la SNS à Rebrab, du salariat massif au travail informel massif, de la France à la Chine, du Maghreb à Israël, d’Alger à Istanbul, des Oulémas à l’afghan, du socialisme au capitalisme, du pseudo du colonel Houari Boumediène au vrai nom du président A.Tebboune, du dinar à l’euro, depuis la mer jusqu’au désert, de l’émigré qui désormais se fait appeler la diaspora ou le harraga, des langues que nous parlons et des langues que nous taisons, du MCB de ma jeunesse au Mak de ma vieillesse, de la peur et de son contraire, pourquoi avons nous si peur de penser le changement, de quoi avons nous si peur aujourd’hui encore?

Nous avons peur des cadavres qui nous hantent, les nôtres et ceux des autres, nous avons peur de creuser nos certitudes dogmatiques, de questionner nos pratiques, nos noirceurs et nos lumières, nous avons peur d’être libres de penser, de crainte que les mensonges qui nous nourrissent, notre art de la propagande d’opposition comme de pouvoir, nous mettent à mal face à des miroirs sans complaisance. Quand on veut vraiment changer le monde ce n’est pas la répétition qui se pense mais ce qui a changé, le concept même d’avenir est impensable quand il est déjà fatalement le passé. C’est en sortant de la répétition, de l’impossible que le Hirak a fait bugger la machine de l’état d’urgence permanent. Le Hirak en prenant un chemin de traverse par la puissance de deux inattendus, le nombre et une idée, une seule mais puissante la silmiya et son pendant le khawa/khawa a empêché l’algorithme de fonctionner, d’inventer un complot et de pratiquer l’état d’urgence tant que le Hirak était imprévisible.

Et si la classe état qui nous gouverne a fini par dompter le Hirak, ce n’est ni grâce à la police, les prisons et la justice, ni même par sa propagande invraisemblable, mais parce que le Hirak a été rendu à nouveau compatible au traitement par l’algorithme du complot en abandonnant en cours de route la seule idée puissante, nouvelle, révolutionnaire dans notre histoire politique qu’a été la langue de la non violence et sa pratique effective comme arme privilégiée du changement. L’histoire de ce retour sur rails s’est faite pas à pas, avec le retour de l’ancienne classe de l’opposition qui a ramené dans ses bagages d’élites de l’opposition, vieille élite médiatique et politique, sa langue de la répétition de ses échecs. Trop occupée à se faire une place dans cette société qui ne voulait pas plus d’elle, partis et appareils confondus, qu’elle ne voulait du pouvoir en activité, elle s’est empressée depuis ses appareils, ses accointances, ses réunions confidentielles, ses réseaux médiatiques et internationaux, ses héros et ses leaders dans le vide, ses médias traditionnels et nouveaux, de revenir à la langue de l’algorithme, tais toi et ferme ta gueule de traître.

Ne prenant pas la mesure de son impopularité plus elle avançait à visage découvert et plus le nombre des marcheurs se rétrécissait. “Du khawa/khawa” aux “généraux à la poubelle”, cette couche éphémère de l’ambition sans projet a restreint le champs de la silmiya, elle a imposé la question du pouvoir alors que la Rue massive posait la question de la citoyenneté pour tous, de gens frères avec option en attente pour les sœurs qui se sont quand même imposées comme il se doit au débat, dans la science terrible et expérimentée qu’il n’y aura pas de pratique de la politique tant que la masse du peuple n’était pas reconnue dans sa citoyenneté, entre la conquête de la citoyenneté et la conquête du pouvoir est venue s’installer le champ de la violence comme avenir. En décrétant “pas d’élection”, “pas de négociation”, cette classe politique usée et sans talent a convoqué le pouvoir de la classe état à en abuser, elle a en fait décrété que le seul pouvoir d’être élu ne résidait qu’entre les Tagarins et la Présidence, elle s’est elle même livrée à ses bourreaux qui ne se sont pas privés d’exercer ce pouvoir qui leur était ainsi reconnu.

Et elle va élire les rois du complot et remettre en marche son algorithme avec une facilité déconcertante en aidant cette société civile bien singulière à s’isoler encore plus du reste de la société qu’elle venait de déclarer sans attribut. Il ne lui restait plus qu’à se faire cueillir et jeter en prison sans bouleverser la nation. Cette cécité de l’égoïsme de classe a été une révélation terrible de l’indigence de la pensée des élites dominantes, une indigence rare qui a cru, s’est fait croire, que le pouvoir était à prendre, du moins à partager entre gens de bonne compagnie alors que ce qui était à arracher c’était la citoyenneté, le droit de s’organiser, de se réunir, de parler, de faire communauté, communauté d’intérêts contradictoires, divergents.

Alors que la société des anonymes faisait remonter en mémoire, les ancêtres, la guerre de libération, les crimes, l’état, la nation, la mémoire de la guerre civile et de sa silencieuse concorde civile en guise de fin de non recevoir, la mémoire des conflits idéologiques, les islamistes contre les démocrates, les berbéristes contre les badissistes, les drapeaux des uns et des autres, la place des femmes, nos élites de l’indigence se sont empressées depuis leurs médias amis, de la connivence à l’intérieur comme à l’international, à cacher les conflits qui divisent “le peuple uni contre les généraux à la poubelle”, désossant la contestation en recherche d’une langue, dépolitisant le conflit, les idéologies, décuplant la puissance du pouvoir qui manipulerait les pas d’accord, ceux qui se demandent, se posent des questions, réduisant au silence les balbutiements d’une pensée se forgeant dans la marche, l’action de marcher, transformant les marches libératrices d’énergie et fabricante d’espaces communs en slogans mortifères, en énergie au service de l’inertie et du tourner en rond jusqu’à la chute de tous en chantant la propagande à la gloire d’une phase de transition immatérielle – interdisant l’ouverture du livre des comptes de 60 ans d’histoire- pour passer de la dictature à la démocratie occidentale puisque “le peuple veut”.

Elle est revenue à la langue du un, tous unis à la queue leu leu derrière le vide. Se rejouant la guerre de libération nationale, en se prenant pour Abane Ramdane, Amirouche, Hassiba Bent Bouali et tout recommencer “depuis 62”. Mais qu’est ce que veut le peuple ? La démocratie, are you sure? Laquelle, celle d’en bas ou celle d’en haut? des patrons ou celle des syndicats? Celle des enfants gâtés ou celle des enfants dont le passé est déjà tout pourri? Pour savoir ce que veut le peuple encore faut-il le connaître et le reconnaître, le remettre à sa juste place. La silmiya qui fait peur est devenue, dans cette langue d’imitateurs savants en démocratie sans histoire qui s’importerait dans le même containers qu’une voiture, une simple performance médiatique “pas une fenêtre cassée”.

Un spectacle pour le vendredi, après la prière, un fond de selfie, une photo massive qui mériterait dans leurs têtes de brumeux narcissiques d’être couronnés par le prix Nobel de la paix, convoquant le monde entier à flatter leur ego national malmené. Quelle belle fin, quel bel artifice final pour un peuple si marrant et si attachant à condition qu’il arrête de se prendre pour un tube digestif sous prétexte qu’il est fauché, qu’il n’a pas de logement et que ses enfants n’ont même pas d’argent pour se marier. Ici on ne fait pas du social mais de la politique…Peut-on faire de la politique sans l’ombre d’une idée locale? En guise de circonstances atténuantes ce projet a prétendu se mettre à l’heure du monde dominant au moment où ce même monde traverse une crise sans précédent, crise du capitalisme triomphant, crise de la représentation, crise des sociétés, crise climatique, crise de sens, repartage du monde, guerre Chino-américaine, retour de la Russie de Poutine en méditerranée et l’Afrique compte désormais plus d’un milliard d’habitants, aveugles à cet environnement nos élites politiques, nos élites parlantes plus que pensantes étaient encore dans les années 90, elles n’avaient même pas vu, semble-t-il, que le mur de Berlin était tombé et que la fin du socialisme, la fin de l’URSS avait rendu sans aucun intérêt ses anciennes périphéries désormais intégrées à la globalisation des marchés dominés par la force brutale de Paris à Moscou, de l’Afghanistan au Soudan explosés.

Elles n’avaient pas vu que le monde entier était sous état d’urgence et elles en sont encore là dans l’attente absurde d’être sauvée de “ses généraux à la poubelle” par l’Europe occidentale qui se dispute dans les aéroports les masques produits en Chine pour sauver ses électeurs du corona pendant que leurs généraux, leurs marchands d’armes – ne vous inquiétez pas il y en aura pour tout le monde et pour le monde entier, pour les indiens comme pour les cow boy, sur le marché globalisé par la grâce de “la loi de l’offre et de la demande” si chère à nos néo-libéraux- dessinent les futures cartes du monde. Dans cet espace/monde nous ne sommes qu’un point mais un point, ce n’est pas rien pour écrire une histoire populaire, à condition de bien savoir où on le pose dans ce récit du culte de la vache au lait d’or noir.

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