Égypte, 23 juillet 1952. Coup d’État ou révolution ?

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HISTOIRE POLITIQUES > VA COMPRENDRE ! > ALAIN GRESH > 23 JUILLET 2022

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© Hélène Aldeguer, 2022.

Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1952, des chars prennent position aux principaux carrefours du Caire et s’emparent des points stratégiques de la capitale égyptienne. Les jours suivants, le cas du roi Farouk (dont certains demandent le procès, voire l’exécution) est réglé : il est autorisé à partir en exil. Personne ne le regrettera tant il symbolise la corruption, l’incompétence et la soumission aux Britanniques.

Ce qui a mobilisé le peuple égyptien, depuis des décennies, c’est la haine du Royaume-Uni, qui a occupé le pays en 1882. « L’Égypte vient de traverser la période la plus sombre de son histoire, avilie par la corruption, désagrégée par l’instabilité », proclame le premier communiqué des « officiers libres » qui se sont emparés du pouvoir. Ils sont accueillis avec enthousiasme du Caire à Alexandrie.

Même s’ils ont pris comme figure de proue un général respecté et populaire, Mohamed Naguib, les « officiers libres » représentent une nouvelle génération : contrairement à la dynastie régnante ils sont égyptiens, n’ont souvent pas trente ans et sont issus de cette petite bourgeoisie qui a pu, grâce à une réforme, accéder pour la première fois à l’Académie militaire en 1936. Certains de leurs membres sont proches des Frères musulmans, d’autres des communistes, mais tous sont de farouches nationalistes.

S’ils entament rapidement une réforme agraire et abolissent la monarchie en juin 1953, l’objectif premier des « officiers libres » est de se débarrasser de la tutelle de Londres. Le 19 octobre 1954, ils signent un accord qui prévoit le retrait de toutes les troupes étrangères dans un délai de vingt mois, mais aussi la possible réactivation par Londres de sa base sur le canal de Suez en cas d’attaque d’une puissance extérieure contre un État arabe ou contre la Turquie. Sans même avoir à consulter l’Égypte, ce qui soulève de nombreuses critiques.

Entretemps, les divergences au sein du pouvoir s’accentuent entre ceux qui pensent qu’il est temps de remettre le pouvoir aux civils, c’est-à-dire au Wafd, le grand parti qui a incarné le mouvement national depuis 1919, mais qui est dominé par les propriétaires fonciers. Le Wafd veut le maintien de l’ordre ancien, mais sans les Britanniques, et ses membres pensent que l’armée doit incarner non seulement l’indépendance nationale, mais aussi un changement social, la construction d’une économie forte et l’inscription de l’Égypte dans le grand mouvement de décolonisation qui secoue la planète.

NASSER À BANDUNG

Un homme va symboliser cette voie : Gamal Abdel Nasser, le fondateur des « officiers libres » et l’homme derrière le 23 juillet 1952. Après avoir marginalisé le président Mohamed Naguib puis interdit l’ensemble des partis politiques, il se radicalise et refuse de rejoindre les pactes antisoviétiques que cherchent à mettre sur pied le Royaume-Uni et les États-Unis. Il participe à la conférence de Bandung (Indonésie), en avril 1955, qui marque la naissance du mouvement des non-alignés. Il achète à la Tchécoslovaquie les armes que les États-Unis refusent de lui fournir. Indigné par le refus de la Banque mondiale et de la Maison Blanche de financer son titanesque projet de haut barrage sur le Nil, il nationalise la Compagnie du canal de Suez le 26 juillet 1956.

Il soulève un immense espoir dans le peuple égyptien qui voit satisfaites ses revendications, et pas seulement son désir d’indépendance. Développement économique, réforme agraire, extension des droits sociaux des travailleurs et des femmes. L’instruction publique, la santé et l’électricité s’étendent jusque dans les lointaines campagnes. Les portes de l’université s’ouvrent à des fils de paysans jusque-là cantonnés aux marges du pays. Le personnel politique est totalement renouvelé. Après l’échec de l’agression israélo-franco-britannique de novembre 1956, la popularité de Nasser s’étend dans l’ensemble du monde arabe et bien au-delà, à la mesure de la haine qu’il suscite en Europe.

Mais, tout en satisfaisant les aspirations populaires, Nasser a réprimé et caporalisé les organisations et les forces qui en avaient été les porteuses durant les années 1930 et 1940. Il arrête des responsables de gauche, des militantes féministes, des cadres syndicaux. Le pouvoir se bureaucratise et est accaparé par ce qu’on appellera « la nouvelle classe ».

Après la défaite de la guerre de juin 1967 et la mort de Nasser en novembre 1970, aucune force n’est capable de mobiliser pour préserver les acquis de la révolution. L’armée continuera à exercer la réalité du pouvoir, sauf durant la courte période révolutionnaire (2011-2013) qui verra l’élection de Mohamed Morsi, premier président civil du pays.

ALAIN GRESH

Spécialiste du Proche-Orient, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont De quoi la Palestine est-elle le nom ? (Les Liens qui libèrent, 2010) et Un chant d’amour. Israël-Palestine, une histoire française, avec Hélène Aldeguer (La Découverte, 2017). Directeur d’Orient XXI.

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