Les catastrophes climatiques sur les rives de la Méditerranée, conséquences du réchauffement accéléré de la mer

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Par Martine Valo

https://www.lemonde.fr/
19/08/2022

CORRECTION / Algerian farmer Hamdi Gemidi checks his charred animals at his farm on the outskirts of the city of el-Tarf, on August 18, 2022. Algerian firefighters were today battling a string of blazes, fanned by drought and a blistering heatwave, that have killed at least 38 people and left destruction in their wake. (Photo by Ryad KRAMDI / AFP)

Tempêtes en Corse et en Italie, sécheresse et incendies en Espagne et en Algérie… Si le réchauffement n’explique pas tous ces phénomènes, il est en moyenne plus rapide dans le bassin méditerranéen que dans le reste du monde.

Il faisait plus de 48 °C, jeudi 18 août, à El Tarf, Guelma et Souk Ahras, trois villes d’Algérie en proie à des incendies au bilan provisoire déjà lourd. Ils ont causé la mort de 38 personnes, fait plus de 200 blessés, entraîné l’évacuation de centaines de familles et d’un hôpital. Quelque 1 700 pompiers y sont mobilisés pour tenter de venir à bout de 84 feux de forêt.

Pendant ce temps-là, un peu plus au nord, la Corse essuyait de violents orages, qui ont tué au moins cinq personnes et en ont blessé une vingtaine d’autres, dont quatre très grièvement. La majorité d’entre elles ont été victimes des rafales de vent exceptionnelles – jusqu’à 224 kilomètres par heure sur la côte ouest de l’île –, qui ont arraché arbres et toitures, provoqué des coupures d’électricité chez 35 000 habitants, jonché les routes de branches d’arbres, rompu les amarres de bateaux.

Tempête extrême d’un côté, sécheresse de l’autre : les rives de la Méditerranée connaissent les deux facettes du même fléau : le changement climatique. Or, celui-ci y est, en moyenne, plus rapide encore que dans le reste du monde. Dans le bassin méditerranéen, la température moyenne a augmenté de 0,036 °C par an entre 1993 et 2020, soit près de 1 °C au total, selon les données de Copernicus, le programme européen d’observation de la Terre.

Les effets de cette évolution se manifestent rudement cet été. A l’ouest, l’Espagne et le Portugal sont en proie à des feux de forêt. Le Maroc est confronté sans doute à sa pire sécheresse depuis quarante ans ; ses barrages sont aux trois quarts vides : ensemble, leur taux de remplissage ne dépasse pas 27 %. A l’est, le désert avance en Irak, où le débit cumulé de l’Euphrate et du Tigre a chuté de moitié en deux décennies.

Certes, le changement climatique n’explique pas l’intégralité de ces phénomènes, mais il est bien le responsable des vagues de chaleur qui se multiplient jusque dans la mer. Entre les côtes françaises, espagnoles et italiennes, des températures de 6,5 °C supérieures aux normales saisonnières ont été mesurées, et des anomalies de température très importantes ont duré au moins soixante-dix jours d’affilée cet été. Dans les vingt premiers mètres sous la surface, l’eau a atteint 28 °C au large de Marseille, 30 °C à Bastia et aux Baléares. Ces canicules marines ont des effets dévastateurs pour la faune et leurs habitats : coraux, prairies de posidonie…

La Méditerranée, un des points chauds de la planète

En 2020 a été publiée une importante somme des connaissances sur le changement climatique et environnemental en Méditerranée. Elle est le fruit du travail de plusieurs années de recherche de 190 scientifiques, provenant de 25 pays, soutenu par l’Union pour la Méditerranée (UPM), une organisation qui réunit 42 Etats, et le Programme des Nations unies pour l’environnement.

Ses constats mettent à mal la légendaire douceur méditerranéenne. Le « petit lac autour duquel nous sommes 500 millions à vivre », selon l’expression du secrétaire général de l’UPM, Nasser Kamel, est l’un des points chauds de la planète : il se réchauffe 20 % plus rapidement que la moyenne mondiale. Les conséquences en sont multiples.

Si les stratégies politiques et économiques se poursuivent sur les modèles actuels, les vagues de chaleur vont se faire plus intenses et plus durables. Les mois des étés les plus frais demain seront plus chauds que les plus caniculaires d’aujourd’hui, selon ce rapport. Le climat va devenir de plus en plus difficile à supporter dans la plupart des grandes villes de cet espace géographique. D’autant que l’élévation du niveau de la mer, qui risque fort de dépasser un mètre d’ici à 2100, ne met en péril pas seulement quelques petites îles sans relief de Tunisie, de Grèce ou d’Italie. Elle pourrait frapper de plein fouet les agglomérations côtières, déjà exposées aux fortes tempêtes. Un tiers de la population de ces littoraux serait alors concerné ; au moins 37 millions de personnes verraient leurs moyens de subsistance menacés, selon le réseau d’experts.

Des terres agricoles vont être condamnées par la montée de la Méditerranée. Elles vont disparaître, subir l’érosion et des baisses de rendements à cause de la salinisation, comme peut le mesurer la Camargue actuellement. Pour le blé, le déclin pourrait être d’environ 7,5 % à chaque degré de réchauffement. La sécurité alimentaire et, plus globalement, la santé sont menacées, avec notamment la multiplication de pathogènes et des maladies hydriques. Car plus l’eau est rare, plus les contaminants y sont concentrés.

Ecosystèmes bouleversés

Les territoires risquent, en outre, d’être confrontés aux inondations et aux glissements de terrain dus aux pluies diluviennes.

La salinisation constitue une menace majeure pour l’eau potable : en s’introduisant dans les nappes souterraines, elle les rend saumâtres. Les fortes chaleurs accélèrent l’évapotranspiration des sols et des plans d’eau. Plus de 250 millions de personnes seront considérées comme « pauvres en eau » dans vingt ans, ce qui devrait générer « des sources de conflits accrus entre les peuples et une migration de masse accrue ».

Le bassin méditerranéen est un haut lieu de la biodiversité mondiale, rappellent encore les scientifiques. Forêts brûlées, zones humides gommées : le changement du climat va bouleverser les écosystèmes dans toute la région, y compris en mer. L’arrivée de 700 espèces de plantes et d’animaux exogènes montre que les conditions environnementales ont déjà bien changé. En provenance de la mer Rouge, le poisson-lion, qui dévore les larves de beaucoup d’autres espèces, s’est répandu dans tout le bassin. Les proliférations de méduses se sont intensifiées. Des pathogènes, des microalgues toxiques notamment, se multiplient.

Enfin, comme l’ensemble de l’océan mondial, la Méditerranée est victime de l’acidification de l’eau. Conjugué à l’augmentation des températures, ce phénomène contribue à la dégradation du milieu. Le rapport souligne la perte de 41 % des principaux prédateurs marins, y compris des mammifères. Parce qu’elles ne trouvent plus assez de plancton pour s’alimenter, les sardines voient leur taille se réduire depuis plusieurs années.

Par ailleurs, après avoir organisé une exploration des volcans sous-marins proches des îles éoliennes, l’Unesco a alerté, en juin, sur les risques, aujourd’hui sous-estimés, d’un tsunami en Méditerranée. Il ferait déferler des vagues de plus d’un mètre de haut sur des littoraux extrêmement peuplés. La probabilité de sa survenue dans les trente prochaines années serait de 100 %.

1 COMMENTAIRE

  1. Le dérèglement climatique est sans doute une réalité mais les atteintes à l’environnement (déforestation, labours illicites dans la steppe, labours des fortes pentes…) dues à l’homme ne sauraient être niés. Le Barrage vert préconisé dès 1968 devait constituer un remède partiel à ces pratiques. Le projet pourtant approuvé par les plus hautes autorités a été contrecarré par la hiérarchie forestière d’Algérie. Depuis, la situation est en détérioration constante.

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