Le syndrome de l’ennemi extérieur, le paravent des dictatures arabes

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1997

Parmi les plus importantes stipulations opérantes dans le domaine de la conscience politique arabe, qu’il s’agisse du pouvoir ou de la société, il est une des plus fonctionnelles, des plus dangereuses dans sa valeur procédurale, capable éminemment d’induire la conscience de son destinataire.

Cette stipulation repose fondamentalement sur le fait que l’assise de toute l’humiliation et du retard du monde arabe réside intégralement dans les agissements belliqueux de l’ennemi extérieur et le complot étranger contre ses peuples et ses États.

Cette énonciation n’est pas fausse dans son origine car elle repose sur deux éléments essentiels. Le premier élément réside dans le contexte historique basé sur le passé colonial des puissances étrangères, en particulier occidentales, dans ses pays. Ce sont elles qui ont tracé les frontières de Sykes-Picot, occupé et morcelé le Grand Maghreb, entravant ainsi le développement de la nation arabe et commettant les pires crimes à son encontre.

Le deuxième élément se résume par la présence dominante de l’acteur étranger dans les trajectoires des pays de la région, en soutenant des dictatures, en orchestrant des coups d’État et en infiltrant l’économie, allant jusqu’à l’invasion militaire, comme cela s’est produit en Irak ces dernières années.

La question corolaire qui s’impose d’elle-même est la suivante : comment les régimes arabes et leurs bras médiatiques et publicitaires ont-ils exploité cet élément discursive afin de consolider une certaine conscience qui dissimule la réalité du conflit et de ses outils ? Existe-t-il un moyen de démanteler le mensonge entourant cet élément ? Quelles sont les véritables motivations derrière cette utilisation ?

Le mensonge comme outil de diversion politique

Ce qui distingue l’image de l’ennemi extérieur dans le discours politique officiel arabe, c’est qu’il est une entité insaisissable, dépourvue de frontières claires et de caractéristiques distinctives permettant de le différencier des autres concepts dynamiques. Tantôt il est assimilé à la franc-maçonnerie, tantôt à l’impérialisme, parfois à l’OTAN, et d’autres fois à la conspiration sioniste mondiale entre autres parmi tant d’autres entités agressives que ce discours présente comme la cause du retard et de l’arriération des peuples de la région.

Il est vrai que ces différentes composantes, avec leurs divers aspects et origines, sont des entités politiquement, intellectuellement, culturellement expansionnistes et même militairement. Par exemple, la pensée sioniste représente le pilier sur lequel s’est fondée l’entité d’occupation en Palestine, après avoir réussi, au cours de siècles tout un travail secret et public, à faussement convaincre les puissances coloniales occidentales du droit d’établir un foyer juif en Palestine. Il est également vrai que l’OTAN, qui réunit les anciennes puissances coloniales européennes aux côtés des États-Unis, est fortement présent dans l’espace géopolitique arabe et exerce une influence puissante grâce à ses bases militaires et à ses agents locaux.

Cependant, regarder ces composantes sous un angle différent soulève des questions : depuis des siècles, remontant jusqu’aux croisades, le conflit et les tensions entre l’Orient et l’Occident ont été la norme. Cela s’est développé après le déclin du califat ottoman, jusqu’à la liquidation de son héritage après sa chute, conduisant à la soumission totale du Levant arabe en particulier à l’influence de ces puissances. Le principe de l’expansion, la recherche de marchés, de sources d’énergie et de matières premières, voire de main-d’œuvre bon marché (comme le commerce des esclaves), est la règle plutôt que l’exception dans les relations entre l’Orient et l’Occident, ainsi que dans les relations internationales en général.

En d’autres termes, les puissances européennes et les entités mentionnées ci-dessus sont en réalité des acteurs qui remplissent leur fonction expansionniste dictée par le principe du conflit, qui est la loi des relations entre les États, les peuples et les civilisations depuis les premiers jours de l’histoire. Par conséquent, tous les pays, y compris les grandes puissances, suscitent l’avidité d’autres forces qui cherchent à les affaiblir, les démanteler, les contrôler et s’approprier leurs richesses. La prise de conscience de cette loi a contraint les pays à intensifier leur production militaire, à développer des systèmes de défense et de renseignement, y compris la course effrénée pour obtenir des armes de dissuasion, notamment les armes nucléaires. Aucun pays, peuple ou civilisation sur terre n’est exempt d’ennemis qui les guettent, cherchant à les renverser et à les dominer. C’est la recherche éternelle de la richesse, du pouvoir, de la domination et de l’imposition du modèle civilisationnel sur les entités faibles, conformément au principe selon lequel la survie appartient toujours au plus fort.

Le véritable ennemi est à l’intérieur

Au niveau arabe, le pouvoir despotique local a réussi à dissimuler tous ses échecs en réprimant les libertés, en restreignant la presse et en réduisant au silence les opinions divergentes sous le prétexte d’une conspiration étrangère visant la patrie. Dans le récit officiel arabe, la patrie est assimilée au régime, le régime est identifié à la caste dirigeante et son leader, sans qu’il y ait d’autorité pour la surveiller, de parlement pour définir son action ou de système judiciaire pour la tenir responsable.

Tous les efforts du dirigeant tyrannique sont là uniquement dans le but d’exploiter la théorie du complot afin de consolider son pouvoir en évoquant continuellement les comploteurs, les traîtres, les entités parallèles, les centres de pouvoir et les infiltrés étrangers. Cependant, cela ne s’arrête pas là, car les courants intellectuels et politiques ont récupéré ce masque des mains du pouvoir pour renforcer davantage leur position en réutilisant le discours de l’ennemi extérieur.

Dans le discours de gauche, par exemple, la diabolisation de l’impérialisme mondial, du nouvel ordre mondial et du capitalisme sauvage en provenance d’outre-mer prévaut, accusant ces forces d’avoir dévoré les nations et écrasé la classe ouvrière. Mais ces mêmes écoles de pensée de gauche sont en réalité fondées sur des concepts occidentaux et ont adopté leur cadre théorique par le biais des théories communistes, de la philosophie de la lutte des classes et d’autres idées importées et appliquées dans le contexte arabe.

Imputer tous les problèmes de retard et de déclin internes à des facteurs externes permet au régimes dictatoriaux arables d’échapper à toute responsabilité et détourne l’attention des masses des responsables internes qui permettent à l’ennemi extérieur de contrôler les patries et de piller leurs richesses. D’autre part, les courants nationalistes et arabistes se sont illustrés en attaquant le sionisme mondial et les puissances impérialistes qui contrôlent le destin arabe, comme cela a été clairement souligné dans les discours de Nasser, Kadhafi, El-Assad et de Saddam.

Cependant, ce courant arabe n’a pas hésité à se ranger aux côtés du projet iranien et du projet russe, comme cela s’est clairement manifesté lors des vagues de répression et de suppression qui ont accompagné les révolutions du printemps. De plus, l’idée même de nationalisme n’est pas d’origine arabe, mais a été un projet britannique, tel que la Ligue arabe, visant à lutter contre l’alternative islamique d’une part et à faciliter l’élimination des vestiges du califat ottoman lors de la Première Guerre mondiale d’autre part.

Les islamistes, dans leurs diverses écoles et courants, n’ont pas dérogé à cette règle. Pour eux, l’Occident chrétien et les pays infidèles sont les ennemis principaux de l’Islam et des musulmans. Ils sont la source de tous les maux qui ont conduit la nation et la communauté à leur situation actuelle. Cependant, la répression subie par les mouvements islamistes dans les pays arabes, en particulier, a poussé leurs dirigeants à chercher refuge et stabilité dans les pays occidentaux, sans que cela ne pose de problème dans l’application des principes des mouvements islamistes.

Si le pouvoir arabe bénéficie de l’exportation de ses problèmes en les imputant à l’étranger, l’opposition commet les pires crimes en niant que la source de la maladie et la cause du retard se trouvent à l’intérieur. Imputer aux forces extérieures toutes les causes du retard et de l’effondrement interne exonère les régimes tyrans de toute responsabilité et détourne l’attention des masses des responsables internes qui permettent à l’ennemi extérieur de prendre le contrôle des patries et de piller leurs richesses.

Par conséquent, le fait de transvaser la responsabilité de l’ennemi extérieur absolu à un responsable interne spécifique constitue un tournant majeur dans la déconstruction des mythes de des dictature arabes et de leurs codes secrets, et par conséquent pavant le chemin de la reconstruction d’une conscience populaire éminemment politique qui rompt avec les slogans trompeurs et les distorsions afin d’établir une compréhension plus profonde et plus authentique des causes du retard et de la terrible déchéance du monde arabe.

Khaled Boulaziz

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