ENTRE « FRANCAFRIQUE » ET « RUSSAFRIQUE », LA STRATÉGIE ALGÉRIENNE DU GRAND ÉCART

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Khaled Satour

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Alors que la presse occidentale s’est ouvertement réjouie de la mutinerie de la milice Wagner contre le pouvoir russe dont elle espère des répercussions décisives sur l’avenir de la guerre menée par Moscou en Ukraine, on a plutôt tendance en Algérie, à en juger par les réactions sur les réseaux sociaux, à minimiser l’événement qui n’aurait en rien amoindri la vitalité du régime russe ni l’efficacité de ses armes.

Il est difficile d’apprécier les causes et la portée de cette mutinerie et d’en prévoir les retombées sur le rapport de forces entre l’OTAN et la Russie. Mais il n’est peut-être pas aléatoire d’estimer que cet épisode est l’ultime conséquence, longtemps différée et soudain mise au jour par des facteurs apparemment fortuits, de l’effondrement de l’Union Soviétique il y a une trentaine d’années.

On savait que le passage brutal d’un régime autoritaire étroitement centralisé dans lequel l’État organisait toutes les activités à un libéralisme intégral avait livré l’économie et les ressources du pays aux intérêts d’une minorité d’héritiers sans scrupules venus se servir sur une dépouille dont le gigantisme était à la mesure de leurs appétits.

Mais on ne s’était pas suffisamment avisé de ce que l’État russe avait été démembré bien au-delà de ce que laissait supposer sa débâcle libérale et qu’il avait en réalité cédé à l’oligarchie des pans entiers de ses prérogatives régaliennes les plus vitales.

Que Poutine ait délégué à une milice de mercenaires le pouvoir de puiser dans les arsenaux les plus sophistiqués de la nation pour participer en toute autonomie aux entreprises militaires russes les plus importantes est tout compte fait assez incroyable. Quelles que soient les péripéties qui découleront de la folle journée d’hier, une faille profonde est apparue au cœur de l’État.

Pour ce qui nous intéresse plus directement, la politique étrangère algérienne ne peut manquer d’être affectée par cette situation.

Quel avenir est-il promis au partenariat stratégique « approfondi » algéro-russe noué il y a quelques jours à peine à Moscou par Abdelmadjid Tebboune avec Vladimir Poutine ? Outre les multiples accords de coopération qui avaient été signés à cette occasion dans des domaines multiples allant jusqu’au transfert de technologie en matière d’exploitation de l’espace, ce partenariat semblait revêtir aux yeux de Poutine une importance particulière dans une dimension plus large, à l’échelle du continent africain, dont les contours doivent (faut-il désormais dire « devaient » ?) être précisées le mois prochain lors du sommet Russie-Afrique prévu à Saint-Pétersbourg.

Ce partenariat risque, quel que soit le dénouement final de la mutinerie de la milice Wagner, de subir le même sort que le « partenariat global d’exception » conclu en août dernier entre Tebboune et Macron et tombé en désuétude en l’espace de quelques mois. Les engagements pris à Moscou étaient même sans doute conçus pour s’y substituer tant il est vrai qu’il était difficile que les deux partenariats pussent être menés simultanément.

Ils étaient en effet incompatibles l’un avec l’autre du seul fait de leurs ambitions respectives en Afrique. Dans la conférence de presse tenue par les présidents algérien et français au terme de la visite officielle de Macron à Alger, on avait été surpris que Tebboune évoque des « projets géopolitiques » communs discutés par les deux chefs d’État en présence des états-majors militaires algériens et français réunis « pour la première fois depuis l’indépendance » et qui auraient pour objet une « action commune » menée par une « puissance européenne, membre du conseil de sécurité » et « une puissance régionale africaine » dans leur « environnement géopolitique », c’est-à-dire dans la région africaine, et, était-il précisé par Tebboune, « dans l’intérêt de l’Afrique ».

De tels propos, qu’on n’avait jamais entendus dans la bouche d’un homme d’État algérien, évoquaient bel et bien la possibilité d’une action franco-algérienne conjointe, politique mais aussi militaire, en Afrique. Et pourtant on avait fait en sorte qu’ils passent inaperçus, comme s’ils n’avaient été qu’une de ces « bourdes » de Tebboune dont on a pris l’habitude de se gausser.

Lorsqu’on pense à la course à l’influence à laquelle se livrent la France et la Russie en Afrique de l’Ouest, on mesure pourtant la portée du revirement opéré par Tebboune à Moscou la semaine dernière lorsqu’il a clairement fait entendre qu’il engageait l’Algérie dans une coopération avec Moscou en Afrique.

Le problème est que, désormais, l’Algérie pourrait devoir renoncer à l’aventure de la « Russafrique » comme elle avait renoncé à la tentation de la « Françafique ». A tout le moins, cette aventure pourrait être ajournée.

D’une part, parce que Poutine va probablement être sollicité, dans son ère géographique la plus proche, par des urgences autrement plus cruciales que ses projets africains, ce qui pourrait minorer, pour commencer, la portée du sommet Russie-Afrique dont il semblait beaucoup attendre.

Et d’autre part, parce ce que l’avenir de la milice Wagner est devenu incertain alors même qu’elle était jusqu’à présent l’outil principal de sa politique sur le continent, et notamment au Mali et en Centrafrique.

Les revirements stratégiques de Abdelmadjid Tebboune n’ont peut-être pas fini de se succéder. On peut invoquer les contingences des relations internationales pour les justifier. Mais la stratégie du grand écart est-elle la mieux faite pour s’en prémunir ?

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