5 juillet 2023.

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Ghania Mouffok

A la maison nous n’avons jamais eu de drapeau, mon père disait “ma patrie c’est ma famille”.

Il disait, peut être, la violence du déracinement. Quand on lui a dit que Messali Hadj était un traître, il a dû se dire si lui est un traitre, alors qui ne le sera pas ? PPA, canal historique et jamais MNA, il appartenait à cette génération qui depuis les montagnes de Guenzet avait fait à pied des kilomètres pour aller écouter l’homme à la barbe longue parler d’indépendance et de l’Algérie. L’Algérie toute entière que si jeune il avait arpentée orphelin de son père, mort d’on ne sait quoi, à la recherche d’un travail, dans la ville d’abord, Alger, côté Belcourt où il travaillera à tout faire dans un café, avant de prendre un bateau et de débarquer à St Etienne, il sera mineur et moi sa fille.

Peu bavard, il chantait parfois : “à ville ma rose, vive la rose, allons façon humain du travail dès demain”. Ma mère quand à elle, elle chantait, “ya li tkra fel djournal wach kal l’Allemagne, l’anglise wa méricaine makfoula min djihatyene”, “oh toi qui sais lire le journal, quelles sont les nouvelles de l’Allemagne ? l’Amérique et l’Angleterre sont fermées des deux côtés”, elle qui ne parlait que le kabyle, chantait en arabe cet étrange refrain dont je ne retrouve la trace nulle part, comme du reste la chanson de mon père. Entre la rose et les guerres mondiales, dans ces deux langues qui leur étaient étrangères, ils chantaient cette Algérie bouleversée pour des millions de paysans sans terre. Notre histoire populaire est ainsi faite, de bribes, de petits morceaux, de généalogie sans photo, mon père ne parlait ni de son père, ni de mon grand père, je sais à peine leurs noms alors qu’ils se transmettent. Dans sa maison de pierre, minuscule, à Timenkache, il y a une splendide cuisine andalouse, en niches et en arcades de bois, d’un vert amande insolite en ce lieu, je ne sais pas ce que fait cette Andalousie au milieu de cette nudité.

Je ne cherche aucune traces, c’est elles qui viennent à moi. Je les habite dans leur mystérieuse insistance à me dire. L’Algérie est un pays envahissant, écrasant. Un jour on apprendra, peut être, à dire aussi son humanité, son genre humain, on apprendra à dire que vivent les algériens et les algériennes, un peuple si radin à s’écrire et si généreux à se taire. Peuple sans écriture, il laisse pourtant des traces en chantant dans toutes les langues qu’il croise sur son périlleux et si courageux chemin d’histoire. Un jour, peut être, algériennes et algériens nous apprendrons à nous aimer, à cesser de nous mépriser, comme nous avons appris à aimer notre terre.

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