Songes et mensonges de Belaid Abdeslem

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Par Zeddour Mohamed Brahim
Tromper est un malheur pitoyable ; mais connaître la vérité et ne pas conformer ses actions à cela est un crime que le Ciel et la Terre condamnent.
Giuseppe Mazzini
Le titre de cet article est tiré d’une série de dessins réalisés par Pablo Picasso en dix-huit scènes, en même temps qu’il peignait Guernica (1937), intitulés « Sueño y mentira de Franco » (Songe et mensonge de Franco). Picasso s’est employé à stigmatiser par la caricature la tyrannie franquiste contre la justice, l’humanité et la culture.
 
Ce titre m’a été inspiré par l’entretien que m’a accordé Brahim Hasbellaoui, ancien député et cadre des ministères de l’éducation, de l’information et la culture et des Affaires étrangères. L’idée directrice de l’entretien consistait à analyser le mouvement estudiantin et son affiliation au mouvement national. En effet, à écouter l’énumération des noms des principaux acteurs du mouvement estudiantin, on retrouve de grands leaders du mouvement national. On perçoit un sentiment de fierté chez cet ancien lycéen qui a répondu à l’appel de la grève lancé par l’UGEMA, il a rejoint l’ALN où il a combattu dans les rangs de la Wilaya III jusqu’à sa blessure au combat et son évacuation à Tunis. Il évoque ses souvenirs tels qu’ils lui paraissent inscrits dans les chroniques des anciens étudiants nationalistes.
Mais son enthousiasme s’estompe quand il aborde le récit mémoriel de Belaid Abdesselam publié récemment à Alger[1]. Le livre, truffé de mensonges, déroute celui qui a connu l’auteur et les personnages cités, qui a vécu les évènements relatés. Aussi, Brahim Hasbellaoui se voit obligé de dénoncer cette incurie et se propose de rétablir certaines vérités. Il se veut un porte-voix de tous ceux dont la mémoire s’est trouvée blessée. En tout état de cause, le livre de Belaid Abdesselam a été mal accueilli par la critique, provoquant une chaine de réactions qui y ont perçu un recueil de diffamations et d’outrages, les délires d’un calomniateur doublé d’un imposteur.
Ce récit mémoriel vient une trentaine d’années après la publication d’une série d’entretiens[2]. Ce livre a connu en son temps un succès relatif, notamment auprès des psychiatres, qui ont profité de l’occasion pour procéder à un examen clinique d’un cas concret de « ces malades qui nous gouvernent ».
On pensait que Abdesselam, avec l’âge, serait devenu capable de mieux dans sa contribution à éclairer l’opinion publique sur les hauts faits du passé. Mais il n’a pas su ni pu se hisser au-dessus de son sport favori d’essayer de rapetisser tous ceux qui le dépassent, notamment parmi les figures prestigieuses du mouvement national, des combattants de la guerre de libération et des militants éprouvés de notre Révolution.
Dans sa critique du brûlot de Abdesselam, Brahim Hasbellaoui a focalisé son attention sur les attaques contre Ahmed Taleb Ibrahimi, en qui il a toujours apprécié l’homme de conviction, de dialogue et de fidélité. Ils se sont connus en 1962 lorsque Taleb arrive à Lausanne après sa libération pour préparer sa thèse de doctorat en médecine. Hasbellaoui a gardé de Taleb l’image d’un patriote intègre qui ne faisait pas état de son parcours et un croyant sincère qui ne faisait pas étalage de sa foi. Aux mensonges de Abdesselam, il oppose quelques vérités, mais pas toutes les vérités, assure-t-il.
La faculté de médecine d’Alger
Les souvenirs de Brahim Hasbellaoui remontent à la rentrée de l’année scolaire 1949-1950 au lycée technique d’Alger. L’association des lycéens d’Algérie n’était pas encore fondée, aussi les liens avec les étudiants étaient étroits et fréquents, en vue d’une meilleure préparation à l’accès aux études universitaires.
La structure sociologique des étudiants de l’université d’Alger en cette rentrée 1949-1950 ne diffère en rien des précédentes. Pour l’année 1947-1948, l’université d’Alger comptait 263 étudiants algériens (sur un total de 4.500 étudiants), dont 92 à la faculté de médecine (sur un total de 1.584 étudiants). Ils seront 250 étudiants algériens à l’université d’Alger en 1949-1950. Parallèlement, les étudiants algériens seront plus nombreux en France et à l’étranger.
S’adressant à un prisonnier français, le colonel Amirouche eut cette réflexion : « Cela n’a aucune importance que nous mourions. Notre force, c’est notre jeune élite qui s’instruit actuellement en France ou à l’étranger. C’est pour eux que nous faisons la guerre, cette guerre d’hommes mûrs et de gens sans importance »[3].
Charles-Robert Ageron notera de son côté : « La présence active en France durant l’entre-deux-guerres (et au-delà) d’un nombre faible mais croissant d’étudiants nord-africains est l’une des clés trop méconnue de l’évolution qui a conduit le Maghreb de la domination coloniale aux indépendances. Quiconque a eu la curiosité de s’intéresser à ces étudiants n’a pu manquer d’être frappé par l’intensité de leurs activités politiques qui devaient conduire beaucoup d’entre eux à devenir des leaders nationalistes[4]. »
1949 est l’année de la création de l’Institut d’études politiques (I.E.P.) à Alger destiné à offrir une formation par l’acquisition d’une vaste culture générale moderne et à permettre aux étudiants  de se présenter aux concours de la fonction publique et de l’administration algérienne. Le nombre d’étudiants algériens était infime, on ne dénombrait pas plus de deux ou trois par promotion. Or, presqu’à la même période, l’administration coloniale parvint à faire avorter le projet du lycée arabe d’Alger, longtemps réclamé par les Algériens, avec la coopération du ministère égyptien de l’éducation du temps de Taha Hussein.
La rentrée universitaire 1949-1950 s’est singularisée par la présence de deux étudiants algériens, condisciples à l’année préparatoire de médecine (P.C.B.) dont les destins ne se seraient peut-être jamais croisés : Ahmed Taleb-el-Ibrahim et Belaid Abdesselam.
Ahmed Taleb, fils du cheikh Bachir el-Ibrahimi, est issu du courant constant du mouvement national de l’affirmation de soi : permanence linguistique, culturelle et sociologique de l’Algérie et de l’ensemble maghrébin auquel elle appartient.
Le courant constant du mouvement national est né d’une vision révolutionnaire originelle, définie par l’Emir Khaled et mise en œuvre par l’Etoile nord-africaine : affranchir les peuples maghrébins de la domination coloniale et les armes du combat devaient être forgées dans la culture arabe et l’Islam.
Aussi y eut-il une division du travail entre l’action politique à travers le PPA et l’action éducative à travers l’Islah et l’association des Oulémas. Telles sont l’identité et la vocation d’un processus révolutionnaire, qui est par essence constructif, il vise à remplacer un désordre par un ordre en opérant un juste retour au réel. « L’ordre naquit de la confusion ; on apprit à se respecter parce qu’on tombait à chaque instant sous la dépendance l’un de l’autre ; d’utiles terreurs soudain répandues formaient l’esprit public et faisaient supporter le poids des armes et la fatigue des veilles » explique Saint-Just dans L’Esprit de la Révolution.
Belaid Abdesselam, fils d’un riche commerçant  de Aïn El Kebira, est quant à lui issu du courant variable. L’émoi suscité par les massacres du 8 mai 1945 a entrainé l’adhésion au mouvement national des assimilationnistes, des communistes et autres adeptes de l’Algérie française. Mais sitôt la fièvre émotionnelle retombée, ils ne manquèrent pas de se heurter aux tenants de la ligne révolutionnaire, jouant un rôle perturbateur et provoquant une cascade de crises : crise des berbéristes, crises de l’OS, crise des centralistes, etc.
En adhérant au mouvement national, Belaid Abdesselam souffrait du lourd handicap de l’absence de références et d’antécédents. Certes, il avait été emprisonné suite aux manifestations du 8 mai 1945, mais rapidement libéré grâce aux relations de son père avec l’administration coloniale, quand les autres Algériens croupissaient dans les prisons et camps d’internement. Ils n’ont été libérés qu’après l’amnistie, mais les exécutions des condamnés à mort n’ont été pas interrompues. Le 28 février 1946, le rapporteur de la loi d’amnistie déclarait durant les débats : « 4.500 arrestations sont effectuées, 99 condamnations à mort sont prononcées, 74 condamnations aux travaux forcés à temps. 2.500 autres indigènes attendent encore d’être jugés. » Sans oublier les milliers de morts.
Belaid Abdesselam aurait pu facilement suivre le parcours de son cousin Robert Abdesselam, joueur de tennis, avocat et homme politique français. Elu député d’Alger en 1958, il milite pour le maintien de l’Algérie française. Il est parmi les 80 parlementaires qui votèrent « l’amendement Salan »[5]. Il n’hésite pas de qualifier les accords d’Évian d’« inhumains, de déshonorants et d’indignes » de la France.
A la cité universitaire de la rue Robertsau où ils résidaient tous les deux, Ahmed Taleb et Belaid Abdesselam entretenaient des relations cordiales tout au long de la période 1949-1954. Ces liens ont été consolidés grâce à leur adhésion au syndicat estudiantin l’A.E.M.A.N., l’Amicale des étudiants musulmans de l’Afrique du Nord, créée à Alger en 1919. Avec l’A.E.M.N.A., l’Association des étudiants musulmans nord-africains, créée à Paris en 1928 à l’initiative de l’E.N.A. (l’Etoile nord-africaine), dont les objectifs dépassaient le cadre de l’entraide étudiante, c’est toute l’histoire du mouvement étudiant maghrébin et algérien autonome qui refait surface.
Mais que pouvait bien savoir Belaid Abdesselam de toutes les luttes de l’A.E.M.N.A. dans le domaine syndical, politique et culturel ? Un travail de fourmi a été mené par des générations d’étudiants nationalistes avec acharnement et efficacité, malgré l’indigence des moyens et le harcèlement de la police, en direction des étudiants, des lycéens, des ouvriers et de l’opinion publique sur la nécessité et la justesse du combat maghrébin anti colonial.
Un exemple au hasard dans le riche catalogue du combat et la détermination de l’A.E.M.N.A. et précisément à Tlemcen où se tient le 5e Congrès de l’association du 6 au 8 septembre 1935, avec la participation des délégués algériens, marocains et tunisiens. Parmi les invités d’honneur, il y avait Cheikh Bachir Ibrahimi dont la présence était remarquée. Responsable régional de l’Association des Oulémas, il avait élu domicile à Tlemcen et supervisait les travaux de construction de Dar el Hadith, qui sera inaugurée deux ans plus tard, soit le 27 septembre 1937. S’adressant aux congressistes dans une allocution qui a frappé les esprits, il a invité les étudiants à être les hommes de leur temps et de leur peuple : réussir les parcours universitaire et professionnel et stimuler les consciences des masses populaires. De son côté, Habib Thameur, encore étudiant en médecine, futur fondateur du parti néo-destour tunisien et du Bureau du Maghreb arabe au Caire, prononça un discours en arabe où il insiste longuement sur les vertus de l’union du Maghreb et déclare : « Nous n’acceptons plus d’être sous la tutelle d’une autre nation, il nous est possible actuellement de nous diriger nous-mêmes. Mais pour cela nous ne comptons que sur nous. Nous n’avons plus rien à attendre du gouvernement de la France qui interdit l’enseignement de notre langue, refuse les bourses que nous demandons et nous oblige à fermer les écoles coraniques (…) Le Gouvernement français s’est désintéressé des vœux émis au cours des quatre congrès précédents, il nous appartient maintenant de nous réunir pour les faire respecter et d’appliquer nous-mêmes les mesures que nous avons préconisées et qui sont restées lettre morte. »
Telle est la doctrine du courant constant où se reconnait Ahmed Taleb mais pour lequel Belaid Abdesselam n’éprouve aucune attraction ni aucun intérêt. En bon arriviste politique, Abdesselam ne pouvait être intéressé que par la progression hiérarchique dans l’appareil des organisations qu’il fréquentait.
Cet esprit est manifeste dans ses mémoires. Il écrit en page 177 qu’on « ne remarquait pas la présence de Taleb dans aucune manifestation organisée par les étudiants musulmans d’Alger ». Mais Brahim Hasbellaoui trouve cette affirmation inexacte. Il confirme que non seulement Taleb assistait à toutes les réunions de l’A.E.M.N.A. mais sa présence ne passait pas inaperçue puisqu’il était sollicité à prononcer des discours de circonstance à l’occasion du Mawlid Ennabaoui ou de l’anniversaire du 8 mai 1945.
Bien plus, Abdesselam n’hésite pas à solliciter son aide pour éjecter les communistes de la présidence de l’A.E.M.N.A. afin de s’y installer. Or, Saber Chérif, étudiant affilié à l’UDMA présenta sa candidature contre Abdesselam. La tentative de conciliation de Taleb d’une présidence par alternance échoua. Il préféra alors se consacrer au lancement du journal anticolonialiste « Le jeune musulman ».
Le jeune musulman
Avec sa légendaire mauvaise foi, Abdesselam ne manque pas de minimiser la portée de cet acte révolutionnaire, il écrit : « Le contenu et son objet se limitaient à traiter des problèmes relatifs à l’Islam… et des articles sur ce qu’on appelait alors la Nahda… Dans le contexte de l’époque, de tels sujets comportaient, pour leurs auteurs, l’avantage de ne pas déranger outre-mesure l’administration coloniale, plus sensible et plus attentive aux publications traitant des problèmes politiques et des thèmes concernant les formes de lutte contre la domination coloniale. On peut même dire que, dans les conditions prévalant dans notre pays pendant les années qui séparaient les évènements du 8 mai 1945 au 1er novembre 1954, traiter des questions relatives à l’Islam, à la culture arabe et à la Nahda, constituaient un dérivatif répondant aux vœux des autorités coloniales qui se réjouissaient de tout ce qui était susceptible de détourner la jeunesse algérienne de la lutte politique, de ce qu’elles appelaient, dans leur jargon, l’agitation nationaliste anti-française ».
Par ses affirmations, Belaid Abdesselam se dévoile comme n’ayant jamais été un lecteur assidu de la presse nationaliste anticolonialiste en ce début des années 1950 qui s’exprimait à travers trois principaux organes d’expression française : L’Algérie libre (MTLD), La République algérienne (UDMA) et Le jeune musulman (Oulémas).
On peut citer, à titre d’exemple, quelques articles parus dans différents numéros du Jeune musulman :

  • « Pour un Islam libre dans une Algérie indépendante » d’Amar Ouzegane
  • « Histoire d’un enseignement colonialiste » de M. C. Sahli
  • « Crimes colonialistes » de A. T. Madani
  • « Charivari colonial » de Malek Bennabi
  • « Les faux délivrés » d’Ahmed Taleb-Ibrahimi
  • « Les croisés en pantoufles » d’Abdelaziz Khaldi
  • « Les confréries au service du colonialisme » d’Ali Merad
  • « L’impérialisme euharistique » d’Islam Madani
  • « Réponse aux détracteurs de l’Islam » de Mostefa Lacheraf
  • Les poèmes de Mohamed Lebjaoui

On ne peut prétendre que ces articles, de par leurs thématiques et l’ancrage politique de leurs auteurs, ne pouvaient constituer une source de préoccupation des autorités coloniales. C’est ainsi que l’animateur du journal, en l’occurrence Ahmed Taleb-Ibrahimi, fut arrêté et emprisonné pendant un mois avant d’être traduit devant un tribunal militaire en 1953. Mais encore, peut-on soupçonner de complaisance ou d’ambivalence à l’égard du colonialisme, sous peine de tomber dans la plus aveugle des stupidités, des écrivains de la trempe de Sahli, Ouzegane, Lacheraf, Bennabi, Khadli ? En acceptant de collaborer au Jeune musulman, ils étaient convaincus de sa ligne éditoriale foncièrement nationaliste et anti colonialiste.
On retrouve aussi dans Le jeune musulman des références au contexte international et notamment pour marquer la solidarité avec les autres pays dans leur lutte contre le colonialisme et l’impérialisme, à travers les éditoriaux de Ahmed Taleb dans la période 1952-1953 :

  • la condamnation de l’assassinat de Ferhat Hachad en Tunisie
  • l’exil du roi Mohamed V du Maroc
  • l’action de Mossadegh en Iran
  • la victoire du Viet Kong sur l’armée française à Dien Bien Phu en Indochine

Ce donneur de leçon de Belaid Abdesselam, en mal de reconnaissance, peut-il se prévaloir d’une quelconque contribution de la consistance des articles précités ? Peut-il nous exhiber un seul écrit de sa main avec la même hauteur de vue, la même rigueur intellectuelle et le même courage politique sur un de ces thèmes et publié dans un des journaux nationalistes ?
Ainsi s’achève la période pré révolution. Le 1er novembre 1954 va faire évoluer le mouvement national vers un mouvement de libération, passant de l’idéal révolutionnaire à la stratégie révolutionnaire. En plus de l’édifice institutionnel et pour assurer une meilleure mobilisation de la population algérienne autour des impératifs de la guerre de libération, les responsables ont veillé à restructurer la Fédération de France et à créer des organisations syndicales des étudiants, des travailleurs et des commerçants. Les étudiants vont alors vivre des expériences inédites.
Le congrès constitutif de l’UGEMA
Le Congrès constitutif de l’UGEMA a eu lieu du 08 au 14 Juillet 1955 à la salle de la Mutualité. Le 1er novembre 1954, Abdesselam et Taleb se trouvent à Paris. Ils vont travailler ensemble dans la préparation du congrès constitutif de l’UGEMA.
Les témoignages du regretté Abderrahmane Cheriet constituent la source d’information la plus crédible pour cette période. Lui et Brahim Hasbellaoui se sont connus en 1967 alors qu’ils étaient des cadres du ministère de l’éducation nationale. Le témoignage de Cheriet a été soigneusement consigné dans un cahier par Hasbellaoui.
Cheriet estime que huit étudiants ont joué le rôle prépondérant au sein du congrès constitutif de l’UGEMA : Abderrahmane Cheriet, Réda Malek, Belaid Abdesselam, Ahmed Taleb, Messaoud Ait-Chaalal, Layachi Yaker, Abdelmalek Benyhabilès et Mouloud Belaouane. Il ajoute qu’Abdesselam a été sans doute l’élément le plus actif et Ahmed Taleb le reconnait dans ses mémoires[6] du fait qu’il était le seul à ne pas être tenu de poursuivre des études et de les réussir.
Abderrahmane Cheriet ajoute que si l’on veut parler de membres fondateurs de l’UGEMA, il faut ajouter à ces huit, deux autres étudiants qui sont restés à l’université d’Alger : Lamine Khene et Mohamed Benyahia. Et parmi ces dix, s’il y en a un qui mérite le titre de « père fondateur », c’est bien Abdelmalek Benhabylès, pour son âge et sa sagesse, qui prodiguait constamment ses conseils de rechercher l’efficacité et d’éviter l’outrance et la provocation.
Abderrahmane Cheriet ajoute qu’il a commencé à douter de l’existence d’un quelconque lien d’Abdesselam avec le FLN lorsqu’il a remarqué que Mahmoud Mentouri, représentant des étudiants de Lyon et l’œil du FLN au congrès, n’a pas adressé la parole une seule fois à Abdesselam.
Abderrahmane Cheriet raconte qu’il a suggéré que le premier président de l’UGEMA doit être bilingue car il doit s’adresser aux étudiants algériens des universités françaises mais également à ceux qui se trouvent dans les universités du Maghreb et du Moyen-Orient et dont le nombre va croissant. Il ajoute que cette remarque lui a valu l’hostilité d’Abdesselam. Voyant que l’unanimité semble se faire sur le nom de Taleb, Abdesselam invente le concept de « père fondateur » qu’il s’attribue en laissant croire qu’il a des relations avec les dirigeants du FLN et que c’est lui qui a nommé Taleb.
Cheriet révèle que Abdesselam souffrait d’un double complexe de frustration vis-à-vis de Taleb : d’une part, il ne possédait pas la double culture et d’autre part il n’a pas réussi dans ses études : en 1949, tous deux étaient à Alger étudiants en première année de médecine, en 1956 à Paris, Taleb est déjà médecin (il ne lui reste que la thèse de doctorat à soutenir) tandis que Abdesselam est toujours en première année de faculté mais cette fois en droit. En 1961, Abdesselam est toujours en première année de sciences politiques à Lausanne. Il a ainsi réussi à transformer le caractère transitoire de la condition étudiante en une longue et tumultueuse carrière.
Abderrahmane Cheriet nous apprend également que le livre de chevet de Abdesselam durant toutes ces années parisiennes est « Histoire du parti communiste de l’Union Soviétique ». C’est là qu’il a appris à écrire l’histoire à la sauce stalinienne en glorifiant le maître du jour à ses propres affidés et en jetant à la trappe ceux qui refusaient sa mégalomanie et ses manières dictatoriales.
Dans L’Archipel du goulag, Soljenitsyne relate les malheurs d’un directeur d’usine qui assiste pour la première fois à une conférence du parti, qui se termine par la sempiternelle « adoption d’une motion de fidélité au camarade Staline » : « Bien entendu tous se lèvent […]. Des applaudissements frénétiques se transformant en ovations éclatent dans la petite salle. Pendant trois, quatre, cinq minutes, ils persistent. […] Mais déjà les mains commencent à faire mal. […] Mais déjà les hommes d’un certain âge s’essoufflent […]. Cependant, qui osera s’arrêter le premier ? Dans cette salle, parmi ceux qui sont debout et qui applaudissent, il y a des membres du NKVD, et ils surveillent qui cessera le premier ! […] Le directeur de la fabrique de papier locale, homme solide et indépendant, est debout à la tribune et applaudit, tout en comprenant à quel point la situation est fausse et sans issue. Il applaudit pour la neuvième minute consécutive ! Pour la dixième ! C’est de la folie ! De la folie collective […]. À la onzième minute, le directeur de la fabrique prend un air affairé et s’assied à sa place […]. Tous s’arrêtent comme un seul homme et s’asseyent à leur tour […]. Seulement, c’est de cette façon-là, justement, que l’on repère les esprits indépendants […]. La nuit même, le directeur de la fabrique est arrêté. On n’a pas de mal à lui coller dix ans pour un tout autre motif. Mais, après la signature du procès-verbal de l’instruction, le commissaire instructeur lui rappelle :  » Et ne soyez jamais le premier à vous arrêter d’applaudir ! » »
C’est ce climat de terreur que Abdesselam rêvait d’instaurer au sein de l’UGEMA. C’est ce style dégradant dont il usera et abusera quand il aura à exercer des responsabilités.
On comprend mieux pourquoi il ne mentionne jamais le nom de Abderrahmane Cheriet qui pourtant a été d’abord élu par le congrès comme membre du comité directeur de l’UGEMA et ensuite l’un des cinq membres du comité exécutif et qui fut le maître d’œuvre des quelques numéros de « L’Etudiant algérien » parus en 1955. Il en est de même du regretté Mahmoud Mentouri, élu lui aussi au comité directeur et mort au maquis.
Ahmed Doum, membre du premier comité fédéral du FLN en France, nous apprend dans ses mémoires[7] (p. 124) que Abane Ramdane a fait parvenir une directive leur enjoignant de faire en sorte que les congressistes soient, sinon des militants du moins des sympathisants du FLN et que les Messalistes, les communistes et les centralistes en soient écartés. Doum nous apprend que le comité fédéral a désigné, pour cette mission, Mahmoud Mentouri, étudiant à Lyon.
Sa technique de nier l’existence de faits qu’il ignore fait paraitre Abdesselam en véritable escobar, celui qui pratique l’escobarderie, cet art de l’équivoque, de la simulation et de la dissimulation pour tromper en s’incrustant dans les évènements historiques. C’est le cas de l’implication du FLN dans l’organisation du congrès constitutif et l’élection de Ahmed Taleb. Ce qui l’empêche de voir que ce fait est le résultat de la volonté d’un groupe d’étudiants actifs certes mais catalysés par le déclenchement de la révolution. Il écrit (p. 181) : « Nous avons proposé Taleb de faire partie du comité exécutif de l’UGEMA et d’en être le président ». Qui se cache derrière ce « Nous » aux relents mégalomaniaques ?
La Fédération de France du FLN
Ahmed Taleb est resté président jusqu’en mars 1956, date du deuxième congrès de l’UGEMA. Selon Abderrahmane Chériet, les premières frictions entre les deux hommes ont surgi dès les débuts. Taleb est resté indépendant et insensible aux tentatives de Abdesselam de régenter la syndicale et de laisser croire qu’il a la bénédiction du FLN à Alger.
Aussi, il n’hésite pas à émettre des jugements négatifs sur cette première présidence de l’UGEMA qui a duré huit mois. Il invoque des arguments simplistes, traitant Taleb de hautain, fréquentant les intellectuels du monde musulman vivant à Paris. Cependant, les avis sont unanimes dans l’appréciation positive de la présidence et à ce titre, le témoignage de Lamine Khène est d’une objectivité remarquable.
En décembre 1955, Mohamed Lebjaoui transmet à Ahmed Taleb la directive de Abane Ramdane de quitter la présidence de l’UGEMA pour se consacrer exclusivement à la fédération de France du FLN. Taleb quitte la présidence de l’UGEMA en mars 1956 et Abdesselam se vante de l’en avoir écarté.
Abderrahmane Cheriet raconte qu’au cours d’une réunion du comité exécutif, dont il fait partie, Taleb leur annonce en janvier 1956 sa décision de quitter la présidence de l’UGEMA pour, dit-il, préparer sa thèse de doctorat, les règles de la clandestinité lui interdisant de révéler la vérité. Cheriet a essayé de le convaincre de revenir sur sa décision et au cours d’une discussion à la cité universitaire, ils sont rejoints par Abdesselam, venu lui aussi demander à Taleb de rester à la tête de l’UGEMA. Selon Cheriet, Taleb a dit textuellement à Abdesselam : « Je tiens à soutenir ma thèse et je te propose de prendre ma succession. Ainsi, au lieu de vouloir diriger dans la pénombre, tu pourras diriger l’UGEMA au grand jour ». C’est alors que Abdesselam fondit en larmes et sortit une lettre qu’il venait de recevoir de son père qui lui reprochait durement d’avoir échoué dans ses études. « Pour regagner la confiance de mon père, dit Abdesselam, je n’ai pas le choix : il faut décrocher ma licence en droit ». Mais Abdesselam n’a jamais jugé utile d’évoquer cette rencontre.
Le deuxième congrès de l’UGEMA a lieu en mars 1956 : Balaouane succède à Taleb que les membres du comité fédéral du FLN cooptent comme l’un des leurs, confirmant ainsi le choix d’Alger. C’est là que réside le troisième complexe de frustration de Abdesselam. Comment Taleb, et pas lui, est parvenu au comité fédéral du FLN ?
Cela relève de la psychanalyse : n’ayant pas réussi à l’être, Abdesselam se rabat sur le paraitre. Il crie sur tous les toits à qui veut bien l’entendre qu’il est en relation avec le FLN à Alger. Dans deux pages de son pamphlet (pp. 194 et 195), véritable roman de science-fiction, sachant qu’il est inconnu dans les structures de la Fédération de France, il se livre à des contorsions risibles pour essayer d’inventer des contacts avec Alger. Il dit : « Dans l’esprit de Abane et Benkhedda, j’étais bien le contact du FLN avec le comité exécutif de l’UGEMA à Paris… J’assurais un rôle de guide de l’UGEMA mais sans aucun contact direct avec la direction de la Fédération de France ». Il atteint le comble du ridicule en prétendant que Lebjaoui « s’adressait à moi comme si j’étais le responsable du FLN en France ». Comment Lebjaoui, agent de liaison entre Abane et Louanchi et qui a fini par devenir le chef de la Fédération de France, peut-il ignorer que Abdesselam n’a jamais appartenu aux structures du FLN et s’adresser à lui en pensant qu’il était le responsable du FLN en France ? Une autre aberration, c’est lorsque Abdesselam prétend (p. 192) que Taleb lui « a demandé de le mettre en contact avec le FLN ». Comment croire que quelqu’un qui est membre du comité fédéral du FLN en France puisse demander à quelqu’un qui n’est rien au FLN de le mettre en contact avec ce dernier ?
C’est là la grande imposture de Abdesselam qui a réussi à bluffer son monde des années durant en s’autoproclamant « le père fondateur », « le guide » de l’UGEMA et même l’intermédiaire entre le FLN et son syndicat étudiant.
Abdesselam nous rappelle cet autre éternel étudiant, pilier des cafés de Saint-Michel, écumant les rues du quartier latin pour crier sur tous les toits qu’il était un ponte du FLN, il finit par se faire arrêter par la police française. Au terme de quelques jours d’interrogatoire sans résultats, comme de bien entendu, il est présenté au patron de la DST, le redoutable Roger Wybot, grand passionné de psychologie et de psychanalyse, expert en noyautage et en infiltration et qui n’a jamais confondu les genres. Il lui tient les propos suivants : « Mes services vont ont arrêté comme un grand chef du FLN mais leur enquête n’a abouti à aucune preuve. De deux choses l’une : ou vous êtes réellement un grand responsable du FLN et vous cachez admirablement votre jeu. Dans ce cas, je vous tire mon chapeau. Ou bien vous êtes un minable tartarin du quartier latin. Personnellement, je penche vers cette seconde hypothèse. C’est pourquoi je vous remets en liberté ». De son côté, Abdesselam a continué à propager le mythe de la première hypothèse au point où il a fini lui-même par y croire.
Abdesselam va jusqu’à salir la mémoire de Louanchi et Lebjaoui en leur reprochant (p. 197) leur non-respect des règles strictes de la clandestinité, ce qui leur valut d’être arrêtés par la police française avec Taleb en février 1957. A supposer que cela soit vrai, est-ce à Abdesselam, qui n’a jamais connu un seul jour de clandestinité, de donner des leçons à deux membres du CNRA, qui ont tant servi leur pays avec modestie et compétence ?
A partir de mars 1956, Taleb entre dans la clandestinité totale qui va durer une année : muni d’un faux passeport tunisien, il effectue, sur instruction de Abane, plusieurs missions en Suisse auprès de Ferhat Abbas et pour l’admission de l’UGTA à la CISL, en Tunisie et en Libye auprès de Ben Bella. Mais ce que l’histoire retiendra, c’est le gros travail réalisé par Louanchi et Taleb auprès d’intellectuels et universitaires français afin de sensibiliser l’opinion sur l’inéluctabilité de l’indépendance de l’Algérie et la nécessité de négociations avec le FLN et qui vont déboucher sur « le manifeste des 121 »[8]. Les contacts avec Robert Barrât, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, François Mauriac, Albert Camus, Pierre Mendès-France et Francis Jeanson ainsi qu’avec des journaux tels que « Le Monde », « Combat », « Jeune Afrique », « Le Nouvel Observateur » et « L’Express » sont loin d’être négligeables.
Mohamed Harbi relate dans ses mémoires[9] sans grandiloquence, comment il a été recruté dans les rouages de la Fédération de France : « J’ai été intégré fin août 1956 à l’appareil du FLN à la suite d’une rencontre fortuite avec Fodil Bensalem, membre du comité fédéral… « Où es-tu, que fais-tu ?  » questionna Bensalem. Je lui répondis : « Je milite à la base ». Il était interloqué. « On a besoin de toi dans la presse. Je vais te prendre rendez-vous avec Ahmed Taleb ». Et il m’indiqua aussitôt le jour et l’heure. Taleb se présenta au rendez-vous à l’heure dite. Nous étions des adversaires politiques –lui venait de l’Association des Oulémas et moi du MTLD – mais l’homme, d’une grande civilité, était trop courtois pour manifester une quelconque distance ou me faire sentir sa supériorité hiérarchique ».
De son côté, l’anticolonialiste Paul-Albert Lentin fournit un témoignage précieux : « En France, pour le FLN, la ronde est celle de la police. En février 1957, les deux plus gros poissons de la Fédération de France, Salah Louanchi devenu un habitué des eaux politiques françaises (je l’ai, pour ma part, rencontré dès 1955) et Mohammed Lebjaoui, alias Mourad, qui a participé au Congrès de la Soummam, et qui, venu d’Alger, nageait aux côtés de Salah depuis quelques semaines seulement, se font prendre dans un coup de filet policier. Leur adjoint, Ahmed Taleb, fils du leader de l’Association des Oulémas, cheikh Ibrahimi, qui terminait sa médecine à Paris, se trouve également pris dans la nasse tandis que la police, déjà en possession, depuis le « coup de l’avion » d’octobre 1956, du compte rendu du Congrès de la Soummam, saisit le rapport que Ben Bella, principale compé­tence en la matière, avait établi sur la logistique et le ravitaillement de l’insurrection. Lebjaoui, Louanchi et Taleb ont fait, à des titres divers, un travail efficace, et leur mise hors circuit, pour la Fédération de France, est un coup dur, d’autant plus « qu’en raison des circonstances » tout le comité fédéral se voit contraint d’interrompre, du moins momentanément ses activités et de couper ses liaisons avec un certain nombre de ceux qui travaillent le plus étroitement avec lui (…) »[10]
Pendant ce temps, Abdesselam mène une vie paisible à Paris sans être inquiété par les autorités françaises jusqu’au 22 mai 1956 où il prend l’avion pour Alger, avec un passeport français, où, dit-il à ses amis, il va convaincre Abane Ramdane d’annuler l’ordre de grève des étudiants. Mais en vérité, il vient exprimer son dépit d’avoir été écarté de toute responsabilité au FLN.
Arrivé à Alger le 22 mai 1956, Abdesselam commence par désavouer le représentant de la section d’Alger de l’UGEMA, venu l’accueillir, d’avoir voté l’ordre de grève. Mais il va vite déchanter : Abane Ramdane refuse de le recevoir et charge l’un de ses secrétaires de lui rappeler le caractère irrévocable de l’ordre de grève et lui intimer l’ordre de ne plus retourner en France mais de se diriger vers le Maroc avec une lettre à Boussouf. A Oujda, il est reçu par Abdellah Arbaoui dit Mahmoud, maquisard authentique, qui est alors officier de l’ALN et futur ministre de Boumediène. Selon son témoignage, la lettre contenait la condamnation de Abdesselam, mais Boussouf n’en tient pas compte. Pensant tirer profit des compétences du « guide » de l’UGEMA, il le nomme instructeur dans l’école des cadres qu’il vient de créer et qui est l’embryon du futur MALG. Abdesselam, jugeant cette fonction bien en-deçà de ses capacités, déserte son poste et rejoint Tunis où il se met sous la protection de Abdelhamid Mehri qui lui confie la gestion des bourses d’études à l’étranger, fonction qu’il exercera sans interruption jusqu’à l’indépendance et qu’il utilisera comme moyen de se constituer une clientèle.
Brahim Hasbellaoui se rappelle de sa vie d’étudiant à Lausanne, quand il a eu à connaitre, de près et par la force des choses, le gestionnaire des bourses. Il n’a perçu chez lui aucune humilité. Pour Belaid Abdesselam, il n’y a pas de relations d’égal à égal ni de relations d’amitié. Il est convaincu que les relations humaines ne sont régies que par le seul rapport de force entre vassal et suzerain. Avec les étudiants, il était le suzerain puissant mais avec ses supérieurs, il était un vassal à l’échine très flexible.
Plus tard, lors d’une visite au siège de l’Organisation nationale des Moudjahidine, au lendemain de la nomination de Abdesselam comme chef du gouvernement en 1992, Mehri fit remarquer : « Comment Abdesselam, qui n’a pas pu décrocher un siège de député, qui se dit démocrate, accepte d’être chef du gouvernement avec des décideurs éradicateurs ? Et dire que je lui ai sauvé la vie en 1956 ! »
Que pourrait bien valoir l’errance de Abdesselam durant la guerre de libération face au parcours de Taleb ? Qu’en juge : participation à la création de l’UGEMA (1955), premier président de l’UGEMA (1955-1956), membre du comité fédéral du FLN en France (1956-1957), prisonnier politique en France (1957-1961), membre de la délégation algérienne à l’ONU (novembre-décembre 1961).
Et qu’attendre de « celui qui, partit de rien, n’est arrivé nulle part » selon la formule de Pierre Dac, sinon le déchainement de la haine et le déferlement des calomnies. Concernant la sortie de prison de Ahmed Taleb, au lieu de se réjouir de la libération d’un compagnon de route après une longue détention, Belaid Abdesselam donne toute la mesure de son insoutenable légèreté, il écrit (p. 198) : « Au bout de trois années de détention, Ahmed Taleb fut libéré à la suite du retour du général De Gaulle au pouvoir. Il n’eut même pas à passer en jugement devant les tribunaux français. Après sa libération, il disparut complètement des circuits du FLN. En 1962, il était de nouveau à Paris où il acheva ses études de médecine ».
Ce paragraphe à lui seul contient six mensonges facilement réfutables :
1- Ahmed Taleb n’est pas resté trois années en prison mais plus de quatre ans et demi : de février 1957 à septembre 1961.
2- Il n’y a aucune relation entre l’arrivée de De Gaulle au pouvoir en mai 1958 et la libération de Ahmed Taleb en septembre 1961. Abdesselam va réitérer cette insinuation perfide.
3- Abdesselam ignore que les dirigeants du FLN emprisonnés en France (les cinq chefs historiques et les dirigeants de la Fédération de France, dont Taleb), dès le début de leur incarcération, ont pris la décision de ne pas reconnaitre la justice française et, partant, de ne pas répondre aux questions des juges instruisant leur dossier. Leur libération est liée à un accord algéro-français sur l’indépendance.
4- En septembre 1961, devant les progrès des négociations entre le FLN et le gouvernement français qui rendent l’indépendance très prochaine, les autorités françaises décident d’accorder « la liberté médicale » à quatre responsables FLN emprisonnés atteints d’affections diagnostiquées par les médecins des prisons. Il s’agit de Mohamed Terbouche, premier chef de la Fédération de France, Mostefa Lacheraf, un des cinq, Mohamed Mechati et Ahmed Taleb, membres du comité fédéral. Il y a lieu d’ajouter que la décision concernant Taleb était assortie d’une assignation à résidence à Poitiers. Mais la Fédération, installée en Allemagne, utilisant les réseaux Jeanson, réussit à l’exfiltrer à Düsseldorf via Bruxelles.
5- Après sa libération, Ahmed Taleb n’a pas « disparu des circuits du FLN » selon l’expression de Abdesselam. Au contraire, il a été reçu par de nombreux ministres du GPRA et Krim Blekacem le désignera comme membre de la délégation du FLN à l’Assemblée générale de l’ONU présidée alors par M’hamed Yazid et Abdelkader Chanderli. D’ailleurs au retour de New-York, Taleb et Abdesselam ont déjeuné ensemble dans un restaurant à Tunis, à l’invitation de Hafidh Keramane qui, éprouvant de l’affection pour tous les deux, voulait ainsi les réconcilier. Ce fut un demi-succès.
6- Ahmed Taleb n’a pas achevé ses études à Paris, en 1962, comme l’affirme Abdesselam pour la bonne raison qu’il était interdit de séjour en France après son refus d’obtempérer à l’assignation de résidence à Poitiers. Taleb, en 1962, préparait sa thèse à l’hôpital de Lausanne en Suisse.
L’indépendance nationale
A l’annonce de l’indépendance de l’Algérie, une dizaine d’anciens responsables de l’UGEMA (dont Abdesselam et Taleb) se rendent à Alger en juillet 1962 à la demande du président du GPRA Benyoucef Benkhedda, où l’atmosphère de fête est entachée par les luttes fratricides. Faute de directives précises, le groupe se donne pour mission de rapprocher les points de vue des chefs historiques et surtout d’éviter les affrontements entre wilayas comme celui qui vient de se produire entre la IV et la V. Dans ce but, il crée un petit comité chargé des contacts et qui se compose de Mohamed Benyahia, Ahmed Taleb et Redha Malek.
A ce propos, Brahim Hasbellaoui tient à relater un fait historique qu’il doit à Ait-Chaalal mais qui n’est malheureusement évoqué par aucune source écrite. En 1963, Ait-Chaalal et Taleb, fidèles à leur engagement de l’hôtel Aletti de « rapprocher les points de vue des chefs historiques et éviter tout affrontement armé », prennent de gros risques en rendant secrètement visite à Ait-Ahmed dans son maquis en Kabylie et à Boudiaf à Constantine. Leur but était de convaincre Ait-Ahmed de renoncer aux armes et de se réconcilier avec Boudiaf en vue de constituer une large opposition politique à Ben Bella. C’est sans doute cette démarche qui a valu à Messaoud Ait-Chaalal et Ahmed Taleb les foudres du président Ben Bella qui les a fait arrêter et torturer.
Mais Abdesselam quitte le groupe et se rend à Tlemcen pour marquer ses distances avec « les serviteurs de l’esprit » et faire valoir sa passion obsessionnelle d’allégeance « aux maitres de l’heure » (selon la formule de Jean Amrouche) incarnés par Ahmed Ben Bella. Il obtiendra un strapontin de député à la première Assemblée nationale constituante.
Quelques semaines plus tard et face à un Ben Bella bien ancré au pouvoir, Mostefa Lacheraf, Messaoud Ait-Chaalal, Belaid Abdesselam, Ahmed Taleb et Redha Malek se réunissent à Paris et adoptent une démarche avec trois principes : ne pas combattre le nouveau régime, ne pas y participer, servir le peuple en tant que médecins (Ait-Chaalel et Taleb) ou enseignants (Lacheraf, Abdesselam et Malek). A la surprise générale, Abdesselam est nommé par Ben Bella PDG de Sonatrach. Une nomination qui prend l’allure d’un soliloque du bateau ivre qu’est devenu le pouvoir exercé dans une effroyable impréparation. Dépourvu de toute aptitude de commandement, de vision stratégique et de capacités managériales, quelles qualités professionnelles pouvait bien faire valoir ce pauvre Abdesselam pour présider aux destinées d’une compagnie pétrolière ? C’est là que réside sans doute le défaut de fabrication de ce géant aux pieds d’argile que n’a jamais cessé d’être la Sonatrach.
Sous la présidence de Houari Boumediène (1965-1978) la carrière de Ahmed Taleb a été stable. Il est nommé respectivement ministre de l’Education nationale (1965-1970), ministre de l’information et de la culture (1970-1977) et ministre-conseiller du Président de la République (1977-1978). Brahim Hasbellaoui a été un proche collaborateur dans cette période et peut témoigner qu’Ahmed Taleb avait toutes les qualités que ses fonctions exigeaient dans la conception et la mise en œuvre d’une politique de décolonisation culturelle de notre pays.
Belaid Abdesselam est nommé ministre de l’industrie et de l’énergie. Une nomination très discutable, où Abdesselam a reconduit ses méthodes de gestionnaire des bourses, transformant ce grand ministère en fief du clientélisme. Avec sa toxicité, il a inauguré le règne des faux-monnayeurs et des faussaires qui n’ont jamais su, pu ni voulu être compétents et honnêtes. Durant son règne infernal, Abdesselam a eu tout le temps d’installer les mécanismes diaboliques de la désindustrialisation de l’Algérie, compromettant gravement sa viabilité économique. On se souvient du mythe trompeur de « l’industrie industrialisante » et ses formules creuses défiant toute logique de « clé en main » et « produit en main ». L’apprenti-sorcier Abdesselam a passé son temps à se tromper et à tromper les autres sur la politique industrielle, avec sa dogmatique ignorance, il était convaincu qu’il suffisait, pour s’industrialiser, d’acheter des usines, au grand mépris de l’acquisition des valeurs industrielles. C’est ainsi qu’il a empêché le pays de construire un appareil de production national, moderne et compétitif. De même que les choix énergétiques, fondés sur une approche prédatrice de surexploitation des ressources pétrolières et gazières, ont fini par cantonner l’Algérie dans un piètre statut de pays à revenu intermédiaire. Il ne lui sera jamais pardonné d’avoir institutionnalisé les deux sports funestes, la fuite des cerveaux par la marginalisation des cadres, pourtant formés à grands frais aux quatre coins du monde et la fuite des capitaux pour avoir imposé le financement à n’importe quel coût de l’option du tout-étranger.
Le système de rente pétrolière, dont Belaid Abdesselam peut en réclamer la paternité, a créé un voile aveuglant qui empêche les dirigeants et leurs conseillers à avoir une bonne perception des défis et des enjeux. Pire encore, cette richesse subite et mal gérée a provoqué une infection par le syndrome hollandais, c’est-à-dire que la surexploitation des ressources naturelles précipite le pays dans un déclin économique et une régression sociale.
Pour faire oublier cette catastrophe qui peut relever de la haute trahison, Belaid Abdesselam recourt à la diversion, il accuse Ahmed Taleb d’avoir implanté les oulémas à tous les niveaux de l’enseignement[11]. Brahim Hasbellaoui s’inscrit en faux contre cette allégation. En vérité, le dossier de l’intégration des enseignants venus de l’Association des Oulémas a été initié et clôturé en 1964 par le prédécesseur de Taleb, Chérif Belkacem.
Ahmed Taleb a travaillé avec les cadres qu’il a trouvé en place : non seulement les enseignants mais les directeurs, les inspecteurs d’enseignement et les inspecteurs généraux ; et s’il a procédé à des modifications, il n’a jamais fait appel à des oulémistes. Au contraire, il s’est toujours soucié du sort d’anciens responsables du PPA qui ont tout donné au pays et qui se retrouvent sans reconnaissance. C’est ainsi qu’il a nommé Chadli Mekki à la direction des affaires culturelles à un moment où aucun ministre (y compris Abdesselam) n’a eu le courage de le recruter sous prétexte qu’il a été emprisonné par les Egyptiens durant la Révolution. C’est ainsi qu’il a également chargé Hasbellaoui de faire bénéficier Ahmed Bouda, ancien responsable du PPA et ancien représentant du GPRA en Irak et en Libye, d’un poste d’enseignant pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille.
En 1977, Boumediène procède à son second remaniement important après les élections présidentielles : Belaid Abdesselam se retrouve à la tête du petit ministère des industries légères. Abdelmadjid Allahoum raconte qu’il a vu ce jour-là Abdesselam sortir du bureau du président en larmes. Boumediène venait de lui annoncer sa décision de scinder son « empire »[12] en trois ministères : l’énergie, les industries lourdes et les industries légères. Abdesselam réclame l’énergie mais Boumediène lui rétorque : « Tu seras ministre des industries légères ». C’est alors que Abdesselam éclate en sanglots.
Ce même jour d’avril 1977, Ahmed Taleb, nommé ministre-conseiller du Président de la république, devient l’homme le plus proche de Boumediène, son confident jusqu’à sa mort en décembre 1978. Et lorsque le Président se fait soigner à Moscou accompagné par Ahmed Taleb, Abdesselam réunissait ses collaborateurs tous les matins et se perdait en conjectures sur les lieux où pouvait se trouver Boumediène.
Abdesselam prétend (p. 204) que Taleb a « essayé de dévaloriser l’œuvre du défunt président ». Dans sa fidélité à Boumediène, Taleb est resté exemplaire. Le tome II de ses mémoires est une véritable défense et illustration de l’ère Boumediène contre vents et marées.
Au début de sa présidence, Chadli Bendjedid (1979-1992) appréciait les ministres selon deux critères : ceux qui incarnent la continuité de l’Etat et qu’il fallait maintenir et ceux qui inspiraient les nécessités de rupture et qu’il fallait congédier. Abdesselam était le plus représentatif des responsables dont il fallait impérieusement s’en défaire. Il est nommé membre du bureau politique du FLN au motif que les ministres qui avaient longtemps travaillé avec Boumediène avaient leur place dans l’instance suprême du parti. Mais Chadli finit par l’en écarter au bout d’une année.
Ahmed Taleb accepte de rester dans ses fonctions de ministre-conseiller auprès du nouveau président, sur insistance d’officiers supérieurs de l’ANP, anciens de l’ALN, qui voyaient en lui un exemple de continuité de l’Etat. Hasbellaoui se souvient de ce jour de décembre, alors qu’il se trouvait au domicile de Taleb, quand Hachemi Hadjerès est venu le convaincre : « Ton devoir de patriote est d’accepter car Chadli a plus besoin de toi que Boumediène. C’est le point de vue de nombreux officiers supérieurs ».
En 1982, Ahmed Taleb est nommé ministre des Affaires étrangères et Abdesselam trouve à redire sur l’orientation de notre diplomatie à cette époque dans les principales questions : la France, la Palestine, le Maroc et le Sahara occidental. Abdesselam ne peut ignorer que la politique étrangère, si elle est mise en œuvre par le ministre, elle est définie par le Bureau politique. Il serait présomptueux d’apporter des réponses adaptées aux élucubrations de Abdesselam sur la menée de la politique extérieure du temps où Ahmed Taleb était ministre des Affaires étrangères. Le débat pourrait mener loin.
Durant la décennie rouge (1991-1999), alors que Taleb prônait publiquement et devant les sessions du comité central du FLN le dialogue et la réconciliation nationale, Abdesselam, après avoir échoué à décrocher un siège de député dans sa propre ville natale, lui, le « grand démocrate », finit par accepter le poste de Chef du gouvernement. A ce titre, le peuple algérien est en droit de lui demander des comptes sur les drames qui ont marqué cette période : les massacres, les disparus, les camps du sud, etc. Et surtout la gestion chaotique de Abdesselam, surtout quand il s’improvise ministre de l’Economie, rappelant les propos de l’économiste français Alfred Sauvy, sollicité par Léon Blum pour être ministre de son gouvernement en 1936. Hésitant, il avait répondu au dirigeant socialiste : « Je ne sais pas si je vais accepter tant à l’évidence vous ne connaissez rien à l’économie ». A cela, Blum eut cette réponse : « Mais enfin Sauvy, si j’y connaissais quelque chose, je ne serai pas socialiste ! »
Et si Abdesselam n’était pas dangereusement ignorant, il n’aurait jamais lancé le slogan de sa ténébreuse « économie de guerre », refusant de traiter la dette extérieure aux fins de reconstituer les réserves de change. Non content de voir le pays à feu et à sang, il tenait à pousser son sadisme à l’extrême pour voir le peuple mourir de faim et assister à l’anéantissement de l’Algérie. Pour cerner le potentiel criminel de cet individu, il suffit de se rappeler du pavé jeté lors de sa sortie médiatique à l’hôtel El Djazaïr en février 1999, quand il a déclaré sous le regard ahuri de l’assistance : « J’aime la France ». A ce propos, je voudrais rappeler que l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Roland Dumas, révèle dans le premier tome de ses mémoires que le jour de la nomination de Ahmed Taleb à la tête du ministère des Affaires étrangères en mai 1982, il a reçu un appel téléphonique du président François Mitterrand lui recommandant de se méfier de « ce Taleb qui n’aime pas la France ».
Avec l’arrivée du président Abdelaziz Bouteflika au pouvoir en 1999, Abdesselam, après avoir vilipendé le candidat, est devenu le laudateur patenté du président. Toute honte bue, il se complait dans son jeu de girouette et de vaguemestre, sans qu’on sache en échange de quels privilèges et avantages. Quant à Taleb, il a été le principal rival de Bouteflika aux élections présidentielles de 1999, et sans le concours du commandement de l’armée qui a choisi et imposé Bouteflika au peuple, les résultats auraient été tout autres.
Et c’est par flagornerie que Abdesselam est allé organiser à Tlemcen en 2005 le 50è anniversaire de l’UGEMA sous le haut patronage du Président Boutéflika, qui a infligé à Abdesselam deux gifles : en remerciant l’organisateur « le doyen des fondateurs de l’UGEMA » (et non le père fondateur) et en évoquant la médersa Dar el Hadith et son fondateur Cheikh Bachir Ibrahimi. Cependant, pas un seul mot n’a été prononcé dans l’évocation du congrès de l’A.E.M.N.A. de 1935, une occasion bêtement ratée de relier le passé au présent et d’apprendre à entretenir la mémoire.
En 2017, allant à contre-courant de la majorité des jeunes, des femmes, des travailleurs, des intellectuels, Abdesselam ose écrire (p. 174) : « Bouteflika avait réussi à rendre à ceux qui ont contribué à la libération du pays de la domination française leur place dans l’histoire. Il a réussi la réconciliation nationale et j’espère qu’il réussira à établir définitivement les droits de l’homme en Algérie ».
Conclusion
Que peut bien nous inspirer la lecture du livre de Belaid Abdesselam, véritable chef-d’œuvre de Propanda ? De ce point de vue, Abdesselam ne fait pas exception au climat intellectuel du pays, caractérisé par une effroyable morosité, où l’écrivain a perdu son rôle social. Nous vivons sous le dictat des écrivains du déclin culturel. Mais alors, par qui, par quoi pourrait-on réveiller ce monde qui s’est endormi ? En définitive, qu’est-ce donc écrire ?
Belaid Abdesselam donne l’impression de sortir du film Les Joueurs d’échecs du réalisateur indien Satyajit Ray qui raconte deux histoires où se mêle l’insouciance des individus à la tragédie nationale. Deux adultes sont passionnés par le jeu d’échecs jusqu’à l’aveuglement, ils ne prêtent même pas attention à la marche de l’Histoire (la conquête coloniale anglaise), acceptant la perte non seulement de l’indépendance politique mais aussi d’une partie de la culture indienne séculaire. Quant au souverain, il sait qu’il n’est qu’un pion. Il se réfugie dans la composition de chansons et le réalisateur accentue ce trait pour montrer un personnage qui était davantage prédisposé à devenir chanteur qu’à jouer au roi. Mais que peut bien valoir la passion pour le jeu et l’art face à la marche de l’histoire ? Tel parait Belaid Abdesselam dans son inconséquence et son inconsistance.
Le prospectiviste marocain Mehdi El Mandjra relève à juste titre : « Je crois que le sous-développement peut se définir aujourd’hui comme une situation où l’on combat les compétences nationales innovatrices et créatrices et où l’on encourage la somnolence professionnelle et la médiocrité docile qui facilitent la corruption, l’abus des droits humains et la servilité devant les grandes puissances. »
L’avènement des tenants de l’Etat moribond, dont Belaid Abdesselam constitue l’expression achevée, a fini par vicier le contrat social d’une rétention dolosive. Ce qui n’a pas manqué de créer les conditions propices au vide institutionnel où s’évertuent des hommes sans feu ni lieu à livrer le pays aux forces démoniaques. Mais on est frappé par le contraste avec l’état d’esprit d’un pays comme l’Algérie où la conscience nationale se confond avec la notion d’indépendance.
A l’origine, la course au pouvoir a eu comme effet indésirable de propulser des hommes incapables d’incarner les aspirations des Algériens à la liberté, à la justice et au progrès. Ambitieux, mais en mal de compétence et de crédibilité, ces hommes ont usé et abusé de la ruse pour étendre leur autorité aux seules fins d’exercer un contrôle sur les populations et les richesses. Le renforcement d’un tel pouvoir a provoqué une modification des normes et une fragilisation de la société. Ce qui est aisément vérifiable à travers :

  • la gestion chaotique
  • l’affairisme et la corruption
  • les drogues permises (l’instrumentation du football et du maraboutisme) qui se conjuguent aux effets dévastateurs des drogues illicites (l’alcoolisme et la toxicomanie)
  • le trucage des élections

Telle parait la gageure d’un régime fou, aveuglé par sa fantasmatique détermination à maintenir, vaille que vaille, des hommes et des méthodes de gouverner. « Insanity is repeating the same mistakes and expecting different results » disent les Anglo-saxons. Ce qui veut dire : « La folie c’est de répéter les mêmes erreurs en espérant des résultats différents ».
N’a-t-on pas l’impression que les réalisations de l’ère Abdesselam relèvent de l’éphémère ? C’est-à-dire des réalisations qui secrètent des dispositifs de leur propre détérioration et leur disparition. Mais ce caractère éphémère est également bien mis en évidence dans le brûlot de Belaid Abdesselam, en ce sens qu’il empêche l’accès à la vérité.
Face à tant de gâchis et de gabegies, les Algériens se retrouvent dans la même situation que ce jeune américain qui contemplait sur une plage de la Côte d’Azur le spectacle des vagues au coucher du soleil. Soudain, il aperçoit le peintre espagnol Pablo Picasso se promener sur la plage un bâton à la main. Tout en marchant, Picasso exécute un dessin d’une grande beauté, d’un seul trait et sans lever le bâton, sur une longueur d’une dizaine de mètres. Mais c’est tout le désarroi du jeune américain de chercher un moyen de conserver cette œuvre de Picasso. A ce moment-là, arrive une vague qui submerge le dessin. Il en est resté inconsolable.
Il y a chez les Algériens une sensation de plus en plus vive de dépossession de soi, ils se sentent ne plus s’appartenir, livrés au désespoir, réduits à de simples pourvoyeurs de (leurs propres) ressources à d’autres pays, sans jamais pouvoir profiter du bonheur et de la prospérité que la terre algérienne est en mesure de procurer.
De cette dépossession de soi, nous restons d’éternels inconsolables.
Zeddour Mohamed Brahim
Oran, 1er janvier 2018
Forum
[1] Belaid Abdesselam Chroniques et réflexions inédites sur des thèmes sur un passé pas très lointain, Alger, Editions Dar Khettab, 2017
[2] Ali El Kenz et Mahfoud Bennoune Le hasard et l’histoire, entretiens avec Belaid Abdesselam, Tomes 1 et 2, Alger, Edition ENAG, 1990
[3] Cité par Benoist Rey Les égorgeurs, Paris, Éditions de Minuit, 1961
[4] Charles-Robert Ageron Des étudiants musulmans nord-africains en France durant l’entre-deux-guerres – Contribution à l’étude des nationalismes maghrébins. Outre-Mers. Revue d’histoire – 1983
[5] Le 11 septembre 1961, le général Salan, chef de l’O.A.S., envoie une lettre à tous les parlementaires français dans laquelle il demande que le service militaire soit réduit à dix-huit mois et que huit classes de jeunes Algériens soient mobilisées. Elle fut présentée en amendement le 9 novembre 1961, lors de l’examen à l’Assemblée Nationale des crédits militaires pour l’année 1962. Au vote, l’amendement est repoussé par 383 voix contre 80.
Le Monde titre dans son numéro daté du 11 novembre 1961 : « Les thèses activistes ont trouvé quatre-vingts partisans au Palais-Bourbon. »
[6] Ahmed Taleb-Ibrahimi, Mémoires d’un Algérien, Alger, Editions Casbah, 2006, Tome 1 « Rêves et épreuves » (1932-1965), p. 94
[7] Ahmed Doum De la Casbah d’Alger à la prison de Fresnes 1945-1962, Alger Editions Casbah 2013
[8] En octobre 1960, est signé Le Manifeste des 121 rédigé par Maurice Blanchot, appelant au refus de continuer la guerre en Algérie. On retrouve des personnalités individuelles et collectives : Témoignage chrétien, Esprit, Temps modernes, France observateur, L’Express, Libération, l’Humanité, les Editions de Minuit, Robert et Denise Barrât, Gilles Martinet, Roger Stéphane, Louis Massignon, François Mauriac, JM Domenach, Claude Bourdet, Edgar Morin, Pierre Vidal-Naquet, etc.
[9] Mohammed HARBI, Une vie debout, mémoires politiques, tome 1 : 1945- 1962, Paris, La Découverte, 2001
[10] Albert-Paul Lentin, Le dernier quart d’heure. L’Algérie entre deux mondes. Alger, Alem El Afkar, 2012
[11] Ahmed Taleb-Ibrahimi, Mémoires d’un Algérien, Alger, Editions Casbah, 2006, Tome 2, p. 1844
[12] Belaid Abdesselam Chroniques et réflexions inédites sur des thèmes sur un passé pas très lointain, Alger, Editions Dar Khettab, 2017, p. 146

3 Commentaires

  1. Lors de tout mouvement de libération ou de sursaut national,s’astreindre à mettre d’accord tous les acteurs sur la même corde pour avoir le même son de cloche et à la perfection,c’est trop laborieux.
    Concernant la délivrance de tout colonialisme,l’essentiel,pour les acteurs,c’est être pro-libération,militer pour la liberté et dire non à l’esclavagisme.
    Etre dans le mouvement nationaliste pour délivrer tout un peuple de l’exploitation colonialiste,c’est déjà tout un exploit pour ces personnalités,mal connues d’ailleurs sur le plan de la personnalité de tout un chacun.
    Après tout ce ne sont que des êtres humains avec leurs forces et leurs faiblesses!
    Enfin,ne dit-on pas que « toute révolution broie d’abord ses propres enfants »!

  2. Pendant longtemps, on nous a abreuvés de discours élogieux sur ces courtisans et dinosaures des années Boumediene, on se rappelle tous de la fameuse « Industrie industrialisante » qui n’a jamais industrialisé le pays, bien au contraire, elle a cassé la paysannerie locale. D’ailleurs les socialistes ont toujours considéré les propriétaires terriens comme des réactionnaires et la pseudo «révolution agraire» a fini par anéantir toute l’agriculture Algérienne. Il fallait développer le savoir en procurant aux enfants un enseignement de haut niveau, c’est le meilleur investissement, c’est l’élite ainsi produite par nos propres universités qui aurait « industrialisé » le pays tout en garantissant une autosuffisance alimentaire grâce à une agriculture locale aidée par des moyens technologiques produits par nos universités et des ressources humaines spécialisées.
    Il faudra que ce genre d’individus rendent des comptes devant une justice indépendante au même titre que tous les incompétents et truands qui ont confisqué le pouvoir depuis l’indépendance et ont mené le pays à la ruine sur tous les plans.

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