Conquêtes Islamiques entre Mythes et Réalité.

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1802

« À l’époque où les musulmans entreprirent la conquête de la Perse, ils trouvèrent une quantité extraordinaire de livres et de recueils scientifiques. Leur général, Sa’d Ibn Waqqas, écrivit au calife Omar pour lui demander la permission de les prendre et de les distribuer aux musulmans avec le reste du butin.

Le calife lui répondit :
« Jette-les à l’eau ! S’ils renferment un guide pour la Vérité, Dieu nous en a donné un meilleur. Et s’ils ne contiennent que des mensonges, Dieu nous en a débarrassés. »

En conséquence, les soldats musulmans jetèrent ces livres à l’eau ou au feu et c’est ainsi que la science des Perses disparut et qu’il ne nous en est rien resté. »

Ibn Khaldûn dans Al–Muqaddimah Tome III page 100 (http://classiques.uqac.ca/classiques/Ibn_Khaldoun/Prolegomenes_t3/Prolegomenes_t3.html.

Le prophète décède en 632, l’Islam arrive aux rives de l’Espagne en 711. En moins d’un siècle, cette nouvelle religion conquit l’âme et l’esprit des habitants de plus de la moitie du monde connu en ce temps là.

Comment expliquer cette rapide expansion sans tomber dans les clichés et mensonges historiques et tout en restant fidèle à l’essence du message prophétique.

L’explication oscille entre deux écoles complètement opposées. La première dite orientaliste dont le porte-parole est l’Islamologue Hongrois Ignaz Goldziher postule que:

« Les motifs dominants qui détermineront la poussée conquérante des Arabes islamisés furent, le besoin matériel et la cupidité, aisément explicables par la situation économique de l’Arabie, et qui excitèrent l’enthousiasme pour l’émigration du pays déchu et l’occupation de régions plus fertiles. La nouvelle loi fut la bienvenue comme prétexte à ce mouvement que favorisait la nécessité économique. »

Et il ajoute « On ne doit assurément pas prétendre pour cela que ces intentions avides dominèrent seules et sans exception dans les guerres religieuses de l’ancien Islam. Il y eut toujours auprès des guerriers qui « partaient à la guerre par convoitise terrestre », des hommes entraînés par la foi, qui « prenaient part au combat à cause de l’au-delà ». Mais ce n’était certainement pas ce dernier élément qui donnait leur caractère véritable aux dispositions des masses combattantes. »

Cette école avance que, l’extension de l’islam fut moins l’effet d’une conversion religieuse que d’une conquête militaire. Les motivations initiales qui avaient poussé les tribus arabes islamisées à partir à la conquête du monde connu et à supplanter l’empire d’Alexandre le Grand mêlaient l’attrait du pillage, de la richesse et la volonté d’étendre l’autorité de l’islam, perçu d’abord comme une communauté arabe.

La ferveur fut un ressort aussi puissant que la convoitise. Pourtant, les califes n’avaient jamais programmé une telle expansion. Seule la prise de la Palestine et la Syrie, terres messianiques et eschatologiques, avait été anticipée par le prophète.

Pourquoi alors quitter les rives du Tigre une fois celles-ci atteintes?
Les généraux musulmans agissaient en totale autonomie et lançaient leurs opérations en espérant étendre leur zone de contrôle, ainsi Oqba Ibn Nafa vers l’Ifriqiya.

En intégrant les peuples d’Irak, de Perse et d’Egypte dans leur système de gouvernement et leurs armées, les tribus arabes islamisées, avaient été nécessairement conduites à emprunter à ces populations leurs conceptions territoriales et leurs anciennes querelles : l’avancée vers la Perse fut ainsi poussée et permise par les Iraniens arabisés qui retrouvaient là-bas les frontières sassanides, de même que la conquête du Maghreb berbère put s’appuyer sur le ralliement de certains nomades connaissant parfaitement les lieux et les clans en conflit.
Ainsi, les ambitions des tribus arabes s’élargirent parallèlement aux premières conquêtes.

L’idée de bâtir un empire comparable à Byzance, totalement étrangère au Prophète ou au Coran, germa au contact des populations autrefois soumises aux gouvernements impériaux.

L’islam fut, jusqu’aux Omeyyades, un système de protection intertribale dont l’identité était radicalement arabe. L’expansion était le signe de la bénédiction de Dieu envers les Arabes convertis au culte et à la loi, mais ceux-ci n’exigeaient pas encore de conversions massives des vaincus, sauf lorsque ceux-ci étaient arabes. Pour les autres, on se contentait d’une taxe qui était aussi une manière d’étendre l’Omma.

Il était évident pour les premiers califes que ceux qui devaient mener la communauté étaient les Quraychites et les compagnons du Prophète. Le sentiment de supériorité raciale l’emportait sur l’égalitarisme théorique de l’islam. Avec le temps, en revanche, les non-arabes réclamèrent les mêmes droits que les conquérants du Hedjaz, et les exclus furent peu à peu incités à se convertir par le poids de leurs obligations. L’identité religieuse de l’Omma s’affirma et les territoires de l’islam devinrent alors réellement musulmans.

La deuxième école dirigée par l’éminent Fred Donner professeur à l’Université de Chicago qui dans une approche historique afin de dépasser le cadre idéalisé esquissé par l’écriture traditionnelle des recits, définit une source de choix et indispensable pour retracer les caractéristiques du mouvement religieux fondé par le prophète, le Coran.

La question cruciale à laquelle l’historien est confronté a été toujours « Quel degré de faillibilité faut-il accorder aux informations données par les sources musulmanes, tout en sachant que ces mêmes sources, sont toutes tardives et postérieures aux faits évoqués».

Fred Donner fut le premier islamologue occidental à avoir récusé la thèse de la conquête sanglante du Croissant fertile en se basant sur l’archéologie, qui témoigne du faible nombre de destructions dans les cités du Proche-Orient.

La centralité de sa thèse est que l’œcuménisme du nouveau mouvement religieux lui a permit, en vérité, d’être bien accueilli, en des lieux où le monothéisme était solidement implanté. Dans ce cadre, les conquérants arabes islamisés se présentèrent certainement comme les promoteurs d’un monothéisme réformé, et non pas comme les tenants d’une véritable révolution religieuse.

Les conquêtes orchestrées après les grandes périodes de guerre civiles selon Fred Donner furent marquées par l’eschatologie et l’arrivée imminente du Jugement dernier. Les Califes entendirent, par cette politique d’expansion, établir l’ordre de Dieu sur terre et devenir de ce fait les souverains vertueux et lieutenants de Dieu.

Entre ces deux thèses, se trouvent une troisième qui est liée essentiellement à la condition humaine qui définit la dimension sociale des conquêtes islamiques.

Il est tout à fait clair que l’histoire avance dans une turbulence qui ne dit pas son nom et que l’homme aliéné qu’il est, progresse à tâtons en faisant usage de toute opportunité pour de se donner un ordre à même d’alter sa condition sociale pour le meilleur.

Il serait de mauvaise foi, doublée d’une forfaiture intellectuelle de ne pas voir la dimension sociale dans l’expansion islamique et un ébranlement à la condition sociale et l’ordre établi des peuples qui ont embrassé la nouvelle foi.

Cette dimension est certainement concurrencée par les deux autres, celles de la convoitise des richesses et de l’exaltation religieuse, dont l’homme aurait pu faire usage avec modération.

En conclusion, il faut rester lucide en postulant que les conquêtes islamiques sont un phénomène historique complexe et surtout multidimensionnel dont l’objectivité est lié à la trame de l’Histoire.

Donner un sens à cette dernière, c’est donner un sens à la première.

Khaled Boulaziz

1 COMMENTAIRE

  1. Présentées ainsi, les conquêtes musulmanes ne sont vraiment pas des conquêtes. Pas de guerres, pas de butin, pas d’esclaves sexuelles dont a si bien parlé Ibn Khaldoun. Des conversions massives et mystérieuses, c’était l’air du temps, une adoption ordinaire d’une nouvelle mode, un souffle divin qui se propager sans l’aide des armées, sans l’aide du sabre… Renversant!
    Les conquérants « se contentaient d’une simple taxe… » Comprenez une occupation en douce et tout à fait pacifique comme le proclame sur tout les toits les prédicateurs… Ah si les Algériens pouvaient dire autant des lourdes taxes imposées par le colonialisme français.
    Je vois pourquoi une bonne partie des Algériens n’en veut pas du tout à Okba. Même qu’en hommage à ses faits d’armes, une statue équestre, SVP, lui a été érigée dans une place publique. Comme dit notre dicton algérien : «vit et tu verra»

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