Karim Tabbou, figure du Hirak en Algérie, transforme son procès en tribune contre ses accusateurs

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L’opposant dénonce sans relâche l’emprise de l’armée sur les institutions civiles et est notamment poursuivi pour « atteinte à l’unité du territoire national ».

Par Madjid Zerrouky Publié aujourd’hui à 15h46, mis à jour à 16h47

Le Monde.fr

A Alger, le 27 septembre 2019, manifestation de soutien à l’opposant Karim Tabbou.
A Alger, le 27 septembre 2019, manifestation de soutien à l’opposant Karim Tabbou. RYAD KRAMDI/AFP

Jusqu’au bout de la nuit, 59 avocats, sur les 180 qui se sont mobilisés pour défendre l’opposant Karim Tabbou, se sont relayés pour pilonner l’accusation au tribunal de Sidi M’hamed, à Alger. « Un dossier vide et des accusations fabriquées de toutes pièces », ont-ils répété. A 4 heures du matin, jeudi 5 mars, la présidente a levé la séance et renvoyé le verdict au 11 mars.

Incarcéré depuis son arrestation en septembre 2019, Karim Tabbou est le fondateur et coordinateur de l’Union démocratique et sociale (UDS) après avoir été, de 2007 à 2011 le premier secrétaire du Front des forces socialistes (FFS), le plus ancien parti d’opposition d’Algérie. Il comparaissait pour de nombreux chefs d’accusation, dont « entreprise de démoralisation de l’armée », « atteinte à l’unité du territoire national » ou encore « incitation à attroupement ». Des faits pour lesquels, vers 16 heures, le procureur avait requis une peine de quatre ans de prison ferme et 200 000 dinars d’amende (environ 1 500 euros) à son encontre.Lire aussi  Algérie : l’inlassable défi du Hirak

Tribun et débatteur pugnace

Tribun et débatteur pugnace, s’exprimant dans les deux langues du pays, l’arabe et le tamazight, Karim Tabbou est l’une des rares personnalités d’envergure nationale à avoir émergé du Hirak, le mouvement populaire qui se poursuit depuis un an. En guise de soutien, plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblées aux abords du tribunal avant d’être dispersés par les forces de l’ordre au petit matin.

Parmi les figures de la contestation présentes au procès, deux anciens détenus avaient aussi fait le déplacement : Lakhdar Bouregaâ, 86 ans, vétéran respecté de la guerre d’indépendance, et Fodil Boumala, ex-journaliste de la télévision nationale et cofondateur d’un mouvement citoyen d’opposition. Tous deux ont été incarcérés pendant cinq mois et, le 24 février, Fodil Boumala avait transformé son procès en une mise en accusation du régime. Il a été relaxé le 1er mars.

Arrivé au tribunal sourire aux lèvres, sous les applaudissements d’une salle archicomble, Karim Tabbou, paierait, pour ses défenseurs, ses attaques passées contre le commandement de l’armée, à commencer par l’ancien chef d’état-major et homme fort du pays, Ahmed Gaïd Salah, mort le 23 décembre 2019. Il a réitéré, mercredi, ses propos :

« L’armée n’a pas le droit d’intervenir dans les affaires politiques. Or elle organise des meetings dans des casernes quand, au même moment, elle interdit des conférences dans des instituts universitaires de sciences politiques […] Ma conviction, qui n’a pas changé, est qu’il faut maintenir l’institution militaire loin des débats politiques. »

« Je rejette en bloc comme dans le détail les accusations qui sont portées contre moi, car c’est l’homme politique qui est visé […] Il y a des centaines de personnes poursuivies au même moment et pour les mêmes motifs. C’est le Hirak qui est poursuivi, alors qu’il est en soi la consolidation de l’unité nationale », a attaqué l’opposant, dénonçant une accusation infamante, qu’il dit avoir particulièrement mal vécue. « Ces accusations m’ont profondément blessé. Dans ma famille, treize wilaya [départements] du pays sont représentées. L’unité nationale est une cause familiale. »

« Nuit de terreur »

Placé en détention provisoire le 12 septembre 2019, Karim Tabou avait été remis en liberté le 25 septembre 2019, avant d’être à nouveau arrêté à son domicile moins de vingt-quatre heures plus tard. A la barre, il est d’ailleurs revenu sur les conditions de son arrestation, racontant avoir « subi les comportements les plus odieux. On m’a frappé, insulté, humilié. Je mets au défi le ministre de la justice d’ouvrir une enquête sur les conditions de mon arrestation et de mon interrogatoire ». 

Cet épisode a été qualifié par l’avocat Abdelghani Badi de « nuit de terreur ». Et, interrogé sur ce point par le quotidien Liberté, Me Badi a tenu à rappeler « que la Constitution, les lois algériennes et les conventions internationales interdisent les atteintes à la dignité et à l’intégrité physique. Si la justice veut vraiment bâtir une nouvelle Algérie, elle doit ouvrir une enquête. Nul ne doit être au-dessus des lois. Ni la sécurité intérieure, ni le ministère de la défense, ni la présidence, personne. »

Karim Tabbou en août 2011.
Karim Tabbou en août 2011. PIERRE ANDRIEU / AFP

« Karim Tabbou est un militant politique qui est emprisonné pour des motifs politiques, a pour sa part argumenté l’avocat Mostefa Bouchachi. Il apparaît aujourd’hui qu’il n’a commis aucun crime au regard de la loi algérienne. La seule application juste de la loi ne peut-être que de le déclarer innocent. » Réponse le 11 mars.

Madjid Zerrouky

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