Tayeb Laoufi, le créateur d’émotion…

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Par Youcef Elmeddah

« Le paradoxe de l’artiste, c’est donner le meilleur de soi-même tout en croyant ne rien savoir faire » disait Edouard Baer. Et c’est exactement ce qu’est Tayeb Laoufi !

 
Tayeb n’est pas un professionnel de la musique. C’est un consultant informatique dans une grande entreprise française en région parisienne. Il est musicien par passion et fait partie des créateurs du groupe musical Gâada Diwane Bechar qui a fait et continue de faire rêver les amateurs de musique saharienne et du gnawi . Né à Tindouf, il a grandi dans le quartier populaire de Debdaba à Bechar, connu pour son attrait musical. Il est venu en France dans les années 90 pour des études puis s’y est installé comme beaucoup d’algériens à cette époque. Il a baigné dans une famille de musiciens, surtout du côté maternel. Dès l’âge de 13 ans, il a commencé à s’initier à l’aide d’une guitare brésilienne laissée par un de ses frères parti faire son service national. Il joue sa musique à l’oreille, bien qu’il ait appris des rudiments de solfège. Et c’est en côtoyant des artistes locaux et en imitant le jeu de Alla, connu pour avoir sorti le genre Foundou de son ghetto, qu’il a commencé à se perfectionner. A Paris sa relation avec cet immense musicien discret s’est développée en l’accompagnant dans certains de ses concerts.


En région parisienne, Tayeb a continué à jouer de la musique et avec son frère Abdelati, en 1995, ils forment le groupe Gâada Diwane Bechar, rejoint peu de temps après par Mohamed Dilmi.


Gaâda arrive à maturité en organisant des soirées « Diwane » à  « l’USINE » d’Arcueil (une ancienne usine réaménagée en studios de répétition et d’enregistrement), et créé en 1998, avec un collectif d’artistes Algériens exilés à Paris dans les années 90, l’association l’ « USINE ».

C’est en ce lieu que gravitaient, aussi des professionnels de la musique, notamment Riad Hani et Djillali Aichoune à la recherche de talents musicaux, et le groupe Gaada fut repéré.

Gâada commence, alors, une carrière professionnelle et partage, à ses débuts, la même scène que l’Orchestre National de Barbes.

 
Le groupe sort son premier album éponyme Gaâda Diwane de Béchar aux éditions Samarkand en 1998.  Cet album sera suivi par un enregistrement live réalisé à Alger au festival Bled Stock en 2001 et par l’album Ziara avec onze titres qui invitent au voyage avec des sonorités mixant des rythmes arabo-berbères, des chants mystiques traditionnels et des mélodies africaines. C’est en 2012 qu’ils ont sorti leur dernier album Mah’low que décrit Brahim Senouci comme un  « voyage au fil de l’eau, prolongeant l’aventure du groupe qui a fait de la fusion des mondes une ardente obligation. Musiques métisses, synthèse des lointains, instruments modernes entretenant un étrange dialogue avec ceux venus du fond des âges, se conjuguent pour dire une fois de plus la beauté des rencontres, la paix des échanges ».


C’est dans les années 2000 que Aicha Lebgaa, originaire de l’oasis rouge du Gourara, a rejoint le groupe suite à un concert donné à Marseille et où elle se produisait en première partie. Subjuguée par l’interprétation du groupe, elle a décidé de ne plus jouer sans lui !


Questionné souvent sur le genre musical que pratique le groupe Gâada, Tayeb distingue clairement la musique dite saharienne et le « Diwan ». Pour lui, la musique saharienne est beaucoup plus ouverte et a un répertoire plus large contrairement au Diwan qui est très codifié. Gâada fut la première à vulgariser l’expression Diwane, dans la mesure où il s’agit d’être ensemble et communier autour de la musique, selon Tayeb. Le Diwane est un genre musical assimilé au gnaoui et pratiqué par des populations d’origines subsahariennes avec souvent comme instruments le Guembri et le Karkabou, dont le répertoire est organisé en « Braj », et à la symbolique à la fois mystique et profane.


En reprenant le concept du Diwane dans un de ses albums, Rachid Taha le définissait comme un «recueil de poésie en précisant qu’à Istanbul, c’était une salle garnie de coussins où le conseil du sultan se réunissait, puis, par extension, le conseil lui-même ».


Gâada a donc été dépassé par ce mot « Diwane » qui s’est répandu dans son acception classique et ne lui appartenait plus.




L’ossature de la troupe reposait sur Tayeb Laoufi (guembri, mandole, auteur et compositeur), Abdelati (karkabou, bendir), Mohamed Dilmi, percussionniste, Aïcha Lebgaa (karkabou, reddam) accompagnés par Thierry Fournel (guitare, n’goni) Pierre-Eric Rakotoarivony (basse ) et Amar Chaoui (derbouka , congas) et d’autres musiciens.

C’est Tayeb qui a décidé de donner une nouvelle orientation artistique à Gâada en introduisant la basse, la batterie et la guitare électrique. Pour lui la différence entre instruments modernes et traditionnels a peu de sens. Ce qui compte le plus c’est l’émotion ressentie et partagée, « le message à faire passer sans prétention ».

Gâada n’a jamais eu de visées commerciales. Le groupe a été sollicité par de nombreuses maisons de disques dont Virgin et Sony. Le refus de faire leur musique pour des considérations financières a toujours été constant. Cela ne les a pas empêché de se produire dans de nombreux pays dont ceux du Maghreb, au Brésil, au Canada et dans la plupart des pays européens. En France, ils ont fait trois fois l’Olympia, le Zenith, le Bataclan… et ont sillonné les plus grandes villes françaises avec toujours des salles pleines.


Tayeb est à l’origine de « Nuits Sahariennes », un concept qui a fait fureur en région parisienne. Dans ce projet, il voulait faire connaître la musique traditionnelle de Bechar en lui redonnant un nouveau souffle, un retour au sources du « El’hawa, الهوى », mot qui lui tient à cœur, et où les gens se rencontraient dans une ambiance festive, chaleureuse, fraternelle et amicale pour partager ensemble les émotions nées de la musique. Ce projet fut suivi par « Sahara Social Club » qui lui, visait la rencontre entre la musique du Maghreb et la musique du Sahel en particulier Malienne, entre tradition et composition. Il a alors intégré au projet le musicien Moussa Bamba fils de Sory Bamba, le « baobab de la région de Mopti » et créateur de l’orchestre Kanaga. Les deux formules se produisaient souvent à l’Auberge des idées de Villejuif dans une ambiance quasi familiale.


Le plus beau souvenir de Tayeb ? Un concert donné à Alger au théâtre de verdure de Riad El-Feth lors du festival Panaf 2009. Gâada a présenté la, Dhib el ghaba (une composition originale) , puis, Amine, amine, Salamou salamou, Hamouda et l’incontournable Sobhane Allah. Tout y était : l’organisation, le son, les lumières, le temps et surtout la chaleur et la ferveur du public en phase avec le groupe. De tout cela, Tayeb en gardera un souvenir mémorable tout en regrettant que tout soit concentré sur Alger. Pour lui, la réconciliation des algériens entre eux passe nécessairement par leur riche culture et sa diffusion.



 C’est la raison pour laquelle la centralisation des activités culturelles sur Alger, en particulier dans le domaine de la musique est mortelle. L’Algérie ne se limite pas à Alger. La richesse culturelle est partout, dans tout le pays. L’enjeu culturel ne saurait, aussi, se limiter au côté commercial. Dans toute démarche artistique, il y a un état d’esprit qui est celui du partage et le groupe Gâada Diwane Bechar se fond dans cet état d’esprit.


La pandémie qui a reclus les gens chez eux n’a pas eu que des conséquences négatives. Comme tout musicien, Tayeb regrette de ne plus pouvoir se produire sur scène. Ce qui le fait vibrer reste le live permis par la scène et la rencontre du public. Cependant cette pandémie a été l’occasion de s’accorder un moment de répit et de se concentrer sur lui-même. C’est ce qui lui a permis de lancer le projet de son album « Oubour » …Passage.

« Passage d’une culture à une autre, d’un état à un autre, d’un espace culturel à un autre, le passage d’une production de l’artiste à son public » précise-t-il…. Il voulait une création culturelle libre de toute contrainte, favorisée par cette pandémie qui lui a donné un coup d’accélérateur, et satisfaire ses envies. Il a présenté récemment « Sofiya », le premier titre de cet album qui a été reçu avec éclat par le public. Comme son nom l’indique, ce premier titre fait référence à la fois au soufisme et au blues. La Quête de l’esthétique et l’effacement subtil des frontières lors du « passage » du sacré au profane est essentiel dans cette grande tradition . Il y a introduit une des gammes musicales les plus utilisées pour les improvisations : la gamme pentatonique pour les connaisseurs.

L’album tend à retracer les passages dans une vie, d’un état à un autre, d’un lieu à un autre, d’un moment à un autre, il comptera sept autres titres aux univers et thématiques différentes, avec toujours comme objectif de partager l’émotion…

 
Et c’est ému que Tayeb raconte la production de l’immense tube chanté avec Gâada « Denya Mahboula ».


Il a composé la musique de cette chanson chez lui en écrivant juste le refrain…

Denya Mahboula Wa Yée, Ha Yée

Mahboula narii

 Denya Mahboula Wa Yée

 La Wali La Hbib

 Mahboula Wa Yée



 
Puis contacté par une parolière saharienne qui lui a proposé de lui écrire le reste des couplets, Tayeb n’a pas été convaincu par son texte « qui ne passait pas » malgré plusieurs essais. Et c’est en visionnant des bombardements de la horde sioniste sur Ghaza qu’il a fini d’écrire la chanson d’un trait…inspiré par l’horreur et la folie de ces bombardements.


W Galou L’3arbi Hraymi

 F3alou F3al Mahmouma

 Galou El3arbi Fhaymi

 Fkarou Fkar Mahmouma

 Drbouk Derba w Labess a L’Wali

 Segmouna w Chkaw Bina

 Dyrin L’Aman Ya ness

 Ness Khoutna Khad3ouna wa Yée

 L’Meskine Inadi…. Zawali Yée

 Ma 3andou Wali… Zawali Yée

 Yakhdem Wi Kassi…. Zawali Yée

 W Babah Jilali… Zawali Yée

 Yedjrah Wi Dawi…. Ydawi Mahboula

 Narii

 Jayin b qouwa w b qwess a L’Wali

 Jaybin 3chir Yharabna

 Ygoulou Maktoubkoum Ya Ness

 Hada Khir Sa3founa

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