« El misiriya wa tahya El Djazaïr »

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Ghania Mouffok

Encore une fois, c’est la société algérienne qui a donné âme, femmes, hommes, enfants, à ces deux moments importants de ce mois de juillet 2022, en célébrant de manière autonome, organisée, dans une puissance de vie époustouflante, et les soixante ans d’indépendance de notre pays et l’organisation des jeux méditerranéens à Oran.

Renvoyant encore une fois toutes les prétendues élites de notre pays, qu’elles soient de pouvoir, civiles et militaires, ou d’opposition, démocratiques ou islamistes, à leurs inerties mortifères.

Encore une fois, c’est la société algérienne, une société et non pas un peuple uniforme, cette masse indéfinie, sans autre contour pour les élites que de faire pression pour soutenir leurs ambitions sans projet, qui a sauvé notre pays du désert de la passion et de la raison.

De la grande poste aux stades d’Oran, elle s’est saisie de ces deux moments pour les transformer en fêtes énergiques, inépuisables d’imagination, dans la conscience aiguë de la place des corps et de l’esprit nécessaires pour habiter un pays, le vivre et le faire vivre. Occupant tous les espaces publics, les rues, les murs, l’air des chants patriotiques par la seule force du nombre, impossible à faire taire comme à la télévision nationale dont le seul exploit technique en matière de diffusion de ces deux moments de célébration et d’histoire a été de rendre invisible cette société sans laquelle il n’y aurait pas eu fêtes.

Du défilé militaire, sans aucun carré en l’honneur des anciens moudjahid et moudjahidate encore vivant e s et sans peuple en sandales jusqu’à la cérémonie de clôture des jeux méditerranéens.

Aucune image de proximité, aucun gros plan sur les visages des gens, aucun son, aucune voix des tribunes ne doivent être partagées par l’humanité qui regarde cette insuportable violence d’un monde sans voix.

Il n’empêche que l’on ne retiendra que ces voix à l’énergie contagieuse, à la foi sans limite dans sa puissance à se montrer, à se dire, à parler dans la liberté de l’écriture de sa propre histoire indépendante des oukazes au silence et au mépris.

Des voix portées par des milliers de portables qui filment comme des armes à la main. Des mains qui inventent un langage envahissant.

A la Grande poste, le 4 juillet au soir et dans la beauté de la nuit, des milliers de gens se sont réunis pour chanter ensemble l’hymne national rendant à cet air martial, Kassaman, sa vertu d’adhésion populaire à la promesse, aux sacrifices de ce peuple invisible qui habite l’Algérie toujours au rendez vous de son histoire sans calcul, sans espoir d’être rendu puissant, à la gloire gratuite de sa dignité jamais écrasée en dépit des moyens mis en oeuvre pour la détruire, la réduire.

Célébrant l’indépendance sans aucun marchandage et dans le bonheur réparateur d’êtres ensembles liés par le désir d’être fiers de notre histoire, sans l’aigreur des pleurnicheurs du « tout ça pour ça ».

Célébrant la fin du colonialisme et l’ouverture d’un nouveau continent l’Algérie : un pays sans colon, bouté du territoire au prix d’une violence inouïe aussi longue que 132 ans.

En Kabylie, dans le village de mon ami Chaâbane, les femmes se sont habillées comme des reines et dans les rues du village elles ont chanté a capella et jusqu’au ciel le prix de cette libération, vidéos pour témoigner.

Comment ne pas comparer cette culture du désir, du sens de l’histoire, cette culture vivante avec cette pathétique cérémonie de clôture des jeux méditerranéens qui a banni l’énergie dans la capitale du raï et que le respect pour les malheureux chanteurs convoqués à mimer la contre fête me retient de décrire.

Un exploit qui dit le gouffre entre ceux qui nous gouvernent dans la peur de leur fin et ceux qui sont gouvernés dans la conviction qu’ils sont les héritiers du mythe de Sisyphe, remontant sans arrêt le rocher jusqu’au haut de la montagne, juste le temps de se poser pour embrasser le monde avant de redescendre et de recommencer à porter ce misérable rocher jusqu’aux cimes. Merci à toutes ces algériennes, à tous ces algériens de ne pas céder à la ruine du désenchantement, et d’inventer à chaque fois ces chants humains et d’espoir, des chants de résistances, merci de nous redonner à chaque fois un visage au front libérateur, la promesse d’un possible. Dans la fête des stades, bannis de nos écrans « publics », des gens dansent et chantent : El misiriya wa tahya El Djazaïr.

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