INTERVIEW : LE PROFESSEUR SAID CHIBANE ÉCLAIRE NOTRE LANTERNE

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Interview : Le Professeur Said Chibane éclaire notre lanterne

Arslan ALLOUACHE
https://remedmagazine.blogspot.com/
mai 26, 2018

Biographie

Le Pr Said Chibane est né à Chorfa (Bouira), en 1925, d’une famille d’agriculteurs au pied du Djurdjura. Il fait ses premiers pas à la mosquée de Chorfa, puis fréquente l’école primaire pour indigènes de Ouled Brahim où il obtient son certificat d’études primaires. Il rejoint ensuite le lycée de Benaknoun (Alger) où, après des études perturbées par les évènements du 8 Mai 1945, il obtient le Baccalauréat en 1946. Il se dirige ensuite vers la Faculté de médecine d’Alger où il sera pris par les activités du PPA. Il part ensuite terminer ses études au sein de la Faculté de médecine de Strasbourg. C’est alors qu’il représenta la jeunesse Algérienne au cours du 1er congrès des étudiants arabes à Paris. Il obtient son diplôme d’ophtalmologue en 1959 après avoir soutenu une thèse sur la biochimie du cristallin ; thèse qui sera retardée par la grève générale des étudiants. À son retour en Algérie en Mai 1962, il sera envoyé vers l’hôpital de Tizi-ouzou où il drainera pratiquement seul la consultation en ophtalmologie de toute la kabylie. En 1974, il sera nommé chef de service d’ophtalmologie à l’hôpital Mustapha, poste qu’il occupera jusqu’en 1993. En outre, il a occupé plusieurs postes dont président du secours national Algérien, ministre des affaires religieuses, et membre de la commission arabe chargée par l’OMS de l’élaboration du dictionnaire arabe unifié qui a eu pour but d’unifier la nomenclature arabe des termes médicaux.

Qu’est-ce qui vous a amené à pratiquer la médecine ?

Je me suis orienté vers la médecine au moment où je finissais mes études secondaires. Les Algériens munis d’un baccalauréat scientifique s’orientaient principalement vers les sciences médicales car l’accès à l’école polytechnique requérait la nationalité française. D’autre part, on souffrait en Algérie d’un grand manque de médecins et je voulais donc pallier à ce besoin.

Selon vous, quel est le lien entre spiritualité et médecine ? Sont-elles vraiment indissociables ?

Objectivement, la santé est définie par l’OMS comme un état de bien-être mental, physique et social. Et la spiritualité fait partie intégrante de l’humanité. Notre humanité n’est donc pas uniquement faite de ce que nous pouvons ressentir mais également ce à quoi nous pouvons tendre. Et la médecine, lorsqu’elle traite de phénomènes psychosomatiques, intègre dans le psyché ce que les spiritualistes et religieux intègrent.

Vous qui avez longtemps prôné une redécouverte de notre patrimoine culturel et scientifique, pensez-vous que la médecine moderne puisse profiter d’une médecine traditionnelle rendue désuète par les avancées scientifiques ?

La médecine traditionnelle, qui est une médecine transmise par les générations en dehors de l’enseignement, est d’une part basée sur des observations et des expériences personnelles, d’autre part, sa transmission s’est faite sur la base du symptôme. Il est donc très difficile de ne pas souligner la différence fondamentale entre l’appellation de la maladie et du symptôme. Quand on dit qu’un produit est valable pour tel symptôme, il faudrait d’abord connaı̂tre la maladie qui l’a causée. Mais indéniablement, cette médecine a permis de répondre à un certain besoin et de soulager certaines faiblesses de son époque. Cependant elle ne sera valorisée que dans la mesure où les observations et expériences sont reprises en main par les scientifiques. Par ailleurs, beaucoup d’anticancéreux, antipaludéens et plusieurs substances actives ont été découvertes par suite d’observations faites sur la base de la médecine traditionnelle sur le plan international. Néanmoins, la toxicité et l’utilité de la plante doit d’abord être revue. Et c’est dans cette optique que certaines publications de l’OMS ont lieu. Par exemple, le chardon à glu est une plante ayant des effets nocifs pour le foie et cause une hépatolyse.

Vous nous avez dit que vous avez contribué à l’élaboration du premier dictionnaire médical arabe unifié. Pensez-vous qu’il reste encore une place pour la langue arabe dans les études médicales ?

Bien sûr qu’il reste de la place. En Syrie, par exemple, la médecine est enseignée en arabe depuis 1919 de façon complète dans toutes ses spécialités sans aucun problème. Lorsque les pays arabes étaient sous domination ottomane, la médecine dans le monde arabe se faisait en turque alors que la terminologie était essentiellement arabe. C’est donc après dislocation de l’empire ottoman que l’enseignement de toutes les sciences a été changé vers l’arabe. En 1987 a été fondé l’organisme interarabe de formation en spécialité médicale, j’ai fait partie de l’institution qui l’a créée au Koweı̈t. Cette institution formait des spécialistes en leur donnant le choix entre les 3 langues : arabe, français et anglais. Et ceci continue de se faire jusqu’à aujourd’hui. Le problème de l’enseignement n’a donc pas lieu d’être. Et c’est pour cela que nous avons travaillé sur un dictionnaire pour unifier la terminologie arabe. Ici en Algérie, en 1987, le ministère de l’enseignement supérieur a formé une commission nationale pour arabiser toutes les sciences en 10 ans. Je fus président d’une des 3 commissions secondaires, en particulier la commission de programmation et de planification qui devait préparer les universités algériennes à l’arabisation avant 1997. Mais ce programme a été avorté pour raisons inconnues.

Vous qui avez longtemps exercé au sein de notre système de santé, quel constat dresseriez-vous de son état actuel ? Et quels conseils donneriez-vous aux générations futures visant à son amélioration ?

Je ne peux pas dresser un constat car je n’ai pas de vision globale. Mais ce que je ressens, ce que je vois, c’est qu’il y a un développement considérable du secteur privé et une stagnation et incomplétude du système publique. On constate que les besoins médicaux s’adressant au secteur publique sont adressés au secteur privé. Le public devrait viser les tranches de la société un peu plus démunies, mais on constate que certains examens et opérations chirurgicales sont orientés vers le secteur privé malgré leur coût excessif, souvent à l’instigation des médecins dans les hôpitaux. Autre point : il est inacceptable que certains produits et médicaments indispensables ne soient pas produits localement. La recherche devrait être orientée vers l’autosuffisance qui seule pourra garantir la stabilité.

Je constate également que l’économie de santé est pratiquement absente dans les pratiques dont j’ai eu à constater les expressions ; que ce soit dans la demande des examens complémentaires ou dans la rédaction des ordonnances. Et étant donné que la santé n’a pas de prix mais que la maladie a un coût, il faut réduire au maximum ces dépenses.

Quelles sont selon vous les règles de base d’une bonne pédagogie ?

D’abord, la bonne assimilation du locuteur. C’est-à-dire que l’enseignant connaisse d’abord les moyens et outils efficaces de l’enseignement. Il faut convenir que l’étudiant algérien, lors de son arrivée à l’université, a une formation plutôt livresque et théorique aux dépends de la pratique, ce qui induit une faiblesse dans l’aptitude à assimiler ce qui va lui être inculqué par la suite. D’autre part, l’efficacité de la pédagogie médicale est liée à la base sur laquelle elle va agir, et cette base ne peut être améliorée que par le développement de la culture scientifique de base. Et pour ce qui est de la pédagogie concrètement, on dit que la meilleure manière d’assimiler un livre est d’abord de commencer à l’écrire. L’étudiant doit alors connaı̂tre la signification exacte de chaque terme qu’il apprend au lieu de l’emmagasiner.

Pourriez-vous citer 5 livres incontournables que l’étudiant en médecine se doit de lire ?

Cicéron avait dit : « il nous faut étudier que les meilleurs spécimens d’ouvrages »… Les ouvrages changent d’époque en époque, et de matière à une autre. Il nous est donc impossible de donner les titres d’ouvrages qui seront des valeurs permanentes. Néanmoins, je pourrais citer certains livres comme “le diagnostic urgent des abdomens aigus” Henry Mondor, ou encore “6 leçons d’introduction à la médecine” du Pr. Péquiniaud.

Un dernier mot pour nos lecteurs…

Je pense que l’étudiant en médecine peut être guidé dans sa recherche du savoir pour être plus compétent, pour agir en toute conscience, que le premier principe de l’acte médicale est d’abord de ne pas nuire. Selon l’adage latin primum non nocere. Autre point, c’est d’être efficace avec conscience et compétence afin de mériter et maintenir la confiance du malade. Car comme disait le 1er président de l’ordre des médecins français : la médecine est une harmonie entre les 3 C ; une confiance qui s’oriente vers une compétence dans une conscience.

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