Le dégel des relations entre Rabat et Paris pourrait déboucher sur une visite du président Emmanuel Macron au Maroc. Ce réchauffement se produit alors que les rapports franco-algériens sont dans l’impasse et que plusieurs forces politiques françaises de l’opposition poussent en faveur d’un rapprochement avec le Maroc.
KHADIJA MOHSEN-FINAN > 22 MARS 2024
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Photo Rabat le 26 février 2024. Le ministre marocain des affaires étrangères Nasser Bourita (à droite) salue son homologue français Stéphane Séjourné lors d’une réunion. Fadel SENNA/AFP
Pour son premier déplacement officiel au Maghreb, Stéphane Séjourné s’est rendu au Maroc le 25 février. Le ministre des affaires étrangères français a pris soin de préciser sur son compte X (ex-Twitter) qu’il avait été mandaté par Emmanuel Macron pour « ouvrir un nouveau chapitre » dans les relations entre les deux pays. Il s’agit clairement d’une volonté de clore une série de crises qui ont commencé en décembre 2020 avec l’annonce par Donald Trump de la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, en contrepartie de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël. Pour Rabat, la France, allié inconditionnel et soutien constant, se devait d’emboiter le pas à Washington. Pourtant, cet alignement sur la position américaine ne s’est pas fait.
TURBULENCES SUR LA LIGNE
La relation se tend un peu plus en septembre 2021, lorsque Paris décide de réduire de moitié l’octroi des visas aux Marocains, alors qu’au même moment Emmanuel Macron décide de se rapprocher de l’Algérie. En témoigne la visite « officielle et d’amitié » effectuée par le président français accompagné par une bonne partie de son gouvernement en août 2022, et la signature d’une déclaration commune appelant à « une nouvelle dynamique irréversible ».
La France a alors quelques raisons de se distancier du Maroc. Elle n’a guère apprécié les révélations du consortium de médias Forbidden Stories, selon lesquelles de nombreux téléphones – dont celui du chef de l’État et de certains de ses ministres – avaient été ciblés grâce au logiciel israélien Pegasus. Rabat dément, mais la confiance est entamée.
En janvier 2023, les hostilités montent d’un cran lorsque le Parlement européen vote une résolution condamnant la dégradation de la liberté de la presse au Maroc, et l’utilisation abusive d’allégations d’agressions sexuelles comme moyen de dissuader les journalistes. La résolution affirme par ailleurs la préoccupation de l’institution européenne quant à l’implication supposée du Maroc dans le scandale de corruption en son sein.
LE VOTE DU PARLEMENT EUROPÉEN
Le Maroc réagit vivement à cette mise en cause. D’autant plus qu’il considère que ce vote participe d’une campagne anti marocaine à Bruxelles, portée par les eurodéputés français du groupe Renaissance (Renew Europe) et notamment par Stéphane Séjourné, alors chef de ce groupe. Rabat ne décolère pas et le plaidoyer de l’ambassadeur de France au Maroc Christophe Lecourtier, selon lequel « cette résolution n’engage aucunement la France »1 n’y changera rien. Pas plus que le mea culpa de la France, exprimé par ce même ambassadeur sur la décision de son pays de réduire les visas.
Malgré cette tension extrême et la mise en accusation du président Macron dans la presse marocaine proche du régime, le chef de l’État français n’a de cesse durant toute l’année 2023 d’afficher sa volonté de dépasser cette séquence faite de tensions, de crises et d’hostilités. Il sait que la politique maghrébine de la France ne peut laisser s’installer durablement un contentieux avec l’un ou l’autre des États du Maghreb. La proximité géographique, l’histoire coloniale et une communauté importante de Maghrébins installée en France imposent des relations apaisées, sans compter les échanges économiques, commerciaux et stratégiques.
Les deux classes politiques semblent alors opter pour une détente que l’on peut lire dans la reprise de la coopération. Mais le séisme qui frappe la région du Haouz dans le Haut-Atlas le 8 septembre 2023 montre que toutes les relations extérieures du Maroc sont désormais fondées sur la question du Sahara occidental. En ne répondant pas à l’offre d’aide française, alors que celles de l’Espagne, du Royaume-Uni, des Émirats arabes unis et du Qatar étaient acceptées, le Maroc signifie à la France qu’elle ne compte désormais plus parmi les pays amis.
Le 12 septembre 2023, Emmanuel Macron décide de s’adresser directement aux Marocains et aux Marocaines. Dans une vidéo postée sur X, il rappelle la disposition de la France, affirmant qu’il appartient à « Sa Majesté le roi, et au gouvernement du Maroc, de manière pleinement souveraine, d’organiser l’aide ». L’initiative est très mal reçue au Maroc, où on a le sentiment que le chef de l’État français a délibérément voulu agir dans le contournement du roi. La détente qui paraissait s’instaurer laisse place à une nouvelle séquence de crispation.
LA QUESTION TOUJOURS EN SUSPENS DU SAHARA OCCIDENTAL
Emmanuel Macron sait que Rabat attend une reconnaissance claire de la marocanité du Sahara de la part de la France, et que cette reconnaissance conditionne la relation entre les deux pays. Le roi l’a bien précisé en août 2022. C’est « le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international, et l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats que le royaume établit »2 .
L’inflexion de la France sur ce dossier s’exprime clairement le 2 novembre 2023, lorsque Nicolas de la Rivière, le représentant permanent de la France auprès des Nations unies déclare, lors d’une réunion du Conseil de sécurité : « Je me souviens du soutien historique, clair et constant de la France au plan d’autonomie marocain. Ce plan est sur la table depuis 2007. Le moment est venu d’aller de l’avant »3.
La mission confiée à Stéphane Séjourné durant ce voyage n’est pas facile. Il s’agit à la fois de prendre contact avec son homologue Nasser Bourita qu’il n’a jamais rencontré, de rétablir les liens entre les deux pays, et surtout de donner des gages aux Marocains sur le Sahara occidental. Séjourné sait qu’il est très attendu sur ce dossier et a d’ailleurs pris les devants en précisant que « c’est un enjeu existentiel pour le Maroc et pour les Marocains, la France le sait »4.
UN SOUTIEN AU PLAN D’AUTONOMIE
Pour autant, malgré l’attente, le ministre ne peut faire de déclaration majeure sur ce dossier combien délicat. L’enjeu est tel qu’il appartient au seul chef de l’État, dont la diplomatie est le domaine réservé, de l’exprimer, dans le cadre solennel de la visite d’État prévue d’ici l’été. Stéphane Séjourné réaffirme néanmoins que la « France veut une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité ». Paris qui a été le premier à avoir soutenu le plan d’autonomie de 2007, « souhaite avancer en vue d’une solution pragmatique, réaliste, durable et fondée sur le compromis ». Par ces propos, le chef du Quai d’Orsay montre, que tout en voulant aller de l’avant, son pays souhaite ménager sa relation avec l’Algérie, sans néanmoins opter pour l’autodétermination voulue par le Front Polisario et Alger. Ce faisant, la France ne rompt pas avec ses choix précédents. Elle est d’ailleurs déjà présente au Sahara occidental, Stéphane Séjourné le dit, en mentionnant l’existence de deux écoles françaises à Laâyoune et à Dakhla, en plus d’un centre culturel itinérant dans les villes de Laâyoune, Dakhla et Boujdour, qui sont les principales villes du Sahara. Une reconnaissance de facto par la France de la marocanité de ce territoire sur lequel l’ONU n’a pas statué.
Mais la France ne se contente pas de cette présence dans les domaines de l’éducation et de la culture. Le ministre précise que Paris entend investir au sein de cette région, dans différents domaines, que ce soient les énergies renouvelables, le tourisme, ou encore l’économie bleue liée aux ressources aquatiques. Pourtant, Séjourné reste prudent. Il sait que l’exploitation et la commercialisation des ressources de ce territoire, qui reste « non autonome » pour les Nations unies, peuvent faire l’objet d’une nouvelle plainte de la part du Front Polisario auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Aussi prend-il le soin de préciser que ces investissements se feront « au bénéfice des populations locales ».
Ces investissements annoncés s’intégreront dans un partenariat qualifié par le ministre « d’avant-garde »5, et qui s’étendra sur les 30 années à venir. Une page est bien tournée, la France n’évoque plus le passé pour parler du Sahara occidental. Elle se tourne vers l’avenir en assumant un projet qui pourrait ressembler à une anticipation par la France de l’intégration du Sahara occidental au Maroc.
Difficile de ne pas voir dans cette nouvelle posture française les conséquences d’une déception à la suite du rapprochement qu’avait effectué Emmanuel Macron avec l’Algérie post Hirak. En 2022, dans le contexte de la guerre en Ukraine, l’Algérie devient très courtisée pour son gaz. La France, dont seuls 11 % du gaz consommé vient d’Algérie, surestime alors peut-être la capacité de ce pays à fournir du gaz aux pays européens. Or, faute d’investissements, les capacités d’exportation algériennes en gaz ne pourront dépasser les quantités fournies aujourd’hui, qui correspondent à 5 % du gaz dont a besoin l’Europe.
Sur le plan régional, l’Algérie dont on a pu vanter le retour en force en 2022, est en perte de vitesse au Sahel. Au Mali, la junte au pouvoir a mis un terme à l’accord d’Alger sur la paix et la réconciliation signé en 2015. La France, qui croyait pouvoir s’appuyer sur l’Algérie après le retrait de ses troupes au Sahel, constate que cette perte d’influence au Mali mais aussi au Niger profite au Maroc, qui entend bien l’exploiter. Le 23 décembre 2023, le Maroc reçoit à Marrakech quatre pays du Sahel, et leur offre un accès à l’Atlantique à travers Dakhla. Il est probable que ce projet coûteux, et quelque peu inutile, ne puisse pas voir le jour, même si la proximité entre ces pays et le Maroc est avérée.
LA VISITE ANNONCÉE DU PRÉSIDENT TEBBOUNE
Annoncé pour l’automne prochain, le voyage qu’effectuera le président Abdelmadjid Tebboune en France a longtemps été conditionné par des dossiers qui continuent de peser sur la relation entre les deux pays, telles que les questions mémorielles, la coopération économique, les essais nucléaires dans le Sahara algérien, ou la restitution de l’épée et du burnous de l’émir Abd El-Kader.
Le rapport du député Frédéric Petit6 portant sur les relations entre la France et l’Algérie, montre que rien n’est simple dans la relation entre les deux pays. Il mentionne notamment que « la coopération entre les deux États reste hypothéquée par une hostilité à la France », perceptible par exemple dans la tendance à réduire le français à la langue du colonisateur. Sur le plan économique, le rapport pointe également les difficultés à coopérer, puisque les entreprises françaises travaillant en Algérie se heurtent aux contraintes du contrôle des changes, ce qui n’est pas nouveau.
Ces difficultés ont probablement conduit Emmanuel Macron à s’engager dans l’écriture d’un nouveau chapitre des relations avec le Maroc, en reconsidérant le dossier du Sahara occidental. Les dirigeants de Renaissance constatent que, à droite comme à gauche, il y a une disposition à emboîter le pas aux États-Unis dans la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental. En déplacement au Maroc, en mai 2023, Éric Ciotti et Rachida Dati – qui était encore membre du parti les Républicains, et pas encore ministre de la culture -, déclarent : « Nous reconnaissons la souveraineté du Maroc sur le Sahara », tout en exprimant leur étonnement à l’égard du « tropisme algérien d’Emmanuel Macron »7. Après le séisme, en octobre 2023, Jean-Luc Mélenchon en voyage au Maroc dément8 toute proximité de La France insoumise (LFI) avec d’autres forces que les partis politiques. Il semble exclure tout contact avec le Polisario, tout en affirmant que la prise de position de l’Espagne, des États-Unis et d’Israël – à savoir leur reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara – « a modifié le regard que le monde porte sur cette question » et qu’il souhaite que « la France le comprenne ».
Il est probable que le président Macron rejoigne ces positions. Néanmoins pour lui, il ne s’agit pas de suivre l’exemple américain, mais bien d’aller de l’avant dans l’appui de son pays au Maroc. Une manière de rester fidèle aux choix diplomatiques de la France, tout en étant, une fois de plus, le « maître des horloges ».
Politologue, enseignante (université de Paris 1) et chercheuse associée au laboratoire Sirice (Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe). Dernières publications : Tunisie, L’apprentissage de la démocratie 2011-2021 (Nouveau Monde, 2021), et (avec Pierre Vermeren), Dissidents du Maghreb(Belin, 2018). Membre de la rédaction d’Orient XXI.
est ce vous comparer ces ministres de nos temps avec l ex temps quand il y avait pas de guerre! je parle de roland Dumas par exemle, meme devellepin..le monde a changé…