La Lucarne de service ou les chaines enchainées

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ENTV   « Il n y a point d’assujettissement si parfait que celui qui donne l’impression de liberté » : J.J. Rousseau (Emile)

                   « Si on ne croit pas à la liberté d’expression pour les gens qu’on méprise, on n’y croit pas du tout » : Noam Chomsky

Les Martyrs doivent se retourner dans leurs tombes de savoir qu’au 21 du Boulevard dédié à leur mémoire, sur les hauteurs d’Alger, est érigé un sanctuaire d’une si effrayante singularité. De là où ils sont, nos « Chouhada » ne peuvent que maudire une toponymie effrontée qui a eu l’indécente audace d’associer leur nom à une Entreprise dont la vocation, détournée, s’est avérée être à l’opposé des idéaux  de leur combat libérateur et de leur suprême sacrifice. Une espèce  de caisse de résonnance, chargée de transmettre par les ondes, aux quatre coins du pays et au-delà, dans tous les foyers et tous les jours, la parole et les actes de ceux  que la providence  a accepté qu’ils s’installent là-haut, « sur la cime du sommet », pour dicter à un peuple aigri les saveurs d’un bonheur concocté. Une entité fourbe et soumise,  qui a fait de l’image et du son des instruments de mystification dignes de figurer dans la panoplie des plus grands prestidigitateurs. L’Unique comme aime à la surnommer une certaine  presse, trône sur un promontoire d’où elle domine la baie d’Alger en s’offrant un droit de regard  panoramique sur la ville et ses environs. Une vue à  la hauteur de son statut et de son rôle au sein de l’establishment. Une place si stratégique qu’elle est, avec la mamelle « Hassi Messaoud », au centre de toutes les  cajoleries. Toujours aux petits soins, objet d’une vigilance si soutenue qu’il a suffi d’un simple incident, un incendie accidentel, pour faire courir à son chevet tout ce qu’Alger compte parmi ceux qui comptent. Diable ! Tous savent qu’avec elle on est tout et que sans elle on est rien. Fort heureusement pour eux, il n’y eut jamais que des brindilles  et les brulures au premier degré furent toujours sans conséquence si non de sacrées frayeurs pour le personnel et les pompiers. Il faut croire que le mensonge et la démagogie ont la vie dure et la faculté de résister à tout, y compris aux flammes. Ils récupèrent toujours leur droit d’antenne en s’insérant de plus belle dans les programmes, comme pour narguer le sort.

La liberté d’expression est à la lucane ce que l’aiguille est à l’horloge. Sans elle, le mécanisme peut indéfiniment fonctionner mais il n’est d’aucune utilité. A défaut de cadran indicateur chacun devra gérer son temps en interrogeant les astres, lorsque  le ciel le permet. Dans un sens, la floraison d’antennes paraboliques et leur orientation vers la voute céleste répond au même souci et renseigne, par la même, non seulement sur le désintérêt voire le mépris qu’ont les citoyens de la «  lucarne Nationale », mais également sur leur besoin de se décontaminer en s’ouvrant sur un autre monde. S’il y a un indicateur que les autorités officielles se garderons à jamais de connaitre, c’est bien celui de l’audimat. Et pour cause ! Il leur renverrait tel un miroir, l’image d’un public indifférent à leur simagrée, abonné à tous les programmes « made in là-bas »,  y compris la météo. Quelques  cancres se poseront toujours la question de savoir pourquoi diable une horloge devrait continuer à exister si elle n’a point d’aiguilles ? Pour la décoration et le Tic-Tac répondront les plus malins. Deux ingrédients indispensables pour manifester une présence et occuper un espace. Peu importe ce qui est fait de l’espace, l’essentiel étant d’empêcher quiconque de se l’approprier. Quant au Tic-Tac, sa vocation est d’intimer le tempo à la chorale de service et, par son tintamarre,  d’interdire à toute autre voix d’être audible. C’est donc en cela que L’Unique puise l’énergie pour remonter inlassablement un mécanisme d’une horloge à priori défectueuse mais combien efficace pour brouiller tous les repères : le temps, l’espace et même la vitesse de la lumière.

Le « Direct », voilà l’ennemi mortel de tous les médias confisqués. Le vocable lui-même a une connotation qui incite à la prudence et nombre de boxeurs sont allés au tapis pour ne pas avoir su maitriser l’art de l’esquive. Quelques soient les précautions dont on s’entoure, les dérapages ne sont jamais exclus. Au nombre : celui d’un trublion en casquette et tee short de marin est resté célèbre dans les annales. Il a suffi qu’il chante l’amalgame entre une panse et une poubelle lors d’une émission de divertissement pour que l’animateur humât l’odeur du KO,  avant même que l’arbitre n’aille au décompte. Il est vrai que pour ce qui est des effluves : en « mesq ellil » c’est la profusion. Forte de cette expérience et de toutes les autres,  l’Unique, a patiemment bâti  une forteresse imprenable,  un lieu hermétique duquel seul le « Différé »  parvient à s’extraire par quelques meurtrières savamment aménagées. A l’exception des films qui ont réussi l’examen de passage, de quelques événements sportifs et de l’appel à la prière « l’Adan » (toujours la même cassette préenregistrée), l’essentiel de ce qui reste est toujours emballé sans référence quant à la date de fabrication ni de péremption. Décongelé ou réchauffé, les convives doivent s’en tenir au menu de la veille ou de l’avant-veille, sans considération ni respect pour leurs entrailles. Ruminer  de l’insipide jusqu’au mérycisme, voilà le sort envieux du téléspectateur model.

Verrouiller le menu, cuisiner  le même salmigondis à longueur d’année ne suffit pas, il faut en plus s’arranger pour qu’aucun autre cuisinier n’ait voie au chapitre. A défaut d’empêcher tout un peuple de s’alimenter à partir « d’assiettes » paraboliques– c’est la capacité qui en a fait défaut pas l’envie–, l’Unique  n’a rien trouvé de mieux, sous le prétexte fallacieux de protéger le service public, que de lui interdire  l’accès à ses propres fourneaux. Réaction de naufragé  nageant à contre-courant ou défiance à l’égard d’un monde qui avance dans une direction opposée à la sienne ? Peu importe ! Quelle que soit la raison, quelles que soient les motivations, dans tous les cas  il ne peut que s’agir d’un combat d’arrière-garde, sans  conséquence sur la marche de l’histoire et ce n’est pas la création clef en main et dans la précipitation, d’une kyrielle  de chaines enchainées, qui changera quoi que ce soit à un paysage audio-visuel ringard et contre-productif. A  à voir à quelle vitesse évolue le monde en général et celui de la presse en particulier, L’Unique serait bien inspirée de méditer sur ce qui arriva à celui qui voulut un jour cacher le soleil avec un tamis ; Il le fit si bien en le maintenant au-dessus de sa tête qu’il succomba à une  insolation fatale.

Kebdi Rabah

 

 

 

 

4 Commentaires

  1. Bonjour,

    Par Mustapha Hammouche aujourd’hui sur liberté.

    En tuant dans l’œuf l’affaire Sonatrach 2, le pouvoir inaugurait une nouvelle stratégie en matière de corruption. Une stratégie de lutte contre… l’information sur la corruption.
    Celle-ci comporte deux volets tactiques : un mode d’action passif, si l’on peut dire, consistant à faire comme si les scandales impliquant les notables du régime n’existaient pas, c’est-à-dire à ne rien faire et ne rien dire ; et un mode d’action offensif consistant à contraindre par la répression et la menace tous les médias et toutes les voix qui dénoncent ce pillage.
    Le premier pan de la démarche ne pose pas de problème de mise en œuvre : toutes les institutions de la “République” sont accommodées pour ne rien initier qui ne soit à l’avantage politique de l’autorité ultime. La manière dont la procédure concernant l’affaire Sonatrach-Saipem a été suspendue sans que soit mise la moindre forme légale, illustre ce rapport impérieux que le pouvoir effectif impose aux institutions. Le DRS, dernier établissement à contrarier cet état de résignation généralisée en cultivant l’initiative d’investigation, a été, comme on dit, démantelé.
    L’autre élément tactique, celui qui vise à réprimer l’expression traitant de la corruption et sa dénonciation, n’est pas d’une application facile. Des poches de résistance morale difficiles à étouffer subsistent dans la société : parmi les forces d’opposition, dans la société civile, dans une partie de la presse, dans la jeunesse “connectée”…
    Certes, l’autoritarisme régnant, un mélange d’autocratie tiers-mondiste et d’oligarchie de rapine, joue sur du velours devant une société gagnée par l’égoïsme incivique, le renoncement fataliste et le sentiment d’impuissance méthodiquement instillé en elle. Ce n’est pas demain que la faillite et la décomposition morale qui guettent le pays, viendront perturber notre petit confort d’écornifleurs. Dont la fibre nationaliste n’est avivée que par l’enjeu d’un match de football. Et plus on grimpe dans la hiérarchie sociale, politique ou institutionnelle, plus on se croit mieux servi dans ce système de débrouille de jungle que dans un système régi par des règles socioéconomiques et morales rigoureuses. Il n’y a qu’un hic pour troubler cet état de félicité qui unit l’élite et la plèbe, le sommet et la base : c’est la volatilité du marché des hydrocarbures. Ces derniers temps, elle n’en finit pas de menacer une “stabilité”, une stabilité précaire, mais qui arrange bien du monde.
    Mais, comme c’est cet arrangement de chipoteurs qui soutient notre cohésion de rentiers, cette stabilité volera en éclats aux premiers défauts de paiement. Car ce qu’on attend de l’État est qu’il paie et qu’il ferme les yeux sur nos informelles petites affaires comme on ferme les yeux sur ses opaques grandes affaires.
    À entretenir ainsi la corruption, le pouvoir entretient le principal ingrédient du chaos à venir..

  2. Ya Si Rabah Explique moi une chose : Pourquoi les studios de la présentation des TV du Monde entier sont bien garni est beau sauf le nôtre? qu’est ce qui se passe…ils ont volés tous l’argent n’arrive même pas a relouker leur studio??????!!!

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