«Ce qui s’est passé à Béjaïa est la conséquence de la régulation par la violence»

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497 Louisa Aït Hamadouche. Politologue

«Ce qui s’est passé à Béjaïa est la conséquence de la régulation par la violence»

Taille du texte normaleAgrandir la taille du texteEl Watan le 04.01.17 

 Louisa Aït Hamadouche – Des manifestations violentes ont été enregistrées à Béjaïa avec leur lot de dégâts matériels. Que signifient ces violences ? Assiste-t-on à un début de soulèvement populaire violent ou s’agit-il d’un simple dérapage d’une manifestation mal encadrée ?

Je crois qu’il s’agit plutôt d’une conséquence logique d’un système de gouvernance fondé sur la régulation par la violence, la banalisation et parfois la glorification de celle-ci. En effet, quand vous avez des acteurs médiateurs (associations, partis politiques…) affaiblis, un système éducatif qui inhibe la réflexion autonome et le dialogue, un gouvernement qui ne cède que sous la pression de la rue, il ne faut pas s’attendre à des manifestations guidées par le civisme et l’intérêt général.

Les sociologues ont maintes fois tiré la sonnette d’alarme, mais seuls les discours d’autosatisfaction semblent être entendus. Ce qui est arrivé à Bejaïa n’est ni un phénomène nouveau, ni le début d’un nouveau chapitre, mais la énième expression logique — et dangereuse — d’un système de gouvernance qui a choisi d’exclure la négociation politique au profit de la cooptation clientéliste et de la gestion sécuritaire.

– L’année 2017 commence avec beaucoup de craintes et d’incertitudes. Quelle appréciation faites-vous de la situation politique du pays ?

N’est-ce pas Albert Einstein qui disait que la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ? Les craintes et les incertitudes viennent du fait que d’une part, on maintient le statu quo politique et que, d’autre part, on espère des changements en termes d’efficience économique, énergétique, dans la recherche, la culture, l’éducation, le sport, etc.

L’Algérie est bloquée dans un système hybride et dual, où l’ancien et le nouveau sont soit en situation de confrontation potentiellement violente, soit en rapport de complicité encore plus dangereuse. Nous avons une société trentenaire et une classe politique septuagénaire, un chômage grandissant et une main-d’œuvre étrangère croissante, des difficultés financières et une corruption protégée, un système éducatif dégradé et des vacances scolaires prolongées…

Ces contradictions sont le résultat logique de politiques qui, tout en prétendant apporter des changements, sont fondamentalement garantes du maintien du statu quo. Or, ce statu quo est installé sur un équilibre fragile entre, d’un côté, l’instabilité dont sa nature crisogène est naturellement porteuse et, de l’autre, la peur d’une régression non féconde. Le risque est que ces deux tendances potentiellement violentes cessent de s’annuler mutuellement pour converger vers deux fois plus de violence encore.

– La majorité des partis semble emballée par les prochaines élections législatives. Pourquoi ? Que signifie leur participation ?

«Emballé» est un qualificatif que j’utiliserais pour les partis qui se définissent comme issus de l’allégeance. Pour le FLN, le RND et leurs alliés de la périphérie, les élections sont importantes pour consolider des situations de rente ou en créer de nouvelles. Elles constituent aussi un défi à relever, car la demande est de plus en plus forte et les places sur les listes électorales de plus en plus chères.

Les deux partis dominants sont «emballés», car les élections qui sont un test concernent moins leur popularité et leur ancrage social que leur degré de proximité vis-à-vis des centres décisionnels. Plus ils obtiendront (et non gagneront) de sièges, plus proches ils se sentiront des cercles décisionnels et plus grand, pensent-ils, sera leur rôle dans le scrutin auquel tout le monde pense, à savoir la présidentielle.

Quant aux partis de l’opposition, je ne les sens pas «emballés». D’ailleurs, l’analyse de leurs discours sur les élections, la loi électorale et les conditions politico-administratives ainsi que le bilan qu’ils dressent de la septième législature devraient aboutir à une seule conclusion : le boycott des élections. En d’autres termes, si les partis d’opposition étaient cohérents avec eux-mêmes, ils ne participeraient pas aux élections. Or, comme vous le suggérez dans votre question, la majorité des partis de l’opposition ont annoncé leur participation. C’est le grand paradoxe ! Cette participation massive et inconditionnelle contribuera à légitimer un scrutin dont ils doutent déjà de sa transparence…

– La nouvelle loi électorale n’y est-elle pas pour quelque chose ?

Hors contexte, la loi électorale vise à donner plus de contenu à la notion de représentativité et de participation politiques. Les conditions énoncées doivent aboutir à une classe partisane dans laquelle ne peuvent survivent que les partis qui ont effectivement une base sociale. Une sorte de sélection naturelle se met en place.

Or, cette analyse n’est juste que si ces conditions sont appliquées de façon impartiale, par une administration neutre, pour aboutir à des élections totalement transparentes. Donc, placée dans son contexte, cette loi perd son sens philosophique pour ne garder que son sens politicien, à savoir conforter les grands partis et leurs alliés conjoncturelsnet entraver les partis  qui se réclament de l’opposition.

– La question de la transparence ne semble donc plus déterminante pour l’opposition, qui accepte d’aller à ces élections tout en dénonçant d’ores et déjà une fraude programmée…

La question de la transparence de l’élection ne peut qu’être déterminante. Je crois plutôt que les partis ont analysé les deux options, participation et boycott, ont pesé le pour et le contre de chacune d’elles et conclu que la participation était la moins pire des solutions pour eux à court terme. En fait, la non-participation aux législatives ne peut être une option politique efficace que si elle est menée de façon collective.

Rappelez-vous l’impact du front du boycott en 2014. Or, les partis algériens agissent en rangs dispersés, obéissent à des objectifs court-termistes, sont sensibles aux ambitions de leurs militants autant qu’aux dividendes que peut apporter leur présence au sein du Parlement… Parallèlement, ils savent que le boycott  mené de façon isolée est synonyme de pertes sèches en termes de ressources financières et de visibilité médiatique.

– On parle de changements majeurs, notamment d’un nouveau gouvernement politique qui s’ouvrirait sur les formations de l’opposition. L’intérêt de certains partis de l’opposition aux législatives n’a-t-il pas un lien avec cette éventualité ?

Primo, se peut-il que la désignation d’un nouveau gouvernement soit synonyme d’un changement majeur ? Le gouvernement, dont la mission est d’appliquer le programme du chef de l’Etat ne peut pas, même s’il le voulait, susciter de changements majeurs. Secundo, compte tenu des difficultés socioéconomiques à venir, ce gouvernement n’aura pas la tâche aisée.

De fait, son rôle consistera à faire le grand écart entre les difficultés financières et les chantiers démagogiques, entre la politique d’austérité et les transferts sociaux, entre la nécessité de trouver des ressources financières et la préservation des situations de rente. Les gestes symboliques consentis par quelques responsables politiques qui ont renoncé à une infime partie de leurs revenus risquent d’être très insuffisants si leur but est de faire croire que le coût de l’impasse économique est partagé équitablement.

Le front social risque donc de se réveiller et il incombera au futur gouvernement la tâche de le contenir tout en convainquant la population que la meilleure solution est «pas de changement». Les partis susceptibles d’accepter une telle besogne, en dehors de ceux qui sont déjà au pouvoir, peuvent avoir ce profil : une base sociale faible ou inexistante, des objectifs court-termistes, des connexions avec le monde des affaires…

Mokrane Ait Ouarabi

3 Commentaires

  1.  
    Noureddine Bedoui à Guelma
    «L’Etat poursuivra ceux qui ont voulu porter atteinte aux biens publics et privés»
    Le 17/04/1980, dans un discours, le président algérien Chadli Bendjedid déclare que l’Algérie est un pays « arabe, musulman », et que « la démocratie ne signifie pas l’anarchie ». Le même jour, les grévistes sont expulsés de l’hôpital de Tizi Ouzou et des locaux de la SONELEC.
    La nuit du 19 au 20 Avril : l’université de Tizi Ouzou est prise d’assaut par les forces de l’ordre au cours de l’opération Mizrana.
    Concernant octobre 1988,notre cher génénal Nezzar déclara il y a quelques années à Chourouk que:trois hauts responsables ont été impliqués dans “les tortures pratiquées contre les jeunes manifestants”. “Il s’agit du général Betchine (à l’époque responsable au sein de la sécurité militaire), d’une deuxième personne affiliée au DRS connue sous le pseudo du Tigre, ainsi que le gendre du président Chadli”, en plus des 500 algériens dont il est le responsable directe de leurs assassinats. Il a accusé dans cet interview aussi Hamrouche d’avoir “ordonné de tirer sur les manifestants du FIS, le parti dissous, lors des événements de juin 1991.
    Le sanglant Belkhir justifiera l’arrêt du processus démocratique et l’ouverture des camps de la mort par le même reflexe (soumission où prison si ce n’est de la mort).
    Lors des événements du printemps noir de 2001,la commission d’enquête conduite par
    Issad rappelle que le décret présidentiel du n° 92/44 du 9 février 1992 portant instauration de l’état d’urgence maintient « les pouvoirs du ministre de l’Intérieur comme responsable du maintien de l’ordre à l’échelon national ». En d’autres termes, c’est l’autorité civile qui est habilitée à prendre des « mesures de préservation ou de rétablissement de l’ordre public » (article 4), le ministre de l’Intérieur ne pouvant que confier par délégation à l’autorité militaire la direction des opérations de rétablissement de l’ordre « à l’échelle de localités ou de circonscriptions territoriales déterminées » (article 9). Alors que l’arrêté interministériel [complémentaire] non publié du 25 juillet 1993 – signé par le général Nezzar et le ministre de l’Intérieur de l’époque – donne clairement délégation aux commandants des régions militaires, liant ainsi les opérations de rétablissement de l’ordre à la lutte contre la subversion et le terrorisme. L’enchevêtrement de ces deux compétences rendent impossible la détermination des responsabilités, du moins dans les textes. Dans les faits, seule l’armée est responsable des situations de rétablissement de l’ordre. Personnellement, j’attends pour voir comment Bedoui va appliquer le seif alhadjadj symbole de la répression et de l’oppression des Omeyades contre les musulmans. L’armée d’al hadjadj a détruit la Mecque et assassiné Abdellah ibn Zoubeir.

  2. Bonjour à tous,
    En d’autres termes et pour résumer Mme Ait Hamadouche, il n y a pas de solutions pacifiques pour le pays. Si on comprend bien c’est j’y suis j’y reste pour le pouvoir, je fais le guignol pour les « opposants » et j’attend de voir pour le peuple. Ainsi la solution réside dans un clash naturel qui viendra lorsque les tensions atteindront leurs limites. C’est ce que semble vouloir dire Mme Ait Hamadouche. Car enfin, dans un pays qui ne crée rien comme richesses, où tout le monde est vautré sur le matelas en dégonflage de la rente pétrolière et qui pense que faire de la politique prime sur tout le reste, il va sans dire que c’est comme si on recevra sur nos têtes dans quelques années une météorite de quelques milliers de tonnes filant à une vitesse de quelques centaines de milliers de km/h. Vous imaginez le résultat. Bonne journée à tous.

  3. M. Dahmani: Oui, on recevra la météorite dans environ 5 ans comme d’autres pays avant nous (Irak, Libye etc..). Contrairement à ces pays, les responsables ont pris les devants pour se tirer avant la catastrophe.

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