L’illusoire réforme de l’économie algérienne

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De passage à Alger à la mi-novembre, le chef de la mission du Fonds monétaire international (FMI) pour l’Algérie Jean-François Dauphin a émis le vœu qu’à l’avenir « la croissance soit davantage tirée par le secteur privé et soit moins dépendante des hydrocarbures ». En clair, le secteur privé doit remplacer la dépense publique alimentée par la rente pétrolière comme moteur de l’économie algérienne. Mais ce n’est pas si simple.
Avec l’effondrement des prix du brut, passés de 112,66 dollars le baril en juin 2014 à 45,13 dollars en novembre 2016 (− 60 %), le secteur pétrolier a été fortement secoué et la manne amputée d’autant : les exportations d’hydrocarbures ont été divisées par près de trois, passant de 70,5 milliards de dollars en 2012, année record, à 26 milliards attendus en 2016. Le président Abdelaziz Bouteflika ne peut plus, comme à la belle époque de l’euphorie pétrolière (2004-2013), à la fois financer l’embauche de centaines de milliers de fonctionnaires et augmenter sans compter leurs salaires. Il n’est plus en mesure non plus comme en 2011 pour étouffer dans l’œuf un début de « printemps arabe », subventionner largement l’eau, le gaz, l’électricité, les carburants, la semoule, le sucre ou le logement, construire d’innombrables bâtiments administratifs, des milliers d’écoles, des centaines d’hôpitaux et de mosquées, acheter sans compter des cruisers 4 x 4 pour ses protégés… et lancer de grands travaux autoroutiers payés cash à des entreprises étrangères, comme l’autoroute Est-Ouest.

UNE CRISE DISSIMULÉE AUX ALGÉRIENS

Entre 2014 et 2016, le PIB aura reculé de 30 % environ, passant selon le FMI de 235 à 166 milliards de dollars. L’ampleur de l’effondrement est caché à l’opinion, le gouvernement affiche une croissance illusoire de 3,9 % au 1er semestre 2016 en phase avec les résultats de l’année précédente, grâce à un calcul du PIB en volume, et non en valeur, qui masque la forte baisse des prix du pétrole comme le recul de la devise nationale, le dinar (− 38,4 % contre le dollar). L’Algérie a produit autant qu’en 2014 mais a vendu sa production moitié moins cher.
Au cours de la dernière décennie, la part de l’investissement public dans l’économie a atteint des taux à la chinoise — 30 à 40 % du PIB —, pour des résultats, il faut l’avouer, plutôt modestes en termes de croissance. Le revenu par tête a augmenté en gros de 1 % par an jusqu’en 2014, avec des inégalités territoriales monstrueuses au détriment des hauts plateaux et du sud. Une récente enquête du ministère de l’intérieur sur les finances publiques des 1 541 communes du pays l’illustre : 958 d’entre elles (62 %) sont pauvres, c’est-à-dire qu’elles n’ont aucune activité économique susceptible d’être taxée, 480 (31 %), « moyennes », vivotent et 103 (7 %) « riches » sont seules en mesure de couvrir leurs dépenses. Les embouteillages d’Alger et de l’Algérois cachent mal la paupérisation d’une très large partie du pays et de ses habitants.
Les entreprises privées peuvent-elles prendre le relais de l’investissement public, remplacer les dizaines de milliards de dollars disparus avec la chute des prix du brut, sortir le pays d’une inévitable récession et « tirer la croissance » comme le propose Dauphin et avec lui, de nombreux réformateurs ? On peut sérieusement en douter.

L’ARGENT CACHÉ DU SECTEUR INFORMEL

Il y a d’abord ce qu’on baptise, faute de mieux, le secteur « informel », un immense patchwork d’activités et de situations plus ou moins en marge des lois qui représente au moins un bon tiers de l’économie légale et auquel le gouvernement d’Abdelmalek Sellal propose en vain depuis plus de deux ans de se « normaliser ». Et pour cause, sans la mobilisation de l’informel qui passe par son retour à la légalité, c’est-à-dire payer la douane, les impôts, les cotisations de sécurité sociale, la relance par le privé est sans avenir.
En réalité, les barons de l’informel s’intéressent d’abord à la différence entre le taux de change officiel du dinar (111 DA pour 1 euro) et celui du marché parallèle (180 DA environ). Ils obtiennent des banques des crédits d’importation en euros à 111 DA dont ils vendent une bonne part immédiatement pour 182 DA. Les 5,5 % d’intérêt promis par le Trésor ne rivalisent pas avec les 70 % que rapporte la spéculation sur le change.
L’ancien ministre des finances, Abderrahmane Benkhalfa, en a fait l’expérience. Il comptait sur l’argent caché pour son Emprunt national pour la croissance économique (ENCE) qui a rapporté 568 milliards de DA (à peine 5 milliards de dollars). Il n’en a rien été, l’argent n’est pas sorti des sacs poubelles où il se cache par milliards en attendant d’acheter des devises, de l’or ou des terrains. La méfiance a joué à plein, ce sont les banques, les entreprises, les compagnies d’assurances, appartenant toutes à l’État, et les caisses de sécurité sociale qui ont souscrit l’essentiel, sur instruction orale de leurs tutelles ministérielles. Du coup, les ressources des institutions financières publiques ont plongé et la banque centrale, la Banque d’Algérie, a dû leur venir en aide pour les sortir de ce mauvais pas et, indirectement, venir en aide au Trésor.

UN SECTEUR PRIVÉ… DE FORCE

À l’indifférence du secteur informel s’ajoute la grande faiblesse du secteur privé « légal » longtemps réprimé par le pouvoir politique et qui n’a pris son envol que depuis le milieu de la « Décennie noire » (1988-1998) pour reprendre la terminologie officielle. Selon l’Office national des statistiques (ONS) qui a publié un Recensement économique 20111, il existe en Algérie un peu moins d’un million d’entreprises dont plus de 90 % sont personnelles, familiales et ne comprennent qu’un établissement, en général un magasin, un atelier ou un véhicule. Commerçants et artisans pour l’essentiel, ils n’ont en général ni la ressource ni les compétences pour investir et remplacer l’État. Les personnes morales (sociétés par action, en commandite ou à responsabilité limitée) sont à peine 45 000. Une petite cinquantaine ont un chiffre d’affaires égal ou supérieur à 2 millions de dollars, la moitié est réalisée par le secteur public : l’énergie, la finance, les transports en commun lui appartiennent, tandis que le privé domine dans l’industrie agroalimentaire, le bâtiment et les services. L’environnement des entreprises reste défavorable à leur essor, comme le montre année après année le rapport de la Banque mondiale sur le climat des affaires2 où l’Algérie se classe 156e sur 190 pays examinés — avec des scores encore plus médiocres pour l’octroi des prêts bancaires, la protection des actionnaires minoritaires ou le transfert de propriété.

LES « CHOUCHOUS DE LA RÉPUBLIQUE »

Il y a un autre obstacle de taille : les multiples interventions du pouvoir exécutif dans la vie des affaires. Les « chouchous de la République » comme on les surnomme à Alger, bénéficient de toutes les attentions : terrains des Domaines cédés à bon marché, facilités bancaires, subventions, commandes publiques, dégrèvements fiscaux et protection contre la concurrence, le tout en échange d’un soutien politique permanent au président Bouteflika et à sa famille. Depuis dix ans, plusieurs groupes ont émergé dans ces conditions et ont gagné beaucoup d’argent. À l’opposé, ceux qui sont mal vus remarquent se dresser devant eux d’infranchissables barrières. La loi exige pour tout investissement « stratégique » le feu vert de la Commission nationale de l’investissement (CNI) présidée par le premier ministre et rattachée au ministre de l’industrie, Abdeslam Bouchouareb, et où plusieurs de ses collègues sont représentés. Il lui suffit de ne pas répondre pour geler durant de longs mois, voire des années, les projets des investisseurs mal vus qui, ainsi privés de toutes les facilités accordées aux « chouchous », sont réduits à l’impuissance.
S’y ajoute le poids non négligeable du patron des patrons, Ali Haddad, président du Forum des chefs d’entreprise (FCE). Fort du soutien du frère du président Saïd Bouteflika et du premier ministre, il canalise le soutien du petit monde patronal algérien en faveur du pouvoir en place et, en contrepartie, joue le rôle de « portier » pour l’octroi des facilités évoquées plus haut. Ce « capitalisme entre copains » ne facilite pas la relève de la rente par le secteur privé. Pas plus d’ailleurs que la multiplication des impayés de la part de l’État et de ses démembrements. Les fournisseurs privés de la Sonelgaz, le monopole public de l’électricité et du gaz, ne sont plus payés depuis de longs mois et réduisent leurs effectifs. Pour payer les salaires de leurs personnels, ils sont contraints de céder leurs créances sur Sonelgaz à vil prix à des institutions financières, notamment étrangères. Des milliards de dollars sont en jeu, car Sonelgaz est avec la Sonatrach l’un des deux principaux investisseurs du pays. Le déficit du Trésor d’une trentaine de milliards de dollars pour cette année et d’une douzaine en 2017 — si l’exécution du Budget pour 2017 adopté en décembre est respectée — qui se finance par des montagnes d’impayés, ne laisse pas présager une solution rapide.

FAIRE PLUS AVEC MOINS

Sans remontée rapide des cours du pétrole à des niveaux aujourd’hui hors d’atteinte et sans un secteur privé assez « costaud » pour prendre la relève, l’économie algérienne est-elle condamnée à la crise permanente ? On peut le redouter, même s’il existe des pistes plus modestes insuffisamment explorées. Contrairement à hier où l’investissement a été massif et la croissance modeste, il faut apprendre à faire plus avec moins, à exploiter les surcapacités industrielles là ou elles existent (cimenteries, agroalimentaires), à développer les services à la personne, par exemple pour gérer le million de logements construits depuis dix ans qui sont privés de syndics, d’agents d’entretien et de jardiniers, à faire rentrer les loyers des HLM ou payer l’eau, le gaz, l’électricité et les carburants aujourd’hui bradés. Mais tant que la succession du président Bouteflika — qui fêtera au printemps prochain ses 80 ans et sa 18e année de règne — n’est pas réglée, il ne se passera sans doute pas grand-chose.

2 Commentaires

  1. Bonjour à tous,
    Par Mustapha Hammouche sur liberté d’aujourd’hui,
    Parmi les effets du confort rentier dont le gouvernement jouissait depuis une quinzaine d’années, il n’y a pas que sa dérive dépensière, son insouciance économique et son imprévoyance stratégique.
    L’aisance financière a visiblement aussi affecté les procédés de gestion de ces ressources providentielles, dont le mode d’élaboration du budget de l’État. Probablement rassuré par l’abondance, le pouvoir en a perdu jusqu’au sens de la rigueur formelle que commande la confection d’une grille qui encadre les dépenses annuelles de tous les centres budgétaires du pays. L’existence d’un fonds de régulation, conçu pour colmater tous les déficits, prévus ou non, et pour prendre en charge les variations de recettes et de change, a réduit le budget au statut d’alibi : la première caractéristique d’un budget, son aspect contraignant, se perd en quelque sorte en cours de route. La multitude de fonds spéciaux a sûrement accentué cette dérive.
    C’est peut-être cette nonchalance de rentier qui fait que des états de recettes et dépenses joints à la loi de finances puissent être entachés d’erreurs de calcul, remettant en cause la cohérence arithmétique du budget. La facilité financière évoquée plus haut a induit la légèreté méthodologique dans la préparation d’un document qui associe toutes les institutions publiques, de la base au sommet, dans un long processus de prévision, d’agrégation et d’arbitrage. La méprise révèle au moins une certaine désinvolture dans une œuvre qui, par définition, et surtout en ces temps de vaches maigres, appelle la plus grande rigueur. Mais il semble que c’est trop tard, la rigueur est un trait de culture politique. L’approximation aussi.
    Sinon, on n’aurait pas des routes qui s’ouvrent soudainement sous nos pieds ou qui se noient aux moindres pluies, une autoroute qui n’en finit pas d’être en réfection, un immeuble qui s’affaisse à peine le gros œuvre achevé, un faux médicament qui connaît un long début de commercialisation, un Fonds de régulation qui fond à la première baisse de cotation du baril…
    Le plus surprenant est que l’accumulation de ces faits d’impéritie, loin de perturber le pouvoir, suscite chez lui un détachement qui frise le flegme. Ainsi, le silence du ministre de la Santé, une fois le scandale du RHB éclaté, contraste fortement avec l’éloquence de son discours promotionnel sur le “médicament” et sur son “inventeur”. De même que les fautes de chiffres d’états budgétaires ne semblent pas perturber les autorités concernées. Et si c’est le cas, elles s’emploient soigneusement à le dissimuler.
    Peut-être ne sont-ce là que des omissions de forme qui trahissent une réelle conformité technique du budget effectivement adopté ; il reste qu’il s’agit de la loi de finances solennellement débattue, votée, signée et promulguée. En cela, la bavure est symbolique d’une déliquescence de l’État que traduisent, par ailleurs, bien d’autres aberrations de gestion.

  2. La rigueur dans les prises de decisions est le signe du travail bien fait dans tous les domaines. Notre systeme reposant sur l’ impunité se contentant du travail baclé ne peut engendrer que des résultats et des situations indignes.Ce n’est plus une question de savoir faire mais une question de laisser aller répugnante qui signifie que tous ces lois de rigueur imposées aux gens proviennent de décideurs qui permettent toujours l’ importation de l’ail de Chine et taxer les populations du sud sur une énergie produite chez eux.ان لم تستح افعل ما شئت

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