C'est décidé ! je quitte l'Algérie

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Youcef L’asnami
–          Taous ! c’est décidé. Je quitte l’Algérie. Et définitivement !
–          Yaw ? Khir Incha Allah ! Mais pourquoi donc ?
–          J’en ai marre, marre, marre. Pas une nouvelle etfarrah. Tous ces trafics, ces élections biaisées, ce système éducatif en déshérence, cette cherté de la vie, ces scandales qui n’en finissent pas, ces injonctions de nos ministres pour nous inciter à voter, ces arrestations pour un oui ou non, ces interdictions de toutes sortes…cet immobilisme…
–          Ya wedi Taki Allah. Quel est le pays qui n’a pas de problèmes ? Relativise chwiya.
–          Relativiser quoi ? Je suis en milieu de carrière. Un salaire ridicule qui me permet à peine de me nourrir, aucune chance d’avoir un logement, encore moins de me marier, des responsables incompétents… vraiment je ne vois pas le bout du tunnel !
–          Relativise car tu as du rater le dernier le « rapport mondial sur le bonheur » publié récemment et où l’Algérie a été classée première comme pays le plus heureux d’Afrique. Tu vois ? On n’est quand même pas si mal que ça !
–          C’est ça oui ! On n’a pas les mêmes lectures alors ! Moi j’ai lu ce matin que pas moins de deux millions d’Algériens se sont exilés depuis les années 90. Ces algériens sont des maso ? Ils fuient le bonheur ? Aya barkak mel khorti ya Taous.
–          Deux millions ? D’où sortent-ils ces chiffres ? Ont t-il cité une source fiable ?
–          Peu importe les chiffres. Nies-tu la saignée des cadres algériens pendant le règne de Bouteflika ? Du reste pas que des cadres. De presque toutes les couches de la population.
–          Oui mais ça, c’était pendant la décennie noire. Mais el youm el hamdoullah, on est en paix. Il y a moins d’algériens qui partent. Et en plus partir où ? Pour faire quoi ? T’as vu ces médecins, ingénieurs et professeurs  qui travaillent comme veilleurs de nuit ou dans des petites associations d’aide aux nécessiteux ? T’as vu ces journalistes qui se contentent d’être pigistes ? Ces professeurs de fac qui se retrouvent enseignants dans des lycées ? T’as vu toutes ces cadres femmes qui se retrouvent nounous  en France ?
–          Tu parles de ceux qui n’ont pas réussi. Mais tu ne parles pas de ceux qui ont brillé et qui ont pu se faire une place dans des sociétés sans rahma. Ces chercheurs honorés, ces ingénieurs que tout le monde s’arrache, ces écrivains qui ont pu se faire un nom…
–          Oui mais ils ont du galérer quand même !!!
–          C’est ce que tu n’arrives pas à comprendre ya Taous ! Oui ils ont galéré peut être mais ils ont fini, par leur travail et leurs compétences, à se faire reconnaitre. Ici tu peux galérer autant que tu voudras, tu resteras méprisé. Sans maarifat tu n’as ni boulot, ni une place à l’hôpital, ni logement, ni rien…  Oui l’algérien assisté a fini par oublier les vertus du travail. Galek «  Le succès est un chemin que la patience et le travail rendent accessible ». Ici on attend le succès par la patience plus que par le travail.  Et puis..
–          Et puis ???
–          Tu as vu la désignation d’Abdelmoumen Ould Kaddour au poste de PDG de Sonatrach ?
–          Oui et alors ?
–          A ton avis pourquoi a-t-on désigné cet homme au passé sulfureux ?
–          Pour ses compétences ?
–          Tchek Ya Mama ! Pour ses compétences ! Non c’est parce qu’en Algérie, il y a de moins en moins de cadres capables de gérer d’aussi grandes entreprises. Et, quand on voit les effets catastrophiques du système éducatif et celui de la formation,  il faut s’attendre très prochainement à une pénurie de cadres. Et qu’il faudra songer à en importer si les réserves en change nous le permettront.  Les rares cadres compétents qui sont restés sont ignorés, méprisés, écartés des sphères du pouvoir s’ils ne pointent pas à la mangeoire.   Et puis ??
–          ……….
–          Et puis  tu oublies tous nos ministres qui ont un pied en France, en Suisse ou en Angleterre ? Sans parler de la scolarisation de leurs enfants. Hadou ils viennent me donner des leçons de patriotisme ?
–          Tu dramatises un peu non ?
–          Wallah pas du tout ! C’est la triste réalité d’un pays riche, peuplé de pauvres. Les jeunes ou moins jeunes qui le quittent ne le font jamais de gaité de cœur. Et ils préfèrent une miziria là-bas avec une espérance à une miziria ici sans aucun espoir de s’en sortir.
–          Quel pessimisme ! Peut-être que tu as besoin d’un peu de repos non ?
–          Wallah pas du tout. Le repos je ne peux l’avoir ici. Depuis mon réveil, jusqu’au moment d’aller au lit, mon quotidien n’est fait que par des faux problèmes qui ont une solution mais que le pouvoir laisse volontairement en suspens.  Tu finis par en avoir marre de tout. Et je ne vois pas d’autre solution que d’aller tenter ma chance ailleurs. Qui sait ?
–          ……..
–          T’as vu cette campagne des législatives ? Le pouvoir a tout fait pour casser les partis politiques -qui pour la plupart ne font que de la figuration- ne laissant que ceux qui lui ont fait allégeance, comme ces partis pourris et rongés par la corruption : FLN et RND.  Cet Etat qui investit dans tout sauf dans le capital humain.
–          Tiens tu me fais rappeler le Parti Algérien de l’homme Capital. Tu te souviens  des moqueries de la presse sur cette appellation en 1988 ?
–          Oui je me souviens. Un parti mort-né comme beaucoup.  En 2017, on pose encore les mêmes questions qu’en 1988. Qui gouverne ce pays ?
–          Rachid. Je vois que tu en as gros sur le cœur. Mais quitter le pays n’est pas la solution.
–          C’est quoi la solution alors ? Se résigner et rester les bras croisés ? Vieillir et mourir à petit feu ?
–          Non mais esboure rabi Ifaradj  incha Allah. Je ne me rappelle plus qui a dit « Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit. »
–          Enti Ya Taous, rak kima gaa la majorité des  algériens. Etsabri rouhek ghir  ble citations. 3aklak Etfaîssbouka ! Et c’est exactement un des objectifs du pouvoir : occuper les gens de toutes les façons possibles. Galek.. « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente…. »
–          Oui oui je connais … «  Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. »
– Allah yerham Echouhada ! Hada Makane !

7 Commentaires

  1. L’art de faire une revue de presse sous forme d’humour. Dialogue réaliste.L’humour comme mode de survie de l’algérien dans un pays en crise, « d’un pays riche, peuplé de pauvres ». Merci pour cette humeur

  2. Un tuyau y a pas mieux que l’État du « club des pins » , si vous pouvez émigré c’est mieux que les pays de l’Occident d’ailleurs vous aurez en plus un passeport diplomatique pour circuler dans tous le reste de la planète, qui edt l’algérien qui refusera ces privilèges si on les lui octroyé, une Harga vers ce pays ne coûte pas cher c’est à côté d’Alger , il faut juste oser et vendre ces principes …..
    Libérer cette capitale de l’impunité et ce symbole du règne de la médiocrité et c’est tout le système corrumpu qui en sera ébranlé…
    Mais qui va oser « that’s the question » alors en attendant , nous suivons le déroulement des évenements qui se déroulent sous nos yeux passivement bien qu’on ne soient pas des pacifistes, mais des fatalistes aguerri qui pense que subir et servir ces hukams est une vertu du bon musulman ….alors al hamdulilah pour tout ….

  3. G adoré, g accroché dès le début . .de l’info, de l’humour, de la réalité, de la clairvoyance, très bien écrit, simplement écrit, merci youcef lasnami.

  4. Presque 4800 lecture. Un record pour ce mois. Si M. L’asnami écrivait de temps en temps en arabe il fera des milliers d’heureux. Surtout avec son accent affirmé de l’Ouest. Le ton humoristique de ce billet n’enlève rien à son objectivité. Les algériens sont divisés quant à rester dans ce pays et moisir ou le quitter et tenter sa chance ailleurs avec tous les risques dont parle cet article.

  5. Baraka Allah fik Ya Rachid. Kastni bezzaf
    Rayha ndir kima nta. Je quitte le pays où l’on attend le succès par la patience… On a travaillé, on s’est armé de patience pour affronter le stress du quotidien mais le tunnel semble trop long.
    Merci Youcef L’asnami d’avoir partagé ce cri que beaucoup d’entre nous étouffent au fond d’eux.

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