Vendre du vent en pleine tempête.

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TEBOUNE DEVANT L’APN : LE MOT LE PLUS VRAI, LE PLAN LE PLUS FUMEUX, LE JOUR LE PLUS LONG

PAR SALIMA GHEZALI
Il y a eu un étrange moment de vérité paradoxale mardi soir lors de l’allocution prononcée par le Premier ministre devant l’APN. Quand le chef du Gouvernement a reconnu l’inexistence, dans tout le pays, de statistiques et de chiffres fiables.
Passons pour l’instant sur la règle, non écrite, qui veut que là où les chiffres ne sont pas fiables, ni les hommes, ni leurs pratiques, et encore moins leurs discours, ne le sont. Si Mr Tebboune avait eu, tout à la fois, l’audace d’aller au bout de son constat,   l’intelligence d’en tirer les enseignements les plus évidents et le sens des lourdes responsabilités qui en découlent, il se serait arrêté sur cette formidable béance, ce trou noir de la Gouvernance, pour appeler l’ensemble des algériens à appréhender cette question avec le sérieux qui convient à une Urgence Nationale, la priorité des priorités, l’Alpha et l’Oméga de toute prétention à la survie collective…
Il aurait éventuellement demandé pardon pour tout le temps perdu à gâcher les ressources humaines, matérielles et immatérielles du pays « invisibilisées » puis escamotées par la gabegie toute-puissante, par l’incohérence des uns, la médiocrité des autres et la dérive générale. Le tout s’exprimant au nom de l’Etat. Et depuis près de 20 ans au nom du Président !
L’ABOUBRI
Mais, pour ce faire, le chef du gouvernement aurait eu inévitablement, à reconnaître qu’en l’absence manifeste de chiffres fiables, car vérifiés et vérifiables, il en est du Programme du Président comme du reste : Un phénomène purement sonore (dhahira sawtiya) selon les termes par lesquels un politologue de la région avait qualifié les politiques arabes.
Ce que Mr Tebboune, en cette moite soirée ramadhanesque s’exprimant devant une assemblée qui en a entendu d’autres, a semblé découvrir avec la candeur d’un néophyte et l’enthousiasme d’un retraité,  les experts, gestionnaires et divers acteurs de la vie publique nationale ne cessent de le répéter depuis des décennies !  A telle enseigne que la rue algérienne en riait (jaune) dans les années 80 déjà en baptisant d’un cinglant « Aboubri » le défunt ministère du Plan.
Depuis, les choses n’ont fait qu’empirer. On ne sait quantifier ni les choses ni les êtres. Ni les biens ni le Mal. A seul titre d’exemple on peut rappeler l’immense plasticité des évaluations chiffrées des victimes de la « Tragédie Nationale »telles que données à quelques heures d’intervalle par le Président Bouteflika et son chef de gouvernement de l’époque, Mr Ouyahia.
Alors que le premier reconnaissait 100.000 morts lors d’une rencontre internationale à Crans-Montana, le second s’en tenait au chiffre de 24.000. Avec le flegme d’un énarque parlant de la mort violente des enfants d’autrui, Ouyahia aura eu cette « explication » sur l’immense décalage entre les deux chiffres « qu’il ne voulait pas inquiéter les algériens » !
Il est vrai qu’en dictature les « aveux » servent moins à éclairer qu’à obscurcir les esprits. Et c’est sans surprise que les chiffres qui n’arrivaient déjà pas à séparer les vivants des morts du temps d’Ouyahia entament une danse endiablée sous le gouvernement Sellal où les milliards se déclinent tantôt en dinars et tantôt en dollars, n’hésitant pas au tournant à se multiplier ou se diviser au gré des sons…Réduits par le miracle de la gouvernance spécifique du Programme du Président à un pur phénomène sonore.
Pourquoi alors, le gouvernement persiste-t-il décennie après décennie, dans son refus de prendre en considération les avis, critiques et autres alertes, poursuivant inlassablement sa régulation routinière des constituants de la crise, quitte à concéder plus tard, ici et là, un mot, un chiffre, une technique ou un slogan, dans un révoltant simulacre de prise de conscience ?
D’aucuns se doutent que les richesses qui disparaissent de l’escarcelle publique retombent dans le domaine privé…Ce n’est pas toujours le cas, mais le pays compte d’autant plus de riches en milliards que s’évaporent les richesses publiques. Et les discours, plans d’action et autre programme présidentiel n’ont fait qu’accompagner ce monstrueux transfert d’un potentiel de développement national vers la déroute des oligarchies sous-développées et compradores.Du faux socialisme à la fausse mue libérale, le régime promène son inaptitude à opter pour un autre mode de gouvernement que celui du clientélisme bureaucratique, s’appuyant sur des relais de type oligarchique pour remodeler la configuration des rapports d’utilité entre ses membres.
Au troisième tiers de son allocution Mr Tebboune a de lui-même réduit son Plan d’Action en plan fumeux en avouant que les chiffres qu’il ne donnait pas, il n’était même pas en son pouvoir d’y accéder ! Il a, ce faisant, dévoilé la seule fonction véritablement dévolue à son gouvernement : Vendre du vent en pleine tempête.
Analysant le document du gouvernement, Smail Goumeziane, économiste et ancien ministre du commerce note que le « gouvernement s’enferme dans une logique de Croissance pour mieux ignorer toute démarche en termes de Développement. Or, nous le savons depuis des années, même lorsque la croissance s’est améliorée dans le pays (tout au long des années d’embellie pétrolière), celle-ci n’a jamais entrainé le développement, mais plutôt favorisé, outre l’effondrement des activités productives nationales, les inégalités et autres injustices sociales. Dans ce sens, il est pourtant clair qu’une stratégie de diversification de l’économie nationale n’a de sens que si elle s’inscrit dans une stratégie nationale de développement dont l’élaboration démocratique reste à faire. »
En fait qu’il s’agisse de quantifier ou de qualifier, les carences du gouvernement ont comme un air de complicité inavouable avec les appétits des oligarques. Les algériens ont, au fil du temps, appris que quand un dirigeant avoue une ignorance du type « nous n’avons pas de chiffres » c’est le plus souvent avec une arrière-pensée de vente concomitante opérée dans le brouhaha d’une reconversion qui s’apparente à un transfert pur et simple de propriété dans l’opacité la plus totale.
« Avec l’approfondissement de la crise (suite à l’effondrement des prix pétroliers), le gouvernement semble enfin s’intéresser au devenir de l’appareil productif national. Tant mieux. Des objectifs ambitieux sont donc affichés : reconversion et diversification de l’économie nationale ; réorganisation des politiques industrielles sectorielles ; développement de la PME ; politique de substitution aux importations. Au cœur de cette nouvelle stratégie, le gouvernement place «l’entreprise nationale, sans distinction aucune ».
Une terminologie pour le moins ambigüe. On aurait pu être plus clair et écrire : l’entreprise nationale, publique et privée. Mais il y aurait alors une distinction : une entreprise publique et une entreprise privée ce n’est pas la même chose. Ainsi, par exemple, il est évident qu’il y a une distinction essentielle entre Sonatrach et Cevital, ou entre Sonelgaz et Etrhb. Pis, les distinctions en termes de propriété juridique, de gouvernance, de responsabilité économique, sociale et environnementale, pour ne pas dire stratégique, sont évidentes. Sauf à laisser entendre, derrière cette ambigüité, que certaines entreprises publiques pourraient devenir … des entreprises privées puisqu’il n’y a pas de distinction entre elles ! ».
Plus fondamentalement, les mesures proposées de réorientation des investissements, de soutien aux secteurs productifs, en appui à la politique de substitution aux importations souffrent dramatiquement d’un véritable cadre de référence. Celui d’une stratégie nationale de développement, ouverte sur le monde d’aujourd’hui, qui reste à élaborer le plus démocratiquement possible selon un mécanisme de concertation qui implique toutes les forces vives de la nation. » (Smail Goumeziane.)
Alors que son intervention avait été annoncée le 18juin , elle sera reportée à quelques heures du passage au jour le plus long qui coïncide cette année avec la nuit du destin ( Leïlat ElQadr) Mr Tebboune a placé, certainement sans le vouloir, son programme sous une symbolique qui dépasse le cadre(volontairement ?) étriqué de son propos et restitue les dimensions d’ampleur, de durée et de profondeur de la crise nationale enchâssée dans la crise globale.
Dans le film, Le jour le plus long reviennent ces mots que l’on prête à Général Rommel surnommé «le renard du désert »  :  « La guerre sera gagnée ou perdue sur ces plages. Nous n’avons qu’une seule chance de repousser l’ennemi, et c’est quand il sera dans l’eau, barbotant et luttant pour venir à terre. Nos renforts n’arriveront jamais sur les lieux de l’attaque et ce serait folie que de les attendre. La Hauptkampflinie (ligne principale de résistance) sera ici. Toutes nos forces doivent se trouver le long des côtes. Croyez-moi Lang, les premières vingt-quatre heures de l’invasion seront décisives… Pour les Alliés, comme pour l’Allemagne, ce sera le jour le plus long.  »
Visiblement le gouvernement, qui n’aime ni anticiper ni se battre, n’a pas l’intention de se jeter à l’eau, alors il patauge…à sec en tournant le dos à la vague qui vient.

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