Le FFS et le mythe de sisyphe

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Mohamed A. Lahlou. Membre fondateur du FFS

El Watan le 29.09.17 

 

Il y a exactement 54 ans, le 29 septembre 1963, naissait le Front des Forces Socialistes (FFS), alors que l’Algérie venait de sortir, quelques mois avant, d’une guerre de Libération de sept années et demie et des affrontements fratricides de l’été 1962 entre wilayas de l’intérieur et troupes des frontières, posant la question, jusqu’ici suspendue, de la légitimité du pouvoir.

Né d’une crise nationale, le FFS s’était fixé comme objectif fondamental de rétablir l’ordre renversé de la légitimité «révolutionnaire et populaire» ; il a, par la suite, rapidement inscrit, dans ses fondamentaux, l’idéal des droits de la personne humaine, l’intégralité des pluralités et la construction d’une économie sociale de marché.
Le mythe de Sisyphe ou la fatalité d’un combat
Depuis ce 29 septembre 1963, le FFS joue, pour la démocratie en Algérie, le rôle de Sisyphe. Comme Sisyphe à la recherche d’Egine kidnappée par le dieu Zeus, le FFS est à la recherche, depuis 1963, de la démocratie. Zeus décida de punir Sisyphe à rouler un énorme rocher en haut d’une montagne.
Parvenu au sommet, le rocher retombait et Sisyphe devait le porter de nouveau au sommet. Le sort de Sisyphe fut-il, jusqu’ici, celui du FFS portant chaque fois la démocratie jusqu’au sommet pour ne jamais la voir se réaliser. Le sort de Sisyphe fut-il celui d’Aït Ahmed et des militants du FFS portant depuis 1963 la démocratie sur leur dos ? Jusqu’à quand le mythe de Sisyphe restera-t-il un modèle imposé à l’Algérie, au travers du FFS ?
Il y a bientôt deux années, Aït Ahmed rejoignait sa dernière demeure ; il quittait, en même temps le FFS, le laissant seul avec la grandeur qui fut la sienne et avec les fragilités héritées de tant d’années de luttes, d’incertitudes et de passions refoulées. Beaucoup se demandaient vers quel autre destin allait maintenant être porté le FFS, après 54 années d’une opposition au refus de démocratie et d’alternance, loin des complots et des manigances.
Que de nombreux événements auraient propulsé la démocratie au fait du pouvoir, mais combien d’autres ont en décidé autrement ! Ce n’est pas la faute du FFS d’avoir essayé avec les accords FFS-FLN du 17 juin 1965, la déclaration de Londres signée par Aït Ahmed et Ben Bella, l’appel à la réconciliation historique en 1989, la rencontre de Sant’Egidio destinée à mettre fin à la violence de la décennie noire, la recherche d’un consensus national. Toutes ces tentatives ont rencontré sur leur chemin le silence ou l’incompréhension, jusqu’à faire revenir à chaque fois l’Algérie au point de départ de la quête démocratique.
Un héritage trop lourd à porter ou la fin d’un mythe
Que reste-t-il, en ce 29 septembre 2017, de tous ces combats dans la clandestinité, l’exil et maintenant une pluralité sans démocratie ? Pourquoi aussi le FFS est-il aujourd’hui confronté à la contestation de ses militants et à la fronde de nombre de ses cadres ?
Fallait-il poser une telle question en ce jour de commémoration de son anniversaire ? Y a-t-il une indécence à parler de ses fragilités, à se risquer dans le dévoilement d’une réalité gênante ? Aurait-il été plus normal de se réfugier dans le déni et dans l’illusion d’un présent doré ?
En reconnaissance et en hommage à ses près de 500 martyrs, à ses 3000 détenus, à ses centaines de veuves et d’orphelins, à ses centaines de torturés, à ses milliers de militants qui ont porté, de génération en génération, les idéaux du FFS et sa mémoire, il fallait bien aussi dire ce qui ne va plus et expliquer le pourquoi du malaise et de la fronde. Pourquoi, aujourd’hui, le FFS suscite-t-il tant de mécontentements ? Pourquoi le FFS est-il en crise ? Le mot est enfin lâché. Lâché sans lâcheté mais avec l’intentionnalité de libérer la parole jusque-là refoulée.
Le FFS est, certes, le seul parti qui est demeuré tel qu’il a été fondé sous la direction de Hocine Aït Ahmed et jusqu’à son décès. Cette continuité est due à la personnalité de son leader, à la fidélité de ses militants et à ses idéaux. Ces idéaux ont posé, dès sa création, les questions de l’Etat de droit, de la pluralité politique et de l’alternance au pouvoir.
Le FFS ne les a pas seulement posés, mais a mené une longue lutte pour leur réalisation, une lutte faite de sacrifices et pour lesquels les militants ont payé un lourd tribut. C’est ce qui explique la fidélité de ses militants, mais aussi le respect des Algériens, y compris parmi ceux qui n’ont jamais rejoint le FFS ni voté pour lui (ceci a une explication qu’il faudra bien donner un jour !).
Durant cette longue période, le FFS a connu des conflictualités internes qui n’ont pas provoqué des fractures irréversibles et qui n’ont pas mis en péril l’existence même du parti. Ce qui a sauvé le parti d’une crise majeure, c’est bien entendu la présence de Hocine Aït Ahmed. Aucune démission ou scission, visible ou pas, n’avait jusque-là provoqué un malaise important, ni un risque de fracture préjudiciable au fonctionnement organique ou stratégique du FFS.
Depuis quelques années et plus particulièrement depuis son retrait de la présidence du parti, les prémisses de fractures internes sont apparues pour devenir plus importants depuis son décès. La création d’une Instance présidentielle, comme substitution à la présidence incarnée par Hocine Aît Ahmed n’a pas réussi à se substituer à son autorité morale et politique ; elle a vite montré ses insuffisances sur le double plan idéologique et stratégique ; elle a, en plus, créé un malaise aussi bien au niveau de la décision politique que de la mobilisation de la base militante.
Depuis un peu plus d’une année, nous avons assisté à des défections de militants de plus en plus importantes et, aussi, à ce qu’on pourrait appeler une véritable «fronde» au niveau de la base du parti. C’est là qu’il faut trouver l’explication aux défaillances au niveau organique et à la déroute au moment des élections législatives du mois de mai dernier qui ont vu une participation mitigée des sections communales à la campagne électorale.
Contestation ou dissidence
Depuis plusieurs mois, nous entendons des voix et des groupes contestataires pour dénoncer la politique actuelle du parti considérée comme un renoncement aux idéaux fondateurs du FFS et de ses valeurs et comme un ralliement déguisé et une soumission à la stratégie politique du pouvoir.
Pour preuve, il est avancé que les membres de l’Instance présidentielle ont mis sous le coude les orientations fondamentales contenues dans la plateforme de 1979 relatives à l’élection d’une Assemblée constituante, au principe de l’alternance au pouvoir, à la séparation des pouvoirs, à la régionalisation et à la question identitaire.
Le «deal» qui aurait été passé avec le pouvoir s’est révélé dans la difficulté de la direction actuelle du FFS à afficher ce que doit être le contenu d’un consensus national. L’idée d’une «feuille blanche» comme proposition du FFS a jeté un trouble qui a accentué l’image d’un parti sans orientation politique précise.
Durant leur participation à la précédente APN, les représentants du FFS ont multiplié les retraits de la salle de délibérations comme forme d’opposition. Pendant les délibérations de l’actuelle APN, il a été reproché au FFS de n’avoir pas voté contre le programme du nouveau Premier ministre Ahmed Ouyahia, contrairement à ce qui avait été affirmé. Comment expliquer des telles attitudes sinon par le choix des représentants du FFS à ne pas se manifester en tant que parti d’opposition au pouvoir.
Nombreux sont les anciens cadres, militants et sympathisants qui dénoncent la volonté de verrouiller les activités au sein des différentes structures de base du parti afin de neutraliser toute contestation. La vie politique du parti est devenue telle qu’il ne reste à ceux qui veulent exprimer une idée contraire que les réseaux sociaux qui sont devenus un instrument incontournable d’expression et de communication. A côté de ceux qui s’expriment par la voix des réseaux sociaux, il y a tous ceux qui se confinent, aujourd’hui, dans le silence, par «discrétion» ou par «tactique», avant que les digues ne se fissurent ou ne cèdent.
La direction du FFS s’ingénie dans des procédés empruntés au mode de fonctionnement du système politique en vigueur dans le pays où la politique est devenue une source de privilèges matériels et d’enrichissement personnel. Ces pratiques ont fini par saigner le FFS au point de voir une longue hibernation des structures de base dont beaucoup n’ont été réactivées, dans l’urgence, que pour la gestion des élections législatives et maintenant pour les élections aux APC et APW.
La manipulation des listes pour les élections législatives destinée à assurer à un cercle clanique et familial une rente financière et des privilèges matériels, a provoqué un déficit plus important de confiance à l’égard de la direction actuelle et a été interprété comme une trahison de l’éthique, au profit de l’opportunisme et de l’attrait des privilèges. Ces comportements ont été à l’origine d’une large abstention y compris dans les fiefs habituels du FFS et qui est venu s’ajouter au processus de dépolitisation des citoyens, résultat de la situation dans laquelle le pouvoir a plongé le pays.
Pour les élections à venir au mois de novembre 2017, les sections communales ont essayé de prendre l’initiative pour la constitution des listes des candidats aux APC et APW. Certaines ont réussi à résister, quelque peu, à la pression de la direction nationale ; d’autres ont cédé à ses procédés manœuvriers.
Le mécontentement généré par l’élimination de nombreux candidats, ajouté à l’échec consommé durant les législatives ne permettra pas une remobilisation de la population et il faut s’attendre à un taux d’abstention inhabituel pour des élections auxquelles les citoyens ont toujours accordé beaucoup d’intérêt. La solidarité clanique et villageoise va probablement jouer en faveur d’un taux de participation plus élevé qu’aux élections législatives, mais il ne sera ni une adhésion partisane, ni un ralliement à la politique du pouvoir.
Des réformes pour un nouveau système
Faire de la politique dans un parti, c’est avoir un projet pour l’avenir du pays. Se pose dès lors une question quant au destin attendu pour l’Algérie en ces moments d’incertitudes et de doutes. Il n’est point possible, en effet, d’ignorer la situation économique que vit le pays, et encore moins les risques qui le guettent sur les plans politique et institutionnel.
Le silence d’un peuple est comme ces volcans qui sommeillent pendant de longues années ou siècles, mais pour lesquels on ne peut point prédire le jour où grondera la colère. Une colère que nul ne souhaite, connaissant le prix que le peuple aura à payer et le déferlement de colère qui pourrait laisser place à tous les dépassements et délires.
La cause de tous les échecs du système et de ses Hommes aura été toute trouvée dans une économie soumise à une industrie de l’assemblage et à des grands travaux de la sous-traitance ; elle sera trouvée dans une société traversée par la misère et les frustrations, en perte de repères et où la valeur travail a été supplantée par la corruption et le gain de l’argent facile.
Le bilan de l’économie algérienne est très lourd pour avoir vécu de la rente et non du travail, de l’improvisation et non de la prospective. Si les projets de l’AADL et l’Ansej ont quelque peu calmé le mécontentement d’une partie de la population, ils n’ont nullement créé la dynamique de développement économique et social attendue pour engager le pays dans le progrès.
Il faut admettre que l’Algérie n’a plus de vie politique à la mesure de la grandeur de ses combats passés. Boudée sur le plan international, sans aucun génie sur le plan national, elle reste suspendue aux illusions et à l’’improbabilité de chaque lendemain. Pour preuve, le désintérêt pour le politique, l’espérance de la part des jeunes d’un ailleurs pour leur destin, une perte des valeurs de responsabilité au profit de la soumission au destin ou au pouvoir du hasard.
L’abstention aux différents rendez-vous électoraux atteste que les Algériens ne croient plus en une politique où les dés sont pipés à l’avance et qui se soldent par une éternelle réactivation maladroite d’un système qui procède par les mêmes artifices et recycle les mêmes hommes au détriment des compétences qui, pour leur part, sont contraintes à l’hibernation ou au rêve illusoire d’un exil nourri de l’imaginaire.
Crise morale, crise de confiance ne peuvent être oubliées ou réduites par des «tripatouillages» politiques ; elles ne peuvent l’être sans un nouveau système qui replace l’éthique au cœur de la vie politique et une prise de conscience nationale de la nécessité de fonder une société de liberté et de responsabilité, un Etat de droit et une économie animée par l’esprit d’entreprise et l’exigence de productivité.
La nécessaire refondation du FFS
Face à la réalité qui est celle de l’Algérie, face aux défis à relever, quelle est la position du FFS en ce 29 septembre 2017 ? Peut-il, pour cela, s’assumer encore en tant que force d’opposition et de proposition ? D’aucuns vous diront qu’il est loin le temps où la direction du FFS était et fonctionnait comme un véritable gouvernement sur le plan de la réflexion politique et de l’action sur le terrain. Incontestablement, ce temps fait partie du passé. L’Instance présidentielle n’est plus qu’un organe sans consistance ; l’exclusion d’un de ses membres, le retrait-démission d’un autre et l’éloignement-absence d’un troisième l’ont réduite à sa plus simple expression.
La valse des départs et changements des premiers secrétaires, d’une part, et les démissions ou suspensions au niveau des fédérations et des sections, d’autre part, ont réduit la capacité d’action du parti sur le terrain ; sans oublier la saignée qui a touché la base militante.
Il s’agit, malheureusement, d’une vérité qui ne peut être passée sous silence et à laquelle il faudra trouver une solution par une consolidation des structures et une réaffirmation des idéaux. Les observateurs reconnaissent que sur le plan stratégique, le FFS est devenu méconnaissable, très fréquemment aphone.
Si le discours des premiers secrétaires successifs s’est parfois couvert d’un voile d’opposition, il reste, dans les faits, fondamentalement ambigu, pour les militants et pour les sympathisants. Ceux qui, à l’APN, doivent exprimer explicitement les positions d’un parti d’opposition, restent ostensiblement invisibles lorsqu’ils doivent afficher leur opposition.
L’ambivalence du discours et la fragilité des structures font partie des points ciblés par les militants et cadres qui s’affichent en tant qu’opposants à la direction actuelle et à son fonctionnement. Si certains se sont inscrits dans une démarche de démission, d’autres ont proposé une action de résistance au sein de la base du parti.
Qu’il s’agisse d’une option ou d’une autre, toutes les deux révèlent un grave déficit de confiance et un risque majeur de déstabilisation ou d’implosion pour le parti. La balle est ainsi dans le camp des membres de la direction qui devront en prendre acte et s’inscrire dans une démarche destinée à rétablir un climat démocratique à l’intérieur du parti et à réaffirmer l’attachement du parti à ses idéaux fondateurs.

La situation dans laquelle se trouve le parti et la contestation existante demandent l’ouverture d’un débat démocratique à tous les courants d’opinions et d’idées qui enrichissent le parti, en vue d’une refondation destinée à donner un souffle nouveau à l’action politique du parti, afin de jouer le rôle qui doit être le sien dans le contexte national actuel.

Mohamed Lahlou

Est militant du FFS depuis 1979. Membre fondateur et signataire des statuts du FFS (légalisation du parti le 26 septembre 1989), il relancera, avec Hachemi Naït Djaoudi et Rachid Toudert, les activités publiques du FFS dès le 5 octobre 1988.
Elu député de Ouacif lors des premières élections pluralistes de décembre 1991, il sera, à plusieurs reprises, secrétaire national et secrétaire général par intérim du FFS.

2 Commentaires

  1. Le FFS a vécu sur un mythe,celui d’Ait Ahmed.Sa mort entraîne de facto la mort du FFS qui est aujourd’hui une coquille vide.Le Pr Lahlou ne semble tenir compte des évolutions qu’a connu le pays depuis 1992,il me semble su’il est retard d’une guerre.Le FFS doit faire faire son autocritique et tirer les leçons des ses échecs re-recommencés.

  2. Bonjour
    Tout à fait d’accord, la réaction de M. Lahlou est bien tardive.Est-il besoin de rappeler que des militants courageux posèrent la question du fonctionnement démocratique des structures du parti dès le 1er congrès ,en 1991?Je ne me souviens pas si M.Lahlou avait soutenu à l’époque les positions exprimées par ses camarades, mais le document que ce groupe présenta au congrès mit en garde sur les dysfonctionnements qui risquaient d’hypothéquer l’avenir du parti.A l’époque , exprimer un avis contraire à celui de M.Ait Ahmed était considéré comme un sacrilège.Aujourd’hui, après sa disparition, les langues commencent à se délier.Sans vouloir aucunement remettre en cause la personnalité de M.Ait Ahmed et son apport inestimable à la libération du pays,il faut reconnaître que la crise actuelle résulte en partie du fait même du leader dont le poids historique ne pouvait laisser place à l’émergence de nouvelles personnalités.Sa manière autoritaire de diriger le parti fût d’ailleurs la cause de nombreux départs de cadres compètents,remplacés au pied levé par des opportunistes.Feu Hachimi Nait-Djoudi qui avait beaucoup de respect pour M Ait Ahmed mais qui n’était pas d’accord avec sa façon de diriger le parti, me confia dans les années 90 que le FFS disparaîtra avec M.Ait Ahmed.Il ne demeurera que son sigle que des opportunistes utiliseront à leur profit personnel avec la bénédiction du pouvoir.

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