« Combien d’Algériens comptez-vous emprisonner pour imposer les élections? »

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Les deux premières journées d’une campagne électorale aussi illégitime qu’impopulaire donnent le ton sur la suite des événements.

Jour 1: les Algériens ont vilipendé, conspué et poussé les cinq candidats du régime à « fuire » ou à écourter leurs premières sorties. Le régime a, quant à lui, amplifié son appareil répressif, policier et judiciaire, pour faire taire toutes les voix discordantes qui réclament la non-tenue des élections présidentielles programmées en date du 12 décembre.

Au premier jour de campagne à Tlemcen, la police a arrêté 37 personnes regroupées devant la maison de la culture pour contester le meeting du candidat Ali Benflis et l’organisation des élections. Si la moitié avait été relâchée le jour même, 18 personnes ont été maintenues en garde à vue et présentées au tribunal de la ville.

Jour 2: la décision de la justice est tombée comme un couperet. Quatre personnes ont été condamnées à 18 mois de prison ferme tandis que 14 manifestants ont écopé de deux mois de prisons avec sursis.

Le chef d’accusation? Incitation à attroupement et entrave à la mission de la Haute Instance Indépendante de Surveillance des élections, selon le Comité National de Libération des Détenus.

Comment peut-on juridiquement condamner des personnes qui participent à un rassemblement pacifique lors d’un meeting de campagne pour exprimer leur désaccord?

Sur le plan légal, la loi organique n° 16/11 Relative à la Haute Instance Indépendante de Surveillance des Élections (article 13) ne consacre aucun article sur les meetings de campagne. L’Article 49 de la Constitution algérienne (2016) consacre la liberté de manifestation pacifique qui est « garantie au citoyen dans le cadre de la loi qui fixe les modalités de son exercice ». L’Algérie a également ratifié le Pacte international des droits civils et politiques en 1989 qui garantit un tel droit.

Lors des trois prochaines semaines de la campagne électorale, le régime va tenter de faire face à la volonté populaire en imposant des décisions de justice erratiques et une forte répression policière contre les citoyens mobilisés dans le Hirak. Il va tenter par tous les moyens coercitifs d’intimider et de museler les voix dissonantes. Mais tant et aussi longtemps que les Algériens resteront pacifiques et déterminés à faire échouer les élections du 12 décembre, le régime ne réussira pas gagner cette bataille.

Comment peut-il faire face à la montée en puissance, en fréquence et en intensité, des actions de désobéissance citoyenne qui se préparent? Comment cette Haute Instance va-t-elle suivre le déroulement de la campagne électoral, comme cela est stipulé dans la loi, alors que les candidats n’arrivent pas à se déplacer d’un point A à point B sans les escadrons des forces de l’ordre?

Comment les services de sécurité vont-ils pouvoir surveiller les 75 000 bureaux dans les quatre coins du pays? L’effectif combiné de la gendarmerie nationale et de la police ne dépasse pas 380 000 hommes. Ce qui donne un chiffre hypothétique d’environ 5 agents de l’ordre par bureaux de vote. Est-ce que l’État-major pense à déployer les forces terrestres pour « garantir » la tenue d’un rendez-vous électoral qui consacrerait manifestement le recyclage du régime?

Mais la vraie question qui s’impose est : combien d’Algériens le régime compte-t-il emprisonner dans ses geôles pour imposer des élections illégitimes, rejetées par la majorité des Algériens?

Le régime a déserté la sphère du réel. Il vit dans un espace-temps isolé du peuple algérien et ses revendications légitimes. Neuf mois après le début du Hirak, c’est un régime atteint d’une surdité avérée, profondément replié sur lui-même, qui a choisi la voie du passage en force au lieu d’opter pour la sagesse et le compromis.

Raouf Farrah – 18 novembre 2019

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