Le Hirak, les despotes et le coronavirus

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Yous Nesroulah

Un peu plus d’un an après la naissance du Hirak, ce mouvement révolutionnaire pacifique,  les algériennes et algériens sont appelés, malgré eux, à suspendre leurs imposantes marches hebdomadaires en raison de la crise du coronavirus qui surgit. Pour les marcheurs du vendredi et du mardi, le confinement n’est pas synonyme d’abdication, bien  au contraire, il suscite de nouvelles formes d’organisations afin de lutter contre la propagation de l’épidémie tout en maintenant la pression sur le pouvoir illégitime.
 

Paris le 6 avril 2020
 
            Depuis deux décennies, de nombreux médecins-épidémiologistes de différents pays n’ont cessé  d’alerter du risque imminent de la propagation d’un virus à travers le monde à une vitesse vertigineuse. En 2005, l’organisation mondiale de la santé, dans son règlement sanitaire international, fait le même constat sur les risques encourus se basant sur les épidémies de type SRAS-CoV, MERS-CoV déjà déclarées en Asie et qui ont touché une trentaine de pays et fait des milliers de morts.

            Pourtant aucun pays ne semble s’être préparé à affronter un phénomène d’une telle envergure. Au lieu de cela, au nom de la mondialisation et du libre marché – certains par cupidité, d’autres pour survivre – mais tous sans exception, ont privilégié des politiques où les logiques budgétaires passent avant toute responsabilité sanitaire. Si l’on peut considérer que l’épidémie est une fatalité, en revanche l’ampleur de la crise qui s’en est suivie est due pour une bonne part à la somme des politiques menées jusqu’à ce jour et à leurs impacts sur la nature, aux attaques drastiques portées au service publique et plus précisément au secteur de la santé, dans une logique d’accroissement des inégalités sociales et de criminalisation de toute forme de solidarité. Si ce constat vaut pour la majorité des pays qui ont adopté des politiques néolibérales sauvages, il est d’autant plus vrai en Algérie où la situation est plus chaotique à bien des égards.

            Il faut croire que le régime des généraux y voit là une aubaine, une formidable opportunité pour retourner la situation à son profit. Aujourd’hui, alors que les hirakistes font preuve de maturité et de grande sagesse en gelant le mouvement de protestation, le pouvoir illégitime profite de la situation dramatique de la pandémie du coronavirus pour réprimer, emprisonner et sanctionner sévèrement des leaders politiques, des militants associatifs et des journalistes dont le seul crime est de vouloir créer une société civile algérienne responsable, capable de se prendre en charge en toutes circonstances. Quelle ineptie que d’utiliser la grâce présidentielle pour libérer des détenus de droit commun afin de désengorger les prisons pour  les remplacer ensuite par des détenus politiques et d’opinion, dans un système carcéral où le droit de regard est inexistant.

            La dictature à façade civile qui s’est construite sur la rente pétrolière, la corruption, le népotisme et la prédation a déjà fait beaucoup de dégâts.  Aujourd’hui encore, celle-ci n’hésite pas à continuer sur sa lancée et à hypothéquer dramatiquement le pays sachant que toute remise en question lui serait fatale. La crise du coronavirus arrive à un moment où les prix des hydrocarbures sont au plus bas que les réserves de change s’épuisent.  Pourtant le premier ministre Abdelaziz Djerad annonce le 30 mars vouloir déployer les grands moyens  » pour construire un fort système de santé une fois la crise surmontée « .  De son côté, le chef de l’état annonce des mesures inappropriées comme imposer un couvre-feu entre 19h et 7h du matin dans un climat de panique général et de grandes pénuries, ou d’interdire à toute personne de donner des statistiques en dehors du ministère de la santé. C’est dire le degré d’inconséquence et d’absurdité de ce système. Des institutions gangrenées par la corruption, incapables de gérer les situations de crises, des  » dirigeants  » rivalisant de cynisme et des canaux officiels relayant leurs mensonges les plus éhontés avaient déjà eu raison de leur crédibilité, réduisant à néant la confiance du peuple envers ses « gouvernants ». C’est dans ce contexte désastreux que surgit l’épidémie de coronavirus, mettant en péril plus que nulle part ailleurs la vie de milliers de citoyennes et citoyens.  

            Pendant des décennies, la dictature à façade civile s’est attelée à atomiser la société, à infantiliser les citoyennes et les citoyens, à imposer des mécanismes de dépendance, de népotisme, laissant L’Algérie dans une situation inédite : une démographie galopante, un pourcentage de chômage très élevé surtout chez les plus jeunes, un système éducatif obsolète, un système de santé catastrophique, une économie basée sur la rente et la rapine reposant essentiellement sur des réseaux mafieux et dépendant à la fois du marché parallèle et du bon vouloir des pays étrangers.

            Mais cet état des lieux ne doit pas nous amener à céder au fatalisme ou à une quelconque résignation. Il s’agit plutôt de s’appuyer sur un programme clair et de mettre en place les moyens pour sortir le pays de la situation dans laquelle il se trouve. Ce ne sont pas les élites, les personnes qualifiées, les savoirfaires ou les richesses qui manquent mais la confiance qui a été rompue par tant d’années de mépris et de grandes injustices. C’est pour cela qu’il est impératif que le rapport de force change.

     L’Algérie est riche d’une culture basée sur la solidarité, l’entraide et le partage. Le confinement de la protesta n’est pas synonyme d’abdication. Bien au contraire, des régions entières s’organisent pour lutter contre la pandémie, des associations et des comités de village nettoient et désinfectent les rues, assurent la prise en charge des personnes fragilisées, récoltent des dons venant de la diaspora à l’étranger pour assurer l’approvisionnement en médicaments et en besoins de première nécessité. C’est cette notion de solidarité et d’ingéniosité que le Hirak doit continuer à porter et à développer. Les échanges d’expériences sur les réseaux sociaux et dans des assemblées populaires.

Pendant plus d’une année, la salmiya (le pacifisme) a été salvatrice pour aider à la cohésion sociale et redonner espoir à toute une population. Elle doit aujourd’hui plus que jamais être le fer de lance des hirakistes dans cette période de grandes inquiétudes et de tensions extrêmes. C’est pour toutes ces raisons qu’il y aura un avant et un après la pandémie du coronavirus. Plus rien ne doit être comme avant.

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