LOUNES MATOUB : ARTISTE MONUMENTAL ET REBELLE ETERNEL

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Abbes Hamadene 

Le 25 juin 1998, Matoub Lounès tombait dans une embuscade tendue par un groupe armé sur la route menant de Tizi-Ouzou à son village Thaourirt Moussa, son corps est criblé de balles. Dans la voiture, se trouvaient sa femme et ses deux belles-sœurs.
22 ans après, les mêmes questions restent posées : Qui sont ses assassins ? Qui sont leurs commanditaires ?
AUCUNE ENQÛETE SERIEUSE
Depuis 22 ans, Nna Aldjia la mère de Lounès et sa sœur mènent un combat courageux pour la vérité sur l’assassinat du rebelle. A toutes les étapes de ce combat, elles ont subi un lynchage public mené par un appareil judiciaire soumis au dictat du « téléphone », des journaux aux ordres, des officines occultes et certaines « personnalités » de la région.
Dès les premières minutes qui ont suivi l’assassinat de Lounès, la version officielle, relayée localement, désigne le GIA (Groupes islamiques armés). L’information est largement relayée par les médias du pouvoir et les médias français. Dès lors, quiconque oserait émettre le moindre doute sur la version du pouvoir serait accusé d’être un allié du « terrorisme islamiste ».
Pourquoi s’opposer avec autant d’acharnement à une enquête sérieuse qui, seule pouvait permettre de faire la lumière sur cet odieux assassinat ? L’empressement du pouvoir et ses relais de l’époque à enterrer la vérité continue de soulever doutes et interrogations.
Il n’y a rien de plus efficace pour connaitre les assassins et de lever les doutes que de mener une enquête solide et cohérente. Aucune enquête ne peut être crédible sans une reconstitution de la scène du crime et l’audition de personnes susceptibles d’apporter des informations utiles à la manifestation de la vérité.
La reconstitution est incontournable et irremplaçable dans toute enquête criminelle. Elle permet de lever les doutes sur des questions techniques, de comprendre avec exactitude les expertises balistiques : angles de tirs, trajectoires des balles, distances, obstacles…etc. La reconstitution de la scène de crime permet souvent de faire surgir des détails auxquels les enquêteurs n’avaient pas pensé auparavant.
Il en est de même pour ce qui concerne les témoignages. Ils jouent un rôle fondamental dans une enquête : corroborer des faits ou les infirmer, recouper des informations…
Ni reconstitution, ni audition de certains témoins essentiels, ni rien d’autre n’a été entrepris dans le sens de la quête de vérité !
En 2011, treize ans après les faits et douze ans après l’arrestation de deux suspects, le procès tant attendu a été expédié en trois heures, plaidoiries comprises. Chenoui Abdelhakin et Madjnoun Malik, après douze ans de détention provisoire (du jamais vu ou presque), étaient poursuivis par le tribunal criminel de Tizi-Ouzou pour « participation et complicité » dans l’assassinat de Lounès Matoub. Le procès tourne vite à la farce. Hormis des aveux arrachés par la torture, selon leurs avocats, le dossier est vide. Finalement les deux suspects sont condamnés à douze de prison, cette peine est couverte par leur détention provisoire.
LOUNES MATOUB : UN ARTISTE MONUMENTAL ET UN MILITANT ENTIER
Les honneurs rendus à Lounès Matoub par la population algérienne, parfois de façon tardive, à cause des campagnes de désinformation le ciblant, mais aussi des voix représentatives de l’opinion internationale, nous font sentir davantage la douloureuse injustice commise par ses lâches assassins et leurs commanditaires qui nous ont privé de sa présence physique.
Ces minables assassins ont brisé la vie d’un artiste d’envergure monumentale. Un artiste qui s’est voué à figurer dans les plus belles musiques les émotions existentielles qui expriment l’amour, la joie, la trahison, le désespoir, le courage, la bravoure et une torrentielle rage de liberté et de justice.
Un chanteur engagé devenu le porte-parole d’une jeunesse privée de parole. Un poète dont l’amour pour sa langue amazigh chemine à haute et chaude voix dans les dédales de son sang. Ce sang qui a coulé le 25 juin 1998 a fait fleurir des champs de liberté et a semé les graines de la rébellion contre les injustices sous toutes leurs formes.
MES SOUVENIRS DE LOUNES
De Lounès, je garde les souvenirs d’un homme attachant, drôle, émotif, sensible et d’une générosité inégalable. Lorsque j’ai fait sa connaissance, j’étais encore étudiant à Tizi-Ouzou dans les années 1980 et militant actif dans le comité des étudiants de l’Université de Tizi-Ouzou. Le soutien de Lounès pour notre combat était constant et sans réserve : toujours disponible pour animer des concerts de soutien, à mettre à disposition sa voiture, son matériel de sonorisation dont on se servait pour organiser des meetings populaires, présent en tête des marches que nous organisions…
Un jour, il m’a amené dans sa famille et leur a dit qu’à partir d’alors, en son absence, tout ce qui lui appartenait devait être mis à la disposition du comité des étudiants de Tizi-Ouzou, connu à l’époque sous le nom du C.C.U.H (Comité de Cité de l’Université de Hasnaoua).
Je garderais à jamais un souvenir magique le concernant. C’était un soir de Ramadhan, notre comité avait organisé un gala-meeting de soutien à quelques militants arrêtés par la Sécurité Militaire. Ce soir même, Kateb Yacine était venu assister à un concert donné par Cheikh Imam (chanteur engagé égyptien et adversaire acharné du régime) à la Maison de la Culture de la ville. Je suis monté voir Kateb Yacine pour lui demander s’il pouvait venir prendre la parole dans notre meeting. Kateb Yacine que je connaissais déjà dans le cadre de l’ACT (Association Culturelle des Travailleurs). Une heure après, Kateb Yacine est arrivé à l’Université, accompagné du grand moudjahid Ali Zaâmoum et d’une autre personne. A la vue de Kateb, Lounès s’est jeté dans ses bras, les larmes embuaient ses yeux. Des larmes de joie et d’émotion, tant Lounès vouait à l’auteur de Nedjma une admiration et une considération illimitées.
Que ton âme repose en paix mon frère.
Sgunfu Di talwit agma Lwanas.

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