La relation médecin-malade : Entre confiance, défiance et violence

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EL WATAN

FARID CHAOUI 
28 JUILLET 2020

Le gouvernement de notre pays, à l’initiative du président de la République, vient de promouvoir une proposition de loi sanctionnant très lourdement les agressions à l’égard du personnel soignant.

Nous ne pouvons que saluer l’intention à l’origine de cette loi de porter aide et protection de l’Etat à ce personnel particulièrement éprouvé par la survenue de cette pandémie qui n’en finit pas.

Néanmoins, nous pensons que cette loi risque d’être porteuse d’effets contraires qui la rendraient contre-productive.

L’initiative survient dans un climat exceptionnel marqué par la peur et le désarroi de la population qui subit de plein fouet les conséquences désastreuses de la triple crise sanitaire, économique et sociale et par l’épuisement physique et moral du personnel soignant soumis à une incroyable pression et payant le prix fort à cette pandémie.

Incontestablement, les phénomènes de violence s’exacerbent en nombre et en gravité dans les établissements de santé : la question est de savoir pourquoi et par quelle méthode il serait pertinent de traiter ce phénomène.

1- La confiance 

Tout étudiant en médecine reçoit au cours de ses études, avant d’être autorisé à exercer son art, un enseignement délivré par ses aînés concernant les règles éthiques et déontologiques qui régissent la profession. Cet enseignement était répété sans cesse par nos maîtres à l’amphithéâtre comme au lit du malade !

Il se terminait par une cérémonie de remise symbolique du diplôme au cours de laquelle le futur médecin doit prononcer un acte de foi où, devant ses aînés et ses pairs, il jure de respecter et de promouvoir les principes moraux qui gouvernent la profession et de ne jamais s’en écarter au risque de subir l’opprobre de ses pairs, voire d’être interdit d’exercer son métier de praticien.

Cette cérémonie a disparu de la tradition des écoles de médecine algériennes sous le prétexte de son caractère suranné et désuet, voire réactionnaire. Pourtant, les maîtres qui l’avaient instaurée, avec tout le cérémonial qui s’imposait, avaient comme but d’imprimer à chaque génération l’importance capitale de préserver et de défendre le rôle symbolique qu’occupe un médecin dans la société.

Sans la préservation du caractère sacré de la mission du «hakim», le métier de médecin risque de perdre toutes les valeurs qui font de cet art une contribution non pas seulement à soigner ou à guérir, mais aussi à renforcer la cohésion sociale en se portant au service des plus faibles et des souffrants.

Parmi ces valeurs, la plus importante à défendre et à préserver est la confianceハ: la confiance de la société vis-à-vis de la médecine et du médecin, mais aussi la confiance intime entre le malade et son médecin. Sans cette confiance inaltérable entre le praticien et son patient, aucun diagnostic ne peut s’établir avec certitude et l’échec thérapeutique est inévitable.

Des institutions comme les commissions de déontologie ou le Conseil de l’Ordre sont en principe érigées et dirigées par des pairs investis d’une mission sacrée : perpétuer cette tradition et préserver le rôle et la place du médecin dans sa société.

Force est de reconnaître, malheureusement, l’échec de ces institutions transformées en un pitoyable fonds de commerce. S’est installé depuis plusieurs années un délitement.

Par le délitement insidieux des valeurs morales et éthiques de la profession, mais aussi du fait de la dégradation constante du système de santé, s’est installé un relâchement continu de cette confiance entre soignants et soignés, mais aussi entre les pouvoirs publics, les praticiens et les usagers.

Faute d’avoir su apporter les réformes structurelles au bon moment, les conditions déplorables d’exercice des soignants et celles scandaleuses d’accueil des usagers ont mené à une situation de perte de confiance entre tous les acteurs du système : l’insatisfaction est générale, tant des personnels de santé, que de l’administration, des financeurs et bien sûr des usagers.

Et ce sont ces derniers qui payent la facture la plus lourde, devenus des intrus dans le système public de soins et des «clients» lourdement facturés dans le secteur privé.

La défiance 

Evidemment, le doute s’est installé à tous les niveaux : chez les professionnels de santé qui, gagnés par la lassitude et la démotivation, désertent pour s’exiler et passer dans le secteur privé au moins plus rémunérateur, chez les payeurs (Etat et sécurité sociale) qui estiment que la qualité du service n’est pas à la hauteur des sommes consenties et des usagers qui s’estiment être les dindons de la farce !

La suite logique de la perte de confiance est l’installation de la défiance : les tribunaux croulent sous le nombre vertigineux des plaintes, la presse dénonce les insuffisances et les abus, les réseaux sociaux diffusent à profusion des images impudiques et scandaleuses et les pouvoirs publics condamnent, renvoient des lampistes et se perdent dans des discours démagogiques, improductifs et finalement démobilisateurs.

La tension monte d’année en année et va, inévitablement, déboucher sur son issue inévitable : le passage à l’acte.

La violence 

Des facteurs additionnels sont nécessaires pour passer de la défiance à la violence : le principal est lié à notre histoire récente.

On ne peut échapper aux conséquences de 10 années de guerre civile sans conséquences sur la société. Lorsqu’une population a vécu les actes de barbarie que l’on a vécus dans les années 90’, lorsque l’Etat reconnaît la disparition de vingt mille Algériens dont plus de 7000 de son propre fait, lorsque tant de malheurs et de destructions se sont abattus si longtemps sur de pauvres gens qui ont tout perdu, et qu’en réponse à ce viol collectif de la conscience humaine on décrète de solder les comptes par une loi dite de «réconciliation nationale», on délivre un message subliminal à la société : la violence paye !

Lorsqu’on décide de ne pas condamner le bourreau et de ne pas rendre justice à la victime, on sème des germes de la violence !

Lorsqu’on condamne à la prison les harraga et qu’on amnistie des tueurs : la violence a proliféré et s’est enracinée dans la société.

Si l’on y rajoute le fonctionnement bancal de l’administration et de la justice, de la crise économique et sociale qui s’aggrave chaque jour durant : on cultive la violence et elle va se transmettre de génération en génération.

Les conditions sont donc réunies pour le passage à l’acte et ça peut aller vite et très loin !

De la loi sur les violences contre les soignants 

Si l’on admet ce qui précède : la question utile est : que faut-il faire ?

Première constatation : ce qui précède peut être appliqué à tout le corps social : nul n’échappe à la violence, ni les enseignants, ni les agents de l’administration, ni les journalistes, les femmes et les enfants et, parfois, rarement heureusement, les agents de la force publique.

Deuxième constatation : on s’attendait tout de même, compte tenu des discours dithyrambiques sur le dévouement exemplaire des personnels de santé dans la lutte contre la pandémie à ce que se développe au moins de la sympathie sinon de l’empathie forte à l’égard de ce corps de la part de la population. Ce sentiment a vite été balayé par l’énorme frustration de la population épuisée par le confinement, ruinée par la crise économique et découvrant l’état lamentable du service public, celui de la santé en étant une caricature.

Comment fallait-il réagir face à ce désastre ? Réprimer ou reconstruire la nécessaire confiance sans laquelle aucune solution durable n’est possible. Faut-il que moi, médecin, agressé par un malade en perte de boussole, peut-être en train de mourir, que j’en appelle à la force publique pour l’envoyer en prison pour 5 à 10 ans ?

Faut-il faire les mêmes lois pour protéger les enseignants, les femmes, les enfants… et finalement ériger un tribunal spécial contre la violence ?

Car, finalement, de quoi s’agit-il ? Il y a d’un côté une minorité de citoyens qui ont décidé d’en découdre pour forcer la porte des consultations aux urgences, et de l’autre côté une minorité de personnels de santé, dont des médecins, dont l’attitude dans l’exercice de leur métier est loin d’être à l’honneur de la profession. D’un côté comme de l’autre, le code pénal recèle largement des prescriptions suffisantes pour arbitrer et sanctionner selon la juste mesure de la loi.

S’il y a un travail à faire, c’est bien celui de rétablir le contact et la confiance entre les majorités de professionnels de santé consciencieux et responsables et celle des citoyens respectueux de la loi et des usages. Ce travail est essentiel, car il faut absolument stopper cette dérive qui ne sert l’intérêt de personne sinon de contribuer à briser davantage la cohésion sociale.

Cette loi ne participe pas à ce travail et risque de stigmatiser davantage les personnels soignants, en particulier les médecins, qui vont être identifiés non plus comme des alliés dans le combat contre la souffrance et la maladie, mais comme des intouchables coupés de la population qu’ils sont censés soigner ! Je le dis aux honorables responsables à l’origine de cette loi : un grand merci pour la sollicitude que vous venez d’exprimer à l’égard des personnels soignants, mais je crains fort que le traitement choisi soit porteur d’effets secondaires dévastateurs.

Je le dis à mes collègues : la répression est contre-productive, regagnons coûte que coûte la confiance de nos concitoyens par la parole et par des actes conciliateurs, il y va de la crédibilité de notre métier et de l’honneur de notre profession. Comme disait le bon vieux maître Montaigne : «Plutôt que de me faire craindre, je préférerais me faire aimer».

1 COMMENTAIRE

  1. Oui monsieur CHAOUI , la repression est contreproductive et n a jamais regle quoi que ce soit on en fait usage sous le coups des emotions aux moments ou surgissent les problemes et on evite soigneusement de faire le bilan de ces lois a la fin ….vous citez MONTAIGNE qui nous a legué des lecons de subtilites et nous a magistralement demontré que le savoir est toujours en mesure de transformer un gargantua en un enfant raffiné sans faire usage de la brutalite!
    mais…montaigne a t il eu un effet sur nos dirigeants qui ont toujours fait usage de la contrainte pour regler les problemes! le secteur de la santé a reussi au fil du temps a faire de lui un concentré des tares et des echecs successifs ….le secteur de la santé n a jamais fait l objet d un vrai bilans et d une exploration radiologique a la mesure des maux qu il traine…il est premature de lui faire l ordonnance sans avoir determine les nombreuses pathologies qu il traine….

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