L’affaire Khaled_Drareni, la fin du mirage de «l’Algérie nouvelle »

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Raouf Farrah

C’est une journée sombre pour la presse et la justice algériennes. Pour l’Algérie, tout court. Trois ans de prison ferme pour Khaled Drareni et deux années dont 4 mois ferme pour Samir Belarbi et Slimane Hamitouche. Le verdict est très lourd. Un journaliste et deux militants, les trois accusés des mêmes chefs d’inculpations, « atteinte à l’intégrité territoriale » et « appel à regroupement non-armé », ont écopé de sanctions différentes pour la même affaire, celle du 7 mars 2020.

Ce verdict, c’est la juge Wassila Ziyouche, sous l’injonction des maitres du pouvoir, qui le prononça. Son nom est désormais tristement célèbre, accolé à jamais à l’affaire « Drareni-Belarbi-Hamitouche ».

Par la gravité des peines, ce verdict est taillé sur les désirs du régime. Nous savions que la justice algérienne n’est pas indépendante. Nous connaissions la manière par laquelle elle a géré ce dossier et la réputation de ce magistrat. Nous savions à quel point les juges sont soumis à de fortes pressions pour appliquer des peines dictées au téléphone. Mais nous restons choqués, attristés, abasourdis par le fait que le régime ait osé condamner Khaled Drareni, journaliste professionnel, indépendant et l’un des meilleurs de sa génération, à un tel jugement.

Samir Belarbi et Slimane Hamitouche sont en liberté, mais Khaled reste dans les geôles d’un régime rancunier et sécuritaire. Il va demeurer dans sa petite cellule exiguë pour avoir simplement exercé son métier et permis à des millions d’Algériens, au pays et à l’étranger, de s’informer librement. 1089 jours de prison dans un dossier vide! C’est une peine plus lourde que celle prononcée contre le journaliste Mohammed Benchicou en 2004 sous la présidence Bouteflika.

À ce titre, Khaled dérange le régime à plus d’un point. Il incarne le parangon de la droiture, de l’éthique, de l’engagement, du travail, du patriotisme d’une jeunesse debout pour son pays. Khaled a été interrogé à plusieurs reprises par la police comme un vulgaire criminel. Il a été harcelé par les services, chez lui et dans les locaux de son média. Il a été mis en détention préventive abusive.

Il n’y a pas photo, Khaled gêne le régime. Son compte Twitter était suivi aux quatre coins du monde. Sa couverture des marches fut objective – il a même couvert la marche de l’hommage au défunt Gaid Salah-. Son sérieux faisait de lui l’exemple d’un journaliste respecté par ses pairs et adulé par les citoyens. Son engagement dans la société civile et au sein de l’Initiative-22 février fut plein et sans fioritures. Il a été, sur tous les plans, un acteur organique du mouvement populaire.

C’est pour toutes ces raisons que le « monde du journalisme » ne peut passer sous silence une telle injustice, un tel déni du droit d’exercer le métier de journaliste. Khaled Drareni, Abdelkrim Zghilèche, Ali Djamel Toubal, Belkacem Djir, Said Boudour sont en prison. D’autres subissent l’acharnement des services de sécurité comme Mustapha Bendjema à Annaba. Ils doivent être soutenus par leur corporation et les citoyens. Les journalistes algériens doivent non seulement se soutenir mutuellement, mais aussi exposer aux yeux du monde la violence d’un régime politique agonisant qui, chaque jour, tente de museler les journalistes et les citoyens investis dans le Hirak et réduire les espaces de citoyenneté.

L’« Algérie nouvelle » vendue par les représentants du régime est un cauchemar aux antipodes des aspirations de justice, de liberté et de dignité, défendues avec exemplarité durant le mouvement populaire. La justice demeure, malgré les appels à la raison et au changement pacifique, un appareil de domination, de subordination. Des lois scélérates s’appliquent à l’encontre d’un vrai régime de droit. L’arbitraire transperce les jugements, toujours au nom des vieilles accusations d’atteinte à la sécurité nationale.

Nous sommes en août 2020. Sept mois depuis le passage en force des élections illégitimes 12 décembre, le régime a parfaitement réussi tous ses échecs. Il n’a ni réussi à tendre la main au Hirak, ni géré de manière cohérente la crise sanitaire, ni engagé des réformes structurelles qui peuvent. Chaque jour, il démontre aux Algériens la plénitude de sa médiocrité, de son incompétence et de son illégitimité.

Les raisons qui ont poussé les Algériens à se mobiliser massivement pendant plus d’une année sont toujours présentes, à la différence qu’aujourd’hui le temps coule…et les sentiments d’injustice et de frustration s’exacerbent. Un bouillonnent sans précédent traverse toutes les couches de la société.

Tôt ou tard, dans un avenir très proche, l’heure de la révolte sonnera. Elle sera pacifique, mais massive et irruptive. Le mouvement populaire a eu la sagesse de suspendre temporairement les marches depuis la mi-mars, mais le sort réservé à Khaled Drareni, aux détenus et aux militants, au pays et à son économie, aux classes les plus défavorisées, fera couler la lave du volcan plus tôt que prévue.

Raouf Farrah
lundi 10 août 2020

3 Commentaires

  1. Désormais, le 10 août 2020 est un tournant historique du processus révolutionnaire pour l’indépendance de l’Algérie:
    1/ Le régime vient enfin d’assumer au grand jour et aux yeux du monde entier sa nature tyrannique et dictatoriale.
    2/ Le Hirak retrouve un nouveau souffle avec sa nouvelle icône Monsieur Khaled DRARENI qui précipite le suicide du pouvoir en place.

  2. Il est clair que le contrôle politique exercé par un régime policier est fondamentalement arbitraire. Le Hirak doit reprendre encore plus fort pour chasser un régime autoritaire centré sur la seule prédation; d’Adèle raison d’être.

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