Les élites intellectuelles et le Hirak.

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Meryem Belkaid

https://www.meryembelkaid.com/

Un slogan et tout bascule. Ou du moins veut-on nous le faire croire.

Moukhabarat irhabiyya.

Le slogan choque, émeut, interroge. C’est en général l’objectif recherché.

Mais là, on a soudain jeté l’anathème sur tout un mouvement qu’on accuse de porter atteinte aux institutions nationales. On s’est mis par ailleurs à faire de la sémantique en disant que traiter le pouvoir d’assassin ce n’est pas la même chose que de traiter les services secrets de terroristes car c’est franchir un pas inacceptable. Pourtant, « pouvoir d’assassin » était déjà de l’ordre de l’hyperbole, comme le sont beaucoup de slogans qui émaillent l’histoire depuis « CRS SS » à « ACAB » (All cops are bastards), en passant par « no justice, no peace ». Alors, on fait même de la philologie en essayant de remonter la chaîne et situer la date et le lieu de naissance du slogan qu’on prête à une mouvance islamiste dont il est pour le moment peut être facile de mesurer le pouvoir de nuisance, mais plus difficile de quantifier le poids. On franchit un pas supplémentaire dans l’extrapolation, en sous-entendant que le slogan veut nous pousser à relire la décennie noire sous le prisme du polémique « qui tue qui ? ».

Naïf, le Hirak serait donc infiltré par les islamistes de la mouvance Rachad qui le rendrait à la fois caduque voire même dangereux. On ne pose aucune autre alternative que celle d’un mouvement noyauté par des forces obscures. On ne se dit pas que pour beaucoup de manifestants, notamment ceux qui n’ont pas vécu les années 1990, ce slogan n’est probablement pas l’arbre qui cacherait la forêt islamiste ou les plaies encore ouvertes de la décennie noire. On omet que les tortures que Walid Nekiche a subies ont vivement ému nombre de Hirakistes, jeunes et moins jeunes. On oublie que le slogan fait peut-être surtout référence aux crimes dont n’a jamais répondu la sinistre Sécurité militaire au fil de notre histoire. On oublie les tortures. On oublie octobre 1988. Les pages sombres de notre passé récent.

Ce slogan n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce qui semble devenir une tendance forte, à savoir critiquer tous azimut le Hirak, notamment depuis sa reprise le 22 février dernier à Alger et la semaine précédente à Kharata. Cette tendance qui cible le Hirak et donne la forte impression – plus ou moins avérée – d’épargner le régime, se justifie constamment en rappelant que la critique est nécessaire, oubliant que le rôle des élites intellectuelles n’est pas de systématiquement jeter l’anathème sur un mouvement mais de s’efforcer à créer du sens à partir d’un événement qui interpelle. Or on ne peut créer du sens à partir d’éléments peu fiables et d’approximations comme « les islamistes » et autres généralisations comme la naïveté ou l’amateurisme des revendications scandées par les manifestant.e.s. Le rôle de l’élite intellectuelle est surtout d’attaquer ceux qui sont responsables de la situation de crise dans laquelle se trouve notre pays. Le Hirak ou le régime ? On est étonné que la question se pose réellement !

L’élite intellectuelle doit par ailleurs se garder de tout populisme. Puisqu’elle évolue le plus souvent dans un environnement propice à la réflexion, l’élite a toujours un avantage lorsqu’il s’agit d’expliquer des phénomènes mais aussi de déconstruire des systèmes de croyance erronés ou bancals. Œuvrer pour le bien commun, ce n’est pas prétendre être proche du peuple ou mieux le connaître ou mieux le comprendre, c’est être au contraire conscient de ses avantages en tant que membre de l’élite et en user toujours avec humilité. On présente souvent l’humilité comme une qualité tournée sur soi : je suis humble car j’ai conscience de mes limites. Or l’humilité n’est pas seulement cela, elle est aussi une humilité tournée vers les autres. Celui qui fait preuve d’humilité intellectuelle, tout en étant conscient de sa supériorité épistémologique – et peut-être même à cause de cette supériorité – ne s’agace pas d’être peu entendu ou mal compris, n’œuvre pas à imposer ses vues aux autres et encore moins à mépriser les autres parce qu’ils n’adhèrent pas à ce qu’il considère comme les bonnes croyances. Il doit rester dans une optique de partage voire même, pour user d’un mot qui risque de surprendre, de générosité.

L’élite intellectuelle doit produire. Généreusement. Des textes, des manifestes, des articles, des documentaires, peu importe au fond. Elle doit prendre le temps et le risque de développer sa pensée, de faire des propositions même si celles-ci ne retiennent pas l’attention de tous les protagonistes du Hirak.

Enfin une élite intellectuelle digne de ce nom est celle qui consciente de ses avantages à la fois épistémologiques mais surtout économiques et sociaux est prête à les sacrifier pour faire ce que l’Etat algérien miné par un régime à l’agonie se refuse à faire: organiser et unifier la réalité et la rendre viable pour l’ensemble de la population algérienne. Une élite intellectuelle n’en est une que si elle s’expose et se met en danger en combattant les ennemis de la liberté. Or l’ennemi prioritaire est le régime algérien, ses institutions dysfonctionnelles et corrompues, ses choix économiques catastrophiques et ses manquements graves au bien être commun.

1 COMMENTAIRE

  1. De quelles élites intellectuelles parlons-nous ? De celle qui est en Algérie ? C’est une élite corrompue et affairiste. Celle de l’étranger n’est pas soudée et suspicieuse.
    La vraie élite se retrouvent chez ces jeunes  »zawalis » qui portent des slogans qui déchirent la peau et font sursauter les morts. Pas besoin d’analyses profondes: TROUHOU GAA, C’EST GAA pas besoin de revenir sur un lourd passif et faire le procès de chacun. DAWLA MADANIA a tout son sens: Le problème se trouve dans les casernes. travers ces slogans l’histoire de l’Algérie a été résumée dans la rue au vu et au sus de tout le monde entier. Pas besoin de livres, ni de conférences.

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