L’Emir Abdelkader, un homme, une foi, un engagement…

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Youcef L’Asnami

Il y a 139 ans presque jour pour jour que l’Emir Abdelkader mourut en exil à Damas à l’âge de 75 ans.

Le Mucem de Marseille lui consacre une exposition du 6 avril au 22 aout 2022. Il est exceptionnel de voir une exposition aussi longue dans ce musée, « née d’une rencontre entre le père Christian Delorme, qui s’intéresse à la figure d’Abd el-Kader depuis une quinzaine d’années, et Jean-François Chougnet, le président du Mucem » suite à leur rencontre à Amboise, lieu de captivité de l’Emir.

Le nombre de tableaux, écrits de l’Emir ou de ceux qui l’ont côtoyé, combattu ou défendu, d’objets personnels, de films, de diaporama… impressionne le visiteur qui doit passer au moins la journée pour tout voir. Seule une toile relative à la Prise de la Smala, conservée au musée de Versailles n’a pu être acheminée du fait de l’immensité de ses dimensions (21×5,5 m)

La fascination qu’exerce l’Emir sur le public français est à la hauteur de ce prestigieux résistant dont les qualificatifs sont aussi riches que diversifiés : fondateur de l’Etat algérien, père de la nation, Résistant au colonialisme, Homme d’Etat, Saint, Savant Soufi, Prince parmi les Saints, Saint parmi les princes…

« Ne demandez jamais quelle est l’origine d’un homme ; interrogez plutôt sa vie, son courage, ses qualités et vous saurez ce qu’il est. Si l’eau puisée dans une rivière est saine, agréable et douce, c’est qu’elle vient d’une source pure » : c’est la réponse qu’aurait faite l’Emir suite à une question relative à sa généalogie.

La vie de cet Homme, mort le 26 mai 1883, est d’une richesse inouïe. Considéré par les Algériens comme l’un des premiers résistants aux colons militaires français, il bénéficie d’une aura nationale et maghrébine digne de son parcours.

En juillet 2015, j’ai eu l’occasion de visiter le château d’Amboise, une petite ville de 14 000 habitants, non loin de Tours et située à 1300 Km de Mascara à vol d’oiseau ! Après la prise de la “Smala” de l’Emir Abdelkader par le duc d’Aumale en 1843, et après une ultime résistance à la colonisation française qui aura duré quatre ans, l’Emir « se rend » en 1847 à la France. Emprisonné à Toulon puis à Pau il est ensuite assigné à résidence au Château d’Amboise avec sa famille, des khalifes et des domestiques. Certains avancent le chiffre de 97 personnes, dont sa mère, deux de ses beaux-frères, ses trois femmes et ses deux fils. D’autres rapportent que sa suite était composée de 88 personnes. L’émir aurait passé quatre ans dans ce lieu, de 1848 à 1852. Il avait alors 44 ans !

Sur cette période de notre histoire, la version officielle de l’Etat algérien – sur l’ex site de la Présidence- souligne que :

« … le pays est ruiné, les tribus sont épuisées, le soutien du Maroc fait défaut. L’Emir décide d’arrêter la guerre et choisit l’exil (décembre 1847). Le Gouvernement français accepte de le transporter en Orient. ».

Le château est composé de nombreuses chambres situées sur plusieurs étages dont seuls les deux premiers sont accessibles au public. Les seules traces de l’Emir dans le château sont deux portraits de lui : un dessiné au fusain et une photographie située au « Salon de musique » du 2eme étage !

En revanche, un magnifique jardin conçu par un certain Rachid Koraïchi, un architecte paysagiste algérien, a été dédié à l’Emir, sur les hauteurs du château. Ce jardin fut réalisé à la mémoire des membres de la suite de l’Emir, et comprend un monument funéraire surmonté d’un croissant à côté des 25 stèles en pierres d’Alep, gravées d’écritures en arabe extraites du Coran faisant référence à la paix et à la tolérance, mais aussi de l’identité de chaque défunt. »

Ce jardin porte le nom de « jardin d’Orient » duquel on a une magnifique vue sur La Loire !

Seuls les non-voyants sont exceptionnellement autorisés à toucher les pièces de collection et les décorations qui ne présentent pas de fragilité. Pour les malentendants, une visite vidéo-guidée en langue des Signes Française est proposée.

« Sachez que l’homme intelligent doit considérer la parole et non la personne qui l’a dite. Car si cette parole est une vérité, il doit l’accueillir de celui qui l’a dite fût-il réputé grave ou frivole. L’or s’extrait du sable, le narcisse de l’oignon, la thériaque des serpents et la rose des épines.

L’intelligent connaît les hommes par la vérité, et non la vérité par les hommes ; car la parole du sage est errante, et l’intelligent la pend de tout homme chez lequel il la trouve, humble ou élevé ».

Cet extrait du livre qu’écrivit l’Emir Abdelkader en 1855 et intitulé « Rappel à l’intelligent, avis à l’indifférent » en dit long sur le personnage dont on sait peut-être plus sur le chef militaire qu’il était que sur le philosophe et le sage.

Ce livre, rédigé « à la hâte » comme le précise l’Emir dans sa note au traducteur, est destiné prioritairement aux intellectuels français.

–         La première partie est consacrée à la philosophie et la religion, où il est question de l’athée, du sceptique, du monde présent et futur, du certain et de l’incertain ….

–         la seconde partie est consacrée à l’écriture, l’histoire et l’ethnologie où il est question des perses, des arabes, des indiens, des romains, hébreux….

Ce livre a donc été écrit trois ans après sa libération du Château d’Amboise où il aura vécu, enfermé, pendant quatre années avec sa suite (femmes, enfants, cousins, parents dont un domestique portant le nom de Habib EL Meddah !).

La liste de sa suite est consultable dans un recueil de correspondances que l’Emir adressait aux gouvernants et militaires français qui donnent une parfaite idée de sa vision du monde.

C’est dans cette correspondance que l’Emir fait état du non-respect des accords signés avec le colonisateur, des promesses non tenues, de la manipulation de l’information etc.

Fin stratège militaire, Churchill disait de lui que « Sa stratégie fut, non pas d’adopter un système d‘attaques combinées contre les français… mais d’attiser l’esprit de rébellion dans toutes le parties de la régence en vue de maintenir les Français en continuel état d’alerte, par ses apparitions météoriques dans des districts apparemment soumis, de ressusciter des hostilités apparemment éteintes, et, ensuite, grâce à la rapidité de ses manœuvres, de déjouer toutes les mesures prises pour s’y opposer. ».

Homme profondément pieux, mais très ouvert d’esprit et d’une grande tolérance, l’Emir aura été l’objet de très nombreuses publications aussi bien du coté français que du coté algérien au point où Gustave Flaubert n’hésité pas à confondre « l’Emir » avec l’ « Emir Abdelkader » !

Près de 250 documents relatifs à l’Emir et issus de différentes origines publiques ou privées ont été réunies dans un immense espace pour la grande joie du public mais aussi des écoliers, collégiens et lycéens venus en nombre.

L’ensemble des œuvres exposées ont fait l’objet de la parution d’un livre « Abdelkader » qui rappelle en page de couverture « Émir de la résistance à la conquête française, fondateur du premier État algérien, précurseur du droit des prisonniers en temps de guerre, homme de paix entre l’Europe et l’Islam, mystique soufi entre tradition et modernité » et en préface cet extrait :

« L’exposition (…) vise à montrer cette complexité d’Abdelkader, constitue plus que jamais une figure de référence importante entre la France et l’Algérie, deux pays marqués par une histoire et un destin communs mais dont les relations sont comme on le constate chaque jour, faites d’amour et de tensions, et de beaucoup d’incompréhensions »

Et de se terminer par ce poème de Victor Hugo 

Lui, le sultan né sous les palmes

Le compagnon des lions roux,

Le hadji farouche aux yeux calmes

L’Emir pensif, féroce et doux.

« Orientale », Les châtiments, Jesey, 1852

Lorsqu’on a pris le temps de lire l’histoire de l’Emir, ses écrits, sa philosophie, sa stratégie, on ne peut que ressentir une légitime fierté !

Il serait souhaitable que la même exposition soit faite en Algérie, à Mascara ou Alger ou toute autre ville pour faire découvrir ce grand humaniste à nos jeunes.

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