Algérie : «C’était une véritable chasse à l’homme, d’une violence inouïe»

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Par Amaria Benamara, correspondance à Alger — 14 décembre 2019 à 12:38
Libération.fr

Manifestations contre les résultats de l'élection présidentielle, vendredi à Alger.
Manifestations contre les résultats de l’élection présidentielle, vendredi à Alger. Photo Ramzi Boudina. Reuters 

Près de 400 personnes ont été arrêtées à Oran lors de la marche, désormais traditionnelle, du vendredi. Les manifestants rejetaient l’élection d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence, lors du scrutin controversé de jeudi.

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«Les gens ont été embarqués, frappés, sans aucun motif. Et les groupes de cinq à dix personnes dispersés à coups de matraques et de gazage… C’était violent. Oran a connu la terreur», raconte Samira, jeune militante oranaise, encore sous le choc des deux journées de répression qui viennent de se dérouler dans sa ville, la deuxième du pays, située à 400 km à l’ouest d’Alger.

Selon la Ligue algérienne des droits de l’Homme (LADDH), près de 400 personnes ont été arrêtées lors de la marche, désormais traditionnelle, du 43e vendredi de rassemblement national à Oran. La contestation portait sur le rejet des résultats de l’élection présidentielle, elle-même très controversée, qui s’est déroulée jeudi. Avec cinq candidats en lice, les urnes ont donné vainqueur Abdelmadjid Tebboune, 74 ans, ancien Premier ministre, avec un résultat officiel de 58% des voix. Au soir de l’élection déjà, des échauffourées et des arrestations ont été recensés à Alger et dans certaines localités de la Kabylie, région frondeuse et entièrement acquise au rejet de l’élection.

«Violence bestiale»

Mais c’est à Oran, cité réputée pour sa douceur de vivre, capitale de la musique raï et des cabarets que la répression a été la plus importante, vendredi au lendemain de l’élection. «C’était une véritable chasse à l’homme, d’une violence inouïe. Moi, on m’a attrapé parmi les premiers. Je n’ai pas été frappé mais j’ai vu des gens au commissariat se faire frapper d’une violence bestiale par les policiers. Même un homme de 70 ans. C’était honteux !» témoigne Imad (le prénom a été modifié), jeune Oranais, encore sous l’émotion. Samira relate quant à elle des scènes de «courses-poursuites des têtes du Hirak, les plus connus des militants». «Des enfants ont été frappés. Tout ça pour casser le Hirak à Oran», accuse-t-elle.

Comme ces dernières semaines, vendredi en début d’après-midi, les protestataires s’étaient donné rendez-vous sur la Place d’armes, dans le centre-ville d’Oran. «Le premier rassemblement a été réprimé. Plusieurs arrestations ont eu lieu. Puis il a été décidé par le collectif militant d’Oran de retenter de se rassembler pacifiquement dans un autre lieu». Réunis à nouveau dans le centre-ville, les manifestants se sont alors retrouvés comme «pris au piège», d’après de nombreux témoignages et des vidéos circulant massivement sur les réseaux sociaux.

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«Les policiers en tenue et en civil ont envahi le centre-ville. Beaucoup ont été piégés dans les ruelles… Les fourgons se remplissaient avec tous ceux qu’ils pouvaient attraper, sans distinctions femmes et hommes. Ceux qui portaient les drapeaux étaient embarqués les premiers. Tous ceux qui avaient un téléphone pour filmer étaient violemment embarqués et leurs portables confisqués», poursuit Samira, qui affirme n’avoir jamais assisté à une telle situation dans sa ville.

«Maintenant la méfiance s’installe. Et la peur»

En début de soirée, un post «Je suis Oran», en lettres rouges sur fond noir, était également très relayé sur Internet. Une journée vécue comme un traumatisme, notamment pour les militants oranais du Hirak, nom du mouvement populaire, particulièrement ciblés par les arrestations : «Au café les gens se regardent avec méfiance. Il y a beaucoup de nouvelles têtes, des non-habitués. Maintenant la méfiance s’installe. Et la peur…» ajoute Samira, qui a elle aussi failli être arrêtée dans un café avec une amie.

La plupart des personnes interpellées ont été relâchées dans la soirée de vendredi. La majorité des réactions, dans la presse indépendante et sur les réseaux sociaux, portent sur l’incompréhension d’une telle répression, dans une cité d’ordinaire habituée au calme.

«Pourquoi Oran ?» questionne Fayçal Sahbi, sémiologue et maître de conférences à l’Université d’Oran, sur son mur Facebook. L’universitaire avance une explication, qui serait propre à la sociologie du mouvement de contestation dans la capitale de l’Ouest : «Beaucoup évoquent le projet de réduire le champ du Hirak à la Kabylie ou à Alger comme explication à ce qui s’est passé aujourd’hui à Oran. […] Je ne connais pas très bien les autres villes, mais à Oran, le Hirak est plus homogène, plus compact, peut-être même plus structuré et où l’on peut dégager, plus ou moins facilement, des représentants.»

L’importante répression à Oran, au lendemain même de l’élection contestée d’un nouveau président dans le pays, n’augure rien de rassurant pour les militants du mouvement populaire. Déterminés à conserver le caractère pacifique, ils évoquent désormais une «saison 2» de ce que seront désormais leurs actions de protestations.

Amaria Benamara correspondance à Alger

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