La communication du président ou l’art de marquer contre son propre camp

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 24 Janvier, 2020

Redouane Boudjema
https://www.radiom.info/

Rencontre du président Tebboune avec des responsables de médias (DR)

La rencontre, mercredi dernier, entre le président Abdelmadjid Tebboune et les directeurs et rédacteurs en chefs de médias publics et privés a révélé la légèreté avec laquelle est traitée la présidence en tant qu’institution et le journalisme en tant que métier. L’indice d’une grande impasse dans la conception de la communication institutionnelle et politique et dans la perception de la profession de journaliste chez nombre de ceux qui sont censés y appartenir.

Le niveau basique de la définition de la communication institutionnelle est l’ensemble des activités et outils de communication mis en oeuvre pour défendre la réputation et l’image d’une institution ou des personnes dans l’institution ou bien l’organisation d’évènements par une institution. On a ainsi des bataillons d’experts en communication dans toutes les institutions dans le monde qui oeuvrent à organiser, pour leurs responsables en premier lieu, des conférences de presse ou des rencontres avec les médias. 

Cela se fait lorsqu’il y a des choses importantes à transmettre au public et pour que ces nouvelles puissent parvenir, ces experts oeuvrent à préparer les outils; et à lever autant que faire se peut tout ce qui pourrait constituer une nuisance dans la perception du message par le destinataire. Ils oeuvrent à préparer le responsable concerné à faire face à toutes les questions –  y compris les plus désagréables – à travers une simulation où ils campent le rôle des journalistes les plus féroces. 

De ce point de vue, comment lire ce qui s’est passé mercredi? 

Sur le plan de la communication institutionnelle et politique, il est certain que ceux qui étaient en charge de la communication ont créé par eux-mêmes de nombreux éléments de nuisances au message que le président et son équipe ont essayé peut-être de transmettre. 

La première nuisance est l’absence de direct. Dans de nombreux pays, y compris les moins développés, on évite ce choix de communication pour la personne du président. Le direct permet de donner au récepteur un sentiment de spontanéité et  transparence. Cela n’est pas vrai le plus souvent, mais le choix du direct est adopté pour éliminer un élément de nuisance au message que l’on veut transmettre. 

La seconde source de nuisance, mercredi, a résidé dans le montage. Il est clair que celui qui a fait le montage était pressé par le temps et par les chargés de la communication présidentielle, lesquels ont apparemment considéré que certains propos, signes et gestes et angles de prise de vue étaient nuisibles à la personne du président.

Aussi, sous l’effet de cette pression, nous avons eu ce montage qui a donné une mauvaise image de l’intervenant et de l’institution, et de l’Algérie car l’image du président est censé faire partie de son image. 

Le troisième élément de nuisance a été le décor. Le choix qui a été fait relève de l’amateurisme – révélateur de la médiocrité installée dans l’ensemble des appareils – couleurs de tapis et leur abondance, l’angle de la table avec des chaises vertes vides… et d’autres. Autant d’éléments qui distraient le récepteur du message pour le pousser  à s’intéresser davantage au carnaval des couleurs. 

Le quatrième élément de nuisance réside dans la composition des directeurs et rédacteurs en chef qui ont rencontré le président. La première remarque à faire est l’absence de femmes alors que le métier de journaliste s’est fortement féminisée. Ce qui s’est passé mercredi donnait l’impression que nous étions dans les années 60 et 70 du siècle dernier. Sans compter que la plupart de ces directeurs sont connus pour être des propagandistes de tous les choix du pouvoir, de Zeroual à Bouteflika à Bensalah…  Les mimiques et les visages de beaucoup d’entre eux étaient celles d’attachés de presse – et non de journalistes – dont la mission est d’exprimer de l’ébahissement à l’égard de ce que dit le président… Et c’est là, la plus grande des nuisances au message que l’on voulait transmettre. Leurs questions, leur manière de parler donnaient le sentiment que le métier de journaliste en Algérie est synonyme de propagande… Les questions, du moins celles qui ont été diffusées, ont ainsi abusé de remerciements et hommages au président pour leur avoir ouvert le palais présidentiel. Certains journalistes hochaient de la tête en signe d’approbation de ce que disait l’orateur.

Le cinquième élément est l’absence de message. L’apparition du président était une fin en soi, exactement comme le dernier scrutin a été un but en soi. Il n’y avait de ce fait aucun besoin de cette rencontre du point de vue de la stratégie de communication institutionnelle.  Si l’objectif de la communication institutionnelle n’a pas été atteint, cela tient à l’absence de vision d’Etat et à l’absence de projet. La sortie de mercredi, au contraire de ce qui était escompté, a été nuisible à la personne du président, à l’institution qu’il représente et à l’image de l’Algérie dans son son ensemble. 

L’image du président était semblable à celle d’une équipe qui joue sur son terrain avec un arbitre acquis, en l’absence totale du public de l’équipe adverse et qui échoue à marquer le moindre but alors que le chemin des filets était ouvert. Pire, ce qui est arrivé est que cette équipe a marqué contre son propre camp malgré tout les moyens mobilisés. En un mot, l’esprit d’équipe était inexistant car il n’y avait ni projet, ni vision et qu’il n’est pas possible de remplir du vide par du vide.

Traduit par la rédaction – Article original

1 COMMENTAIRE

  1. La conclusion de cet article est drôle et superbe.Chapeau pour son auteur.Enquel que sort c’est l’adage populaire qui vient à l’esprit:joueur et arbitre en même temps.Ou comme le dit le proverbe kabyle: Qui a vanté tes louanges ô mariée ? -C’est maman en présence de ma tante.

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