« Khaled Drareni est accusé, sans base réelle et hors de tout sens commun »

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Le Monde en ligne, 21.9.20

Signataires : Olivier Abel, philosophe ; François Burgat, politologue ; Christian Delacroix, historien ; François Dosse, historien ; François Gèze, éditeur ; Olivier Mongin, directeur de la revue  Esprit  ; Pierre Nora, éditeur et historien ; Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue.

Le journaliste a été condamné à deux ans pour avoir raconté le Hirak, le grand mouvement démocratique qui secoue l’Algérie. Huit intellectuels français appellent Emmanuel Macron, dans une tribune au « Monde », à intervenir auprès de son homologue Abdelmadjid Tebboune.

Tribune. A l’heure où la France et l’Algérie semblent avancer sur la voie de la pacification de leurs mémoires respectives, nous ne pouvons pas ne pas réagir à la décision inique qui vise le journaliste algérien Khaled Drareni, condamné à trois ans de prison ferme par le tribunal de Sidi M’hamed (centre d’Alger), peine qui vient d’être confirmée et ramenée à deux ans ferme, pour avoir exercé son métier de journaliste. Il a en effet rendu compte du Hirak qui a mis un terme à la parodie de pouvoir que représentait Abdelaziz Bouteflika, sans changer encore la réalité du régime militaro-policier.

Khaled Drareni est accusé, sans base réelle et hors de tout sens commun, d’« incitation à un attroupement non armé », alors que les dirigeants politiques actuels ont bénéficié du vaste mouvement de contestation qui s’est déployé en Algérie depuis le début 2019. Dans un esprit de surenchère grotesque qui tient d’Ubu roi, il est aussi accusé d’« atteinte à l’intégrité du territoire national ».

Arrêté à plusieurs reprises pour avoir couvert avec enthousiasme le Hirak, Khaled Drareni a refusé de céder aux menaces et aux intimidations. Doit-il payer de deux années de prison ferme le simple fait d’avoir exercé son métier : informer les citoyens de son pays avec une honnêteté professionnelle exemplaire ?

Sagesse

Nous ne pouvons avaliser par notre silence un tel déni de justice. François-René de Chateaubriand (1768-1848) qualifiait la passivité face à l’injustice de « silence de l’abjection ». C’est contre ce silence qu’un historien comme Pierre Vidal-Naquet avait dénoncé l’utilisation de la torture par l’armée française pendant la guerre d’Algérie, et engagé une enquête pour connaître la vérité sur la disparition du mathématicien Maurice Audin (1932-1957). Le combat pour la vérité et la liberté de la presse s’incarne aujourd’hui dans la défense de la liberté d’expression mise en cause par l’incarcération de Khaled Drareni.

C’est pourquoi nous demandons instamment au président Emmanuel Macron d’intervenir avec détermination auprès du président algérien Abdelmadjid Tebboune pour faire libérer Khaled Drareni. Il y va de l’honneur de la France de contribuer à faire libérer celui qui est devenu le symbole de la liberté d’information bafouée par sa condamnation.

Cela s’inscrirait dans la droite ligne de la décision courageuse du chef de l’Etat de reconnaître la responsabilité de l’Etat français dans l’assassinat de Maurice Audin en 1957. Et tout autant dans celle de la déclaration solennelle de 2017, quand Emmanuel Macron, alors candidat, avait qualifié à Alger, au micro précisément de… Khaled Drareni, la colonisation de « crime contre l’humanité ».

Cette déclaration, aux antipodes d’une posture arrogante et héritière de la colonisation, ne donnera que plus de poids à une intervention du président français auprès de son homologue algérien, dont on peut espérer qu’il saura prendre une décision de clémence qui relève de la sagesse et du respect des droits de l’homme.

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