Algérie-Maroc, les enjeux de la rupture

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L’Algérie a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc. Ce n’est que le dernier épisode d’une longue crise de confiance entre les deux pays, qui remonte aux années 1960 mais qui s’est approfondie avec le conflit au Sahara occidental.

ÉCONOMIE RELATIONS INTERNATIONALES > KHADIJA MOHSEN-FINAN > 31 AOÛT 2021

Fadel Senna, Ryad Kramdi/AFP

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C’est peu dire que les relations entre l’Algérie et le Maroc ont toujours été belliqueuses, chargées de tensions et ponctuées de conflits. En 1963, la guerre dite «des sables», portant sur le tracé frontalier en attestait déjà. Pour les dirigeants de ces deux grands États du Maghreb qui se disputent le leadership régional, la construction de l’ennemi extérieur reste un moyen de consolider leurs régimes politiques, en tous points opposés, et de raviver un nationalisme combien utile à la cohésion de la nation.

À partir de 1975, la compétition pour le leadership régional se cristallise sur le dossier du Sahara occidental, provoquant une rupture des relations diplomatiques entre 1976 et 1988. En 1994, la conflictualité n’a pas été dissipée avec le temps. Driss Basri, ministre marocain de l’intérieur, a laissé entendre que les services secrets algériens pouvaient avoir commandité l’attentat terroriste d’un hôtel à Marrakech qui a fait deux victimes espagnoles. Il instaure des visas d’entrée pour les Algériens et organise une campagne d’expulsion d’Algériens installés au Maroc, sans carte de séjour. La riposte d’Alger est sans appel, la frontière terrestre est fermée et le demeure encore — même s’il existe une forte contrebande — 27 ans après les faits, malgré les demandes d’ouverture du roi Mohamed VI.

LES OUVERTURES RATÉES D’ABDELAZIZ BOUTEFLIKA

Abdelaziz Bouteflika a tenté de rompre cette spirale de tensions et de ruptures. À peine élu, en 1999, il se rend aux obsèques de Hassan II, évoque les avantages d’un Maghreb débarrassé de ses vieux conflits et opte pour un climat de détente nécessaire pour aller de l’avant dans le développement de la région. Mais il a été choisi par l’armée algérienne pour être à la tête de l’État et ne peut ignorer les principes fondamentaux mis en place par les militaires qui gèrent la relation entre l’Algérie et le Maroc. Pour écrire une nouvelle page d’histoire, débarrassée des tensions récurrentes, il doit constamment ménager la chèvre et le chou, en réaffirmant régulièrement le soutien algérien à l’autodétermination du Sahara occidental. Un jeu d’équilibrisme qui ne satisfait pas la classe politique marocaine.

En 2005, le ministère marocain des affaires étrangères fait savoir au premier ministre algérien Ahmed Ouyahia que sa visite n’est pas opportune, dans la mesure où certaines déclarations vont à l’encontre des objectifs de la normalisation des relations entre les deux pays. En effet, le président Bouteflika a adressé un message de soutien au Front Polisario, réaffirmant le droit à l’autodétermination des Sahraouis. Depuis, aucun premier ministre algérien ne s’est rendu au Maroc. Ces tensions permanentes, devenues inhérentes aux relations entre les deux pays, indiquent que la rivalité entre les deux grands États du Maghreb pour le leadership régional n’a jamais été dépassée et que le recours aux mêmes méthodes d’affrontement du pays voisin, considéré comme ennemi, est toujours observable, malgré un environnement régional qui se modifie en profondeur.

L’AXE WASHINGTON-TEL AVIV-RABAT

L’accord donné par le Maroc, le 22 décembre 2020 à une normalisation de ses relations avec Israël en contrepartie de la reconnaissance des États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental a créé un déséquilibre dans la relation entre les deux grands États du Maghreb. Il signe d’abord l’échec de l’Algérie qui appuie le Front Polisario depuis 1975. En effet, même si l’administration Biden n’a pas confirmé cette reconnaissance du Sahara occidental et que l’Union européenne conserve un silence éloquent sur cette question, les Algériens savent que c’est une question de temps et que le Maroc se verra bien octroyer ce territoire, au mépris d’un processus de résolution du conflit saharien confié aux Nations unies depuis 1991. Par-delà cet échec, l’Algérie n’a plus prise sur son ennemi et rival marocain. Aujourd’hui, le Maroc n’opère plus prioritairement dans le cadre du Maghreb, et son ambition n’est plus d’être leader au Maghreb, mais en Afrique.. La normalisation de ses relations avec Israël lui donne les moyens de ses nouvelles ambitions.

En aidant Israël à retrouver son statut d’observateur au sein de l’Union africaine (UA) perdu en 2002, le Maroc lui montre qu’il est capable de peser efficacement au sein de l’instance africaine. En effet, l’Algérie a tenté de s’opposer à la réintégration d’Israël, rappelant aux membres de l’UA que cette instance a toujours appuyé la cause palestinienne. En déployant ses talents diplomatiques au sein de l’UA et son influence en Afrique de l’Ouest au profit de son nouvel allié israélien, Rabat compte tirer profit.

Pour Tel Aviv, son statut au sein de l’UA constitue une première étape pour un déploiement géostratégique en Afrique de l’Ouest notamment. En contrepartie de son aide, le Maroc souhaite bénéficier d’investissements israéliens importants, allant bien au-delà des 500 millions d’euros estimés. Il souhaite aussi intensifier la coopération sécuritaire, même si elle existe de longue date, et les révélations faites sur l’utilisation massive du logiciel espion Pegasus par le Maroc en atteste. Produit par la compagnie israélienne NSO Group, ce logiciel a permis de cibler 6 000 numéros de téléphone, dont ceux des acteurs de la classe politique algérienne.

Malgré cette proximité désormais affichée entre Rabat et Tel Aviv, le Maroc sait que, malgré les déclarations officielles, Mohamed VI — qui préside le comité Al-Qods — ne parviendra pas à réorienter la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens. À titre d’exemple, la visite à Rabat le 13 août 2021 de Yaïr Lapid, le ministre israélien des affaires étrangères coïncidait avec la décision de son pays d’aller plus loin dans la construction d’une nouvelle rampe qui relie le mur des Lamentations à l’esplanade des Mosquées et au dôme du Rocher. Et Israël n’a pas encore pris la décision d’ouvrir un consulat au Sahara occidental, pas plus que les États-Unis d’ailleurs. Au contraire, Washington continue d’évoquer «une solution au conflit saharien dans le cadre de l’ONU et en concertation avec les protagonistes».1

Déterminés à maintenir leur politique palestinienne, les acteurs politiques israéliens se montrent davantage disposés à venir en aide au Maroc en stigmatisant l’ennemi traditionnel de Rabat. Lors de cette même visite à Rabat de Yaïr Lapid le 13 août, le ministre déclarait, en présence de son homologue Nasser Bourita qu’il était «inquiet du rôle joué par l’Algérie dans la région, du rapprochement d’Alger avec l’Iran et de la campagne menée par Alger contre l’admission d’Israël en tant que membre observateur de l’UA». Le gouvernement algérien y a vu des «accusations insensées et des menaces à peine voilées», et le ministre algérien des affaires étrangères Ramtane Laamamra de poursuivre en déclarant que «jamais, depuis 1948, on n’a entendu un membre du gouvernement israélien proférer des menaces contre un pays arabe à partir du territoire d’un autre pays arabe».

«LE VAILLANT PEUPLE KABYLE»

Annoncée le 24 août, la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc est venue consacrer l’aboutissement d’un long processus de vexations qui dure depuis l’annonce de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël en décembre 2020. Mais l’été 2021 a été marqué par deux camouflets : les propos de Yaïr Lapid bien sûr, mais un mois plus tôt, lors d’une réunion des Non Alignés à New-York (13 et 14 juillet), l’ambassadeur du Maroc à l’ONU, Omar Hilale distribuait une note disant que «le vaillant peuple kabyle mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination». Pour le ministre algérien des affaires étrangères, «la provocation marocaine a atteint son paroxysme».

C’est à la suite de ces deux incidents que le Haut Conseil de sécurité dirigé par le chef de l’État algérien décide le 17 août de «revoir» les relations de son pays avec le Maroc. La tension est à son comble, d’autant que pour Alger, le Maroc qui soutient ouvertement, voire cautionne le Mouvement pour l’autonomie en Kabylie (MAK) est également impliqué dans les incendies en Kabylie. La décision d’Alger implique l’intensification des contrôles sécuritaires aux frontières ouest du pays.

Malgré cela, Alger demande au Maroc de clarifier les propos de l’ambassadeur. Fidèle à son habitude, le Maroc se contente de souffler le chaud et le froid. En effet, sans apporter le moindre démenti, Mohamed VI a attendu la fête du trône le 31 juillet pour dire que «l’Algérie n’a pas à craindre de la malveillance de la part du Maroc». Réagissant à l’annonce de la rupture le 24 août, le ministère marocain des affaires étrangères dira, par le biais d’un communiqué, regretter cette décision «complètement injustifiée de l’Algérie» […] Le royaume restera un partenaire crédible et loyal pour le peuple algérien et continuera d’agir avec sagesse et responsabilité pour le développement des relations intermaghrébines saines et fructueuses».

De toute évidence, par ce communiqué, le Maroc fait savoir à ses partenaires occidentaux et à Tel Aviv qu’il incarne la sagesse et la pondération face à une Algérie peu fiable. Il s’adresse en particulier aux États qui craignent l’escalade militaire et ses effets notamment sur l’approvisionnement de pays européens en gaz algérien. Paris, Le Caire et Riyad ont déjà fait savoir qu’ils pourraient offrir leurs services en matière d’intermédiation entre Rabat et Alger.

En effet, après la rupture des relations, l’Algérie pourrait être tentée d’abattre sa dernière carte en modifiant le circuit d’acheminement de son gaz à destination de l’Europe. Le contrat du gazoduc Maghreb-Europe (GME) qui relie les champs gaziers algériens à l’Espagne via le Maroc expire le 31 octobre prochain. Le Maroc avait exprimé sa volonté de le reconduire, mais la Sonatrach pourrait en effet envisager une solution technique alternative pour faire basculer ce qui était transporté par GME sur le gazoduc Medgaz qui relie directement l’Algérie à l’Espagne.

KHADIJA MOHSEN-FINAN

Politologue, enseignante (université de Paris 1) et chercheuse associée au laboratoire Sirice (Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe). Dernières publications : Tunisie, L’apprentissage de la démocratie 2011-2021 (Nouveau Monde, 2021), et (avec Pierre Vermeren), Dissidents du Maghreb(Belin, 2018). Membre de la rédaction d’Orient XXI.

3 Commentaires

  1. La dernière décision de la haute hiérarchie de l’armée de rompre, ce que elle appelle, les relations diplomatique est une décision qui rentre dans le cadre de la guerre qu’elle mène contre le hirak et par ricochet contre le peuple algérien. Le Maroc n’est concerné par cette décision que dans sa participation dans sa concrétisation. Il fallait bien aux criminels d’Alger des prétextes pour annoncer ce genre de décisions. Ça me rappelle les jeux qu’on faisait quand on était petits où on jouait à la course d’échelle où une personne essaye de dénicher quelqu’un de l’eau. Le rôle du Maroc était celui-ci. C’est pour ça qu’une fois sa mission accompli, il n’a pas voulu faire des vagues. La décision de la haute hiérarchie de l’armée de faire monter la mayonnaise avec le makhzen marocain entre dans la série des crises qu’il a provoquées depuis que chengriha a envoyé 70000 hommes à Alger pour mater le hirak. Il continue toujours, comme on l’a vu hier avec kheratta et beni-ouartilane. Et….. il continuera, car il y va de sa survie et celles de nezzar et toufik. Le régime militaro-sécuritaire dans sa guerre contre le peuple fonctionne comme les poupées russes. Vis-à-vis d’un problème fondamental il essaye de créer une succession d’événements pour oublier l’évènement fondamental qu’il risque de le faire disparaître, à savoir le hirak et la révolution populaire. On a vu les 70 000 hommes pour bien effrayer le peuple, les emprisonnements, la crise de l’eau, la crise d’oxygène, les feux de Kabylie, l’assassinat du martyr Djamel Bensmail (qui devait être le prélude à une guerre civile ethnique salvatrice pour le régime, hizb franca et les novembristes-bandississiste) et enfin la rupture des relations, dites diplomatiques, entre les voyous d’Algérie et mimi du Maroc. Ces jours ci, le trio chengriha-nezzar-toufik est passé à la méthode OAS qui consiste à provoquer plusieurs évènements à la fois. La crise de farine, les feux dans le sud, les explosions dans les secteurs économiques (pour bien mettre à genoux l’Algérie), mais tout en gardant l’œil sur le comportement de la population et voir si le hirak va quand même se manifester ou pas. C’est pour ça que la ligne constante qui est maintenue est de réprimer, tous azimuts, toute contestation. Donc, on joue sur tous les tableaux, on fait preuve d’imagination (RACHAD +MAK), on essaye de ne pas oublier les cours qu’on a reçu au KGB, on convoque le passé de Boumediene en ce qui concerne le Maroc, tout en gardant l’œil constant sur le peuple et le hirak, principal ennemi du régime militaro-sécuritaire. La médiatisation de l’arrestation de mohamed abdellah, que dieu le protège, est voulue par les criminels d’Alger comme une volonté d’abattre la détermination du peuple à exercer sa volonté de faire chuter le régime. Et.. ceci entre dans la stratégie des poupées russes. Il ne faut jamais oublier une chose. L’image est capitale pour le régime et ça vient de loin. Ma mère me disait que lorsque la France a détourné l’avion des cinq historiques le moral des algériens avait atteint le fond et ils croyaient que la révolution était terminée. Évidemment, Le trio chengriha-nezzar-toufik ne se gêne pas d’utiliser les même méthodes de leurs maîtres. Ce qui est normal pour des personnes qui n’ont pas hésité à tuer un quart de millions parmi celui qui est censé être leur peuple, afin de protéger l’Europe chrétienne de de cet islam conquérant, selon le grand philosophe, génocidaire et franc-macon khaled nezzar. Vis-à-vis du régime il faut savoir casser le mécanisme de réflexion. Vis-à-vis d’un régime pareil, on a tous compris, que le hirak ne peut pas se contenter d’un service minimum ou d’un bruit de fond, comme manifester le mardi et le vendredi. Ce qui fera tomber le régime, c’est d’abord le radicalisme des esprits et une connaissance précise de l’ennemi de la part de la population. La pédagogie est nécessaire mais pas suffisante, on l’a vue et elle peut facilement se heurter face à 70000 hommes que peut envoyer d’un seul coup chengriha. D’ailleurs, il faut débattre pourquoi le d’un seul coup a pu fonctionner.Il est triste de dire que la détermination du régime militaro-sécuritaire est actuellement, je dis bien actuellement, est supérieure à celle du peuple. Or, tout est question de détermination et ça se passe entre les deux oreilles. Si le peuple arrive à un degré de radicalisme et de détermination qui serait supérieur à celle du régime, ce dernier sera chassé en un temps record au point où il sera lui-même surpris. C’est la détermination et la constance qui ont fait chasser la France d’Algérie et les États-Unis d’Afghanistan Bien sûr, TOUJOURS, TOUJOURS, SELMIA , on le dira jamais assez.

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