Abdelghani Badi. Avocat : «Les détenus avaient été arrêtés sur instruction, ils sont sortis de prison après des instructions»

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EL WATAN

IDDIR NADIR 04 JANVIER 2020

– Plusieurs détenus du mouvement populaire (76, selon l’EPTV), dont une de ses figures, le Commandant de la Wilaya IV historique, Lakhdar Bouregaâ, 86 ans, ont été libérés jeudi. Que vous inspire cette décision inattendue ?

Il faut savoir que le procès du moudjahid qui devait s’ouvrir jeudi n’a pas eu lieu. Le juge a décidé de sa libération provisoire tout en programmant l’audience pour le 12 mars prochain.

Nous nous réjouissons de cette libération. Je précise toutefois que notre collectif de défense a demandé à maintes reprises la libération provisoire de Bouregaâ, au moins 3 demandes ont été formulées ces derniers mois, depuis son arrestation le 30 juin. La dernière demande formulée par mes collègues devant le juge d’instruction près le tribunal de Bir Mourad Raïs a été rejetée.

Pourtant, les avocats ont donné toutes les garanties, ils ont présenté un dossier médical du concerné et toutes les justifications devant permettre sa libération. Mais toutes les demandes ont été rejetées. Les autorités nous donnent l’impression qu’elles font peu de cas des procédures ordinaires.

– Les autorités judiciaires et administratives n’ont pas communiqué sur la décision. L’annonce de la décision a été faite par un seul canal : l’EPTV. Pourquoi ?

Revenons d’abord au texte : le Code de procédure pénale (CPP) autorise les autorités judiciaires à communiquer par des conférences et des communiqués. Elles ne l’ont fait qu’à de très rares exceptions, comme pour les ministres poursuivis dans les affaires de corruption, ou pour le cas de Bouregaâ, le jour de son arrestation. Mais pour ce dernier cas, il n’y a eu aucune déclaration après sa libération provisoire.

Les autorités ont de tout temps été adeptes du secret ; elles ne veulent pas donner l’impression de s’excuser d’une situation qu’elles ont largement provoquée par des décisions arbitraires. Rien ne justifie l’arrestation des détenus et leur placement en détention par les juges instructeurs. Les poursuites engagées depuis le début du mouvement populaire n’ont pas d’assises légales. Il y a comme une gêne de leur part à communiquer sur ces décisions.

– Les autorités judiciaires ont-elles été libres dans leur décision ?

Le système judiciaire algérien a décidé de la libération de 76 détenus à travers les wilayas d’Alger, Constantine, Oran, Chlef, etc. Disons-le sans ambages : c’est une décision politique. Les détenus avaient été arrêtés sur instruction, ils sont sortis de prison après des instructions. Cette situation affligeante nous permet d’affirmer que les institutions, telles qu’elles fonctionnent actuellement, n’offrent pas toutes les garanties pour respecter les libertés des citoyens et l’Etat de droit.

Il n’est pas de l’intérêt du pays que cette situation catastrophique perdure. Ce qui s’est passé jeudi nous renforce dans notre conviction que l’institution judiciaire est malheureusement dépourvue de tout pouvoir, avec toutes ces décisions enveloppées dans un emballage politique. La justice doit obligatoirement être forte pour nous protéger tous. Les magistrats doivent arracher leur indépendance, ils ne doivent pas se faire dicter leurs décisions.

Parce que les juges eux-mêmes et leurs enfants peuvent subir l’arbitraire. Le magistrat est le garant des libertés. Il doit se protéger contre les décisions politiques dictées par des cercles sécuritaires dont on connaît la nuisance depuis plusieurs années. Il doit aussi se débarrasser de l’«autocontrôle», puisque nous avons constaté que dans les affaires politiques, plus particulièrement, les juges prennent des décisions ineptes sans qu’ils reçoivent nécessairement des injonctions.

C’était le cas, par exemple, des arrestations politiques de militants en vue, comme Karim Tabbou, Samir Benlarbi ou autres. Les juges ont estimé qu’ils devaient rendre un verdict qui plaît aux décideurs du moment. Les décisions prises nous renseignent sur une chose : les libertés des justiciables sont menacées, puisque les Algériens peuvent d’un moment à un autre et sans motif légal se retrouver en prison pour des accusations farfelues.

Les magistrats eux-mêmes ne sont pas protégés contre de telles décisions venues d’en haut. Nous disons une chose : les personnes injustement arrêtées et placées en détention préventive sur instruction doivent être dédommagées. Il est légitime qu’elles attendent des excuses des autorités qui ont dicté leur décision à l’appareil judiciaire. 

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